EDITOS
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 97 / 98 - 12.92
■ Après l'effet de choc, pour ne pas dire l'effet de scandale, après la "une" du journal écrit, parlé, télévisé, qu'advient-il des idées, des faits et des gens dont les média se sont servi pour captiver l'attention d'un public saoulé de sensationnel par l'omniprésente information-kleenex ? On aimerait savoir autre chose, la suite, le contexte, on aimerait aller au bout des questions posées et laissées en l'état, et ceci sans passion et sans excès, si possible.
Ces attentes demeurent, le plus souvent, insatisfaites. Plus on nous abreuve de gros titres de tous ordres, l'un chassant l'autre sans retour, moins nous sommes Informés. Cette situation, devenue banale, va cependant s'aggravant. Tout se disperse au fil d'un temps de plus en plus court. Tout ne fait que traverser notre perception, le temps, pour les auteurs de la médiatisation, de "faire des scores d'audimat" et de conquérir des parts de marché. Tout est devenu "produit" : les événements comme le reste, et plus personne ne se préoccupe du "consommateur" d'informations que nous sommes, une fois le scoop passé. Si c'est un signe des temps, il y a lieu d'être inquiet sur la qualité des temps que nous vivons. Mais faut-il terminer l'année 92 sur ces considérations désabusées. Faisons la trêve de Noël, faisons le vide de "sensationnel" et tâchons de retrouver nos valeurs, notre sens de la durée, notre intérêt pour les idées, les faits et les gens. Ne nous laissons pas entraîner dans une approximation touristique de l'information.
Il y a, ça et là, des gens sérieux pour nous donner des nouvelles du monde. S'ils ne sont pas toujours au service des média les plus tapageurs, à nous de les dénicher, là où ils se trouvent, nous y perdrons moins de temps qu'à nous abreuver tous au même robinet d'eau tiède si diaboliquement facile d'accès. Et, pourquoi pas, jetons-nous dans l'analyse des faits du passé, cela s'appelle l'Histoire. Après tout : nihil novi sub sole.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°102 - 29.01.93
■ Il serait une fois, un pays... qui ne serait pas l'idyllique pays de Cocagne, mais presque. Ses habitants auraient du civisme, de l'urbanité, de la combativité, le sens de la solidarité et seraient doués d'honnêteté, de savoir-faire et de savoir-vivre.
Dans ce pays, pour n'aborder que le sujet du "travail", les complémentarités seraient l'évidence, et chacun ferait au mieux, en approfondissant sa connaissance, en respectant le savoir-faire d'autrui, avec, à la clé, un grand projet, à l'intérieur duquel le carriérisme serait subordonné à la compétence, où la fin ne justifierait pas n'importe quels moyens, où nul n'aurait le premier soupçon de l'idée de vendre sa propre mère pour "Arriver", en effectuant, en plus, la livraison.
Ceci découlant de cela, le législateur, compétent, honnête, équitable, légiférerait dans le seul but de rendre service à chacun autant qu'à la collectivité, en donnant à l'un et l'autre des structures et des lignes de conduite qui rendraient claires les meilleures orientations possibles de ses prérogatives, entreprises et actions. Autrement dit, la loi serait au service du citoyen pour lui rendre la vie facile, tandis que le citoyen, pour sa part, aurait un sens équilibré de ses devoirs et de ses droits.
Il n'est pas interdit de rêver, et même c'est conseillé, si l'on veut conserver son équilibre. Mais les réveils ne sont pas toujours agréables. Entre "Il était une fois"... "Il serait une fois" et la réalité, quelle est la distance ?
En ce qui nous concerne, il nous appartient d'apprécier comment le chemin peut être parcouru. Et, surtout, n'oublions pas que derrière la législation qui nous entrave, nous étouffe ou nous paraît aberrante, il y a un législateur dont nous sommes, en fait, les créateurs.
N'oublions pas que les peuples ont les gouvernements qu'ils méritent. Non ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°106 du 26.02.93
■ Quand nous évoquons, en diverses occasions, avec une insistance renouvelée, les chances d'une production ancrée dans la vérité d'un terroir et des savoir-faire issus de la tradition, nous ne sommes pas des rêveurs passéistes. Nous sommes parfaitement conscients des contradictions, incompréhensions, voire des refus de prendre conscience, qui animent certains acteurs de cette production agro-alimentaire condamnée à une évolution anticipante apparemment en désaccord avec les exigences du rythme des saisons.
Souvent, nous sommes témoins des conflits internes qui déchirent des secteurs de production déjà fragilisés, voire menacés par la conjoncture extérieure.
Spectateurs, mais pas acteurs, nous ne pouvons guère faire valoir notre opinion, craignant de nous entendre dire que "les conseilleurs ne sont pas les payeurs".
A contrario, il nous est aussi donné de voir prendre corps une modernité qui permet à la tradition non seulement de se pérenniser, mais encore de trouver un souffle nouveau et de réaliser la synthèse entre réussite économique et art de vivre. Alors, nous ne manquons pas d'applaudir et de nous sentir confortés dans notre opinion. Ainsi, avons-nous découvert avec bonheur le travail des vignerons de Cairanne, petit terroir du Vaucluse, qui, non seulement a su définir son identité, mais encore prend les moyens de lui assurer une notoriété, conscient de la nécessité d'affirmer sa spécificité pour apporter des arguments valorisants aux Côtes du Rhône.
On le sait, caves particulières et caves coopératives ne font pas toujours bon ménage. A Cairanne, si. Le souci de faire évoluer la production vers une qualité optimum est général. Aussi, les vins, même si leurs caractéristiques présentent une grande diversité, ont atteint un niveau de qualité élevé et homogène.
S'adressant à des circuits de distribution différents, en fonction de l'éthique des producteurs et des volumes possibles, les vins font l'objet d'une politique de commercialisation et de médiatisation concertée et cohérente. Cela ne va pas tout seul, mais le résultat est là. Cause et (ou) effet de cette osmose entre les hommes et le terroir : il fait beau et bon vivre dans cette région. Vous voyez, ce ne sont pas les raisons d'espérer qui manquent.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°107 du 05.03.93
■ Sait-on à quel moment commence le point irréversible de l'usure ?
Comme tout un chacun l'a entendu dire et redire par ceux qui nous gouvernent ou nous observent économiquement, PME et PMI sont le tissu socio-économique de la France. Soumis aux intempéries d'une conjoncture qui, dès qu'elle cesse d'être défavorable au plan de la croissance, persiste à être éprouvante et à générer des pressions insupportables au plan des charges sociales et des dictats bancaires qui font plusieurs poids et mesures selon "que vous soyez puissant ou misérable"...
Le tissu PME-PMI donne des signes d'usure. Sa régénérescence ne s'opère pas spontanément. Les éléments constitutifs de ce tissu ne sont pas des pièces inertes sur un échiquier. Ce sont des hommes et des femmes, déterminés, responsables, inventifs, certes, mais aussi, comme leur nom l'indique, profondément humains, avant tout.
A ce titre, ils sont fragiles, mais aussi déterminés et puisent dans des espoirs renouvelés l'enthousiasme nécessaire pour continuer d'entreprendre... et consolider le tissu. Jusqu'où et jusqu'à quand ? C'est la double question. Tiens, parions qu'ils sont, actuellement, capables de croire encore dans des promesses électorales qu'ils ont vu mille fois trahies. Promettez-leur que leurs charges sociales deviendront moins pesantes et plus incitatives à la création d'emploi... annoncez-leur un paysage bancaire dans lequel leur interlocuteur enlèverait la casquette répressive et inéluctable qu'il porte aujourd'hui pour devenir un réel partenaire, responsable lui aussi, et capable d'imagination... les "éléments du tissu" sont encore disposés à y croire, parce qu'on ne peut pas toujours penser qu'il y a "quelque chose de pourri au Royaume du Danemark" et ce, d'une façon irréversible, sinon, les Hamlet du 20ème siècle seraient tous acculés au suicide.
Promettez, mais tenez. Ils déposeront leur bulletin de vote dans les urnes prochaines comme un appel au secours.
Arrêtez de leur tenir la tête sous l'eau.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°109 du 19.03.93
■ Nous ne vivons pas seulement une "crise" économique et sociale, nous vivons les convulsions d'une fin de civilisation en train d'accoucher d'une nouvelle ère.
Le sachant, et feignant, pour la plupart d'entre nous, de l'ignorer, nous nous accrochons à nos habitudes de pensée et à nos façons d'agir, segmentées, spécialisées, compartimentées.
On nous rappelle que les taux d'intérêt bancaires ont diminué, que la croissance pourrait reprendre... on nous informe de mesures, de mesurettes, de bonnes intentions, allant dans le sens d'une "sortie" de la crise. De la même façon les discours electoralistes sont limités. Comme si les seules logiques du fric et de la consommation devaient continuer de gérer nos existences.
Et si l'argent reprenait sa place de moyen et non de fin en soi ? Et si la consommation n'était elle-même que l'une des nécessités de la vie, ramenée dans ses limites ?
Pour que la fuite en avant s'arrête, il faudrait que nous ayons le ferment d'un nouvel humanisme. Ce dont nous manquons le plus.
Rien ne nous motive, rien ne nous fait rêver, rien ne nous mobilise, rien ne nous crée de réels devoirs ni de réels droits. Pourquoi ?
Parce que nous manquons d'un grand projet. Dépassés les projets nationaux qui galvanisaient les foules, échoués les projets de société, communisme et capitalisme renvoyés dos à dos au regard de l'Histoire. Reste à naître un grand projet humaniste. Le premier à en proposer un, peut nous écrire.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°111 du 02.04.93
■ Tout le monde s'en fout.
Même quand il ne fait pas eau de toute part, l'amiral et les rats quittent le navire. Si vous appelez le responsable, il n'y a plus d'abonné au numéro demandé, et nul ne cherche à se responsabiliser au-dessus de ses moyens qui, dans la majorité des cas, sont nuls. Un exemple, au hasard. Vous souhaitez louer des places de concert, dans l'un de ces lieux hautement démocratisés qui diffusent la Culture au meilleur prix : c'est complet, vous dit-on, et ce, pour toutes les dates. Vous apprendrez plus tard que l'artiste de votre choix a dû annuler plusieurs représentations faute de public.
Comme on peut ruiner des carrières, par pure irresponsabilité, on ruine aussi des secteurs d'activité, voire l'économie d'une région, d'un pays, et ainsi de suite. Que le premier qui n'a jamais répondu "ça ne se fait plus", à un client à la recherche d'un produit en rupture, m'apporte la contradiction.
Ce constat mille fois établi, pour en venir à quoi, me direz-vous ?
A ceci. Il y a des jours où ceux qui s'obstinent à faire tourner la machine finissent pas se poser des questions, par éprouver une certaine lassitude, par ressentir comme une envie irrésistible de jeter l'éponge. Tous ne le font pas. Pourquoi ? Dans un monde où le laxisme est la règle et l'irresponsabilité la loi, on peut se le demander. Peut-être par une sorte d'orgueil, peut-être par le sens de ce qu'on appelait le devoir, avant que ce mot ne tombe en désuétude (quand il ne devient pas un sujet d'hilarité ou de mépris).
Mais l'espèce des hommes responsables a-t-elle une chance de se perpétuer ? Aujourd'hui, je n'en jurerais pas. Mais peut-être suis-je de mauvaise humeur.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°112 du 09.04.93
■ Rire est un exutoire.
Rire de nos propres travers est salutaire. Dans une époque où les sujets de jubilation ne sont pas légion, il serait dommage de refuser une occasion de se réjouir, avec l'arrière-pensée de tirer une leçon profitable de cet exercice.
Qui ne connaît pas la plume diserte, colorée et tout naturellement non-conformiste d'Yvan Audouard ? Cet "honnête homme du vingtième siècle"... il en reste, peut-être plus qu'on ne pense, mais qui ne se font pas toujours connaître... vient de livrer à notre appétit insatisfait d'amusement de qualité, un ouvrage-point de repère dont le titre occulte peut-être le contenu réel du propos : LA CONNERIE N'EST PLUS CE QU'ELLE ETAIT.
Il n'est dans notre intention ni de procéder à l'exégèse de cette réflexion sur notre société, ni de raconter le contenu de cette déambulation à bâtons rompus. Sachez seulement que "La connerie par la Grande Surface" ne devrait pas manquer de faire sourire les opérateurs du grand commerce moderne qui, par ailleurs, auront quelques sujets de revanche avec les chapitres consacrés à la publicité, aux média ou à la politique.
Hâtons-nous d'en rire aujourd'hui, n'est-ce-pas ? Et interrogeons-nous avec l'auteur sur l'insidieuse alliance de l'intelligence et de la connerie, un fait peut-être moins nouveau qu'il n'y paraît. Enfin, puisque le rire peut témoigner d'une certaine bonne santé, confortons celle-ci en nous consolant avec le "petit pense-bête à l'usage de ceux qui persistent à ne pas vouloir devenir cons" qui termine l'ouvrage, sans le conclure...
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°114 du 23.04.93
■ Que les nostalgiques honteux de mai 68, un quart de siècle plus tard, se souviennent du slogan exalté et exaltant fleuri sur les murs de l'époque: L'IMAGINATION AU POUVOIR.
Certes, la mode actuelle du carriérisme sauvage est bien éloignée de cette profession de foi, mais ce n'est qu'une mode, condamnée, comme telle à passer.
Pour que le slogan devienne programme, il aurait fallu le compléter. Imagination, Passion, Responsabilité. Un directeur de marketing de I''agro-alimentaire (et non des moindres), qui ne manquera pas de se reconnaître ici ni d'être reconnu par ses collaborateurs, me confiait ces jours derniers, "si je marque des buts, c'est que j'aime le produit pour lequel je travaille. Je ne pourrais pas travailler sur n'importe quel produit".
Produire ou vendre ce qu'on aime, faire évoluer le produit en fonction d'une éthique ancrée dans le respect du produit lui-même et du consommateur auquel il est destiné, n'est-ce pas allier imagination, passion et responsabilité ? Et, n'en déplaise au prétendu pragmatisme en vigueur, en fonction duquel, précisément, n'importe qui peut produire ou vendre n'importe quoi, pour (et à) n'importe qui, s'il a bien appris sa leçon, sur le long terme, ce tiercé s'avère être gagnant.
Le directeur de marketing que j'ai choisi comme exemple n'est heureusement pas atypique, il est cependant un peu hors du commun par la passion communicative qui le caractérise et par la façon dont il est habité par une vocation exigeante qui le fait volontiers se référer à Bernard Palissy Pour parachever le portrait, disons que cet homme-là, n'en déplaise à ses contemporains, est un homme heureux... et pas mécontent de l'être.
Pourquoi ? Peut-être tout simplement parce qu'il s'accomplit dans quelque chose de noble, que le mot "fonction" a le plus souvent rayé de notre vocabulaire, un métier.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°117 du 14.05.93
■ Méfions-nous des mots.
Stendhal leur attribuait à raison un pouvoir redoutable. Une chose non dite, un sentiment non exprimé n'existent pas encore tout à fait, sans aucun doute. Mais ce débat n'est plus celui qui devrait être le nôtre.
Aujourd'hui, la façon de ne pas dire se trouve dans les mots eux-mêmes. Trois sortes de mots circulent, de bouches à oreilles, qui, nous le constatons chaque jour, banalisent et vulgarisent nos rapports et gomment l'acuité, la précision, la gravité de tout propos. Les mots édulcorants, vous les connaissez bien. Leur usage gomme de notre horizon ce que nous ne voulons pas voir. Non-voyant, mal-entendant, contre- vérité ont fait disparaître de nos consciences cécité, surdité et mensonge, sans toutefois agir sur les faits. Pudeur ou pusillanimité ? Je vous laisse à choisir. Les mots ou préfixes fourre-tout, super, hyper, géant, extra en tête et dans le désordre, sans oublier mini, maxi, pour ne citer que les plus usuels, ont eux-aussi leur part de responsabilité dans l'appauvrissement et la standardisation de la pensée.
Enfin, et c'est peut-être le plus insidieux et le plus grave, nous utilisons tous, et de plus en plus nombreux, des mots issus de jargons professionnels, recouvrant de telles abstractions, qu'elles soient d'ordre économique, politique, social, qu'en fin de compte, ils se retrouvent privés de contenu, vidés d'un sens concret. Nos abstractions sont dangereuses. Que recouvrent les mots "convivialité", "convenience", "partenariat", pour évoquer un vocabulaire qui nous est devenu courant ? Et si l'un d'entre nous, moi la première, remplacions ces mots faciles et creux par d'autres, nos interlocuteurs ou lecteurs ne nous considéreraient-ils pas comme des résurgences d'un monde dépassé et disparu ?
Nous nous plaignons de la "langue de bois" familière aux politiciens, mais n'est-elle pas de tous les discours ? Savons-nous à quel point nos rapports avec autrui se sont dégradés faute de parler juste et vrai ?
Réagir, c'est possible. Tiens, pour donner l'exemple, je raye convivialité, partenariat et convenience de mon vocabulaire, et je parie d'être mieux entendue.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°118-119 des 21 et 28.05.93
■ N'oubliez pas le service, s'il vous plait.
Omniprésente dans les mots, la notion de service l'est-elle aussi dans les faits ? Je n'en jurerais pas. Il y a plus d'intentions que de réalisations efficaces dans ce domaine, quand il ne s'agit pas tout simplement d'alibis. A cet égard, producteurs et distributeurs n'ont rien à s'envier.
Prenons, à titre d'exemple, le parcours de l'hypermarché, ou du grand supermarché, effectué par une cliente accompagnée de sa progéniture. A ceux qui déplorent la raréfaction des achats d'impulsion et la réduction du temps passé par les chalands devant les rayons, on pourrait suggérer, entre autres, un vrai service à rendre à une telle cliente - majoritaire, de surcroît - surtout en fin de semaine. Un espace ludique où les enfants seraient à la fois distraits et surveillés, est-il une vue de l'esprit ? Ikéa est là pour apporter la preuve du contraire, et je doute que l'enseigne ait mis en place ce service hautement apprécié par sa clientèle, par pure philanthropie. La création d'emplois "de service" liée à ce concept serait peut-être une autre sorte de "service" à rendre, celui-là, à notre société. Gageons que le commerce aurait tout à y gagner, de l'image et des bénéfices. Demandez à vos manutentionnaires, chefs de rayons, caissières ainsi qu'à la clientèle non pourvue d'enfants, s'ils ne préféreraient pas voir les charmants bambins hors linéaires ? Les grandes enseignes en sont conscientes, la gestion du temps des loisirs - trente ans de la vie d'un individu d'aujourd'hui, en moyenne - est une question de première importance. Faire ses courses dans la grande distribution pourrait devenir un plaisir et une façon d'occuper ses loisirs... si la notion de service était une priorité. Certes, il est plus facile de l'écrire que d'en être l'artisan, mais l'un des privilèges de l'écriture consiste à traduire pour les uns ce que les autres ont du mal à formuler.
Finalement, les enseignes n'ont elles pas les clients qu'elles méritent ? Aussi à celles qui sont soucieuses de la qualité de comportement de ceux-ci, ne faisons-nous que rappeler, à l'occasion, qu'il ne faut pas prendre les Enfants du Bon Dieu... que... pour des canards sauvages.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°121 du 11.06.93
■ Si les aspects tragiques ou préoccupants de la crise économique que nous traversons ont fait l'objet d'analyses et commentaires qui ont assuré la couverture quasi exhaustive de ses effets négatifs, en revanche, on parle peu de ses aspects positifs. Question d'angle de vue. Soyons optimistes, une fois n'est pas coutume.
La crise, signal d'alarme tiré dans une période décadente, aura été, pour certains, nombreux semble-t-il, l'occasion d'une prise de conscience et d'une remise en question individuelle et collective. Nous vivions dans la facilité et nous nous amollissions dans un gâchis de chaque instant. Aujourd'hui, nous révisons nos mentalités et nos comportements. Notre rapport à l'argent s'est, bon gré mal gré, moralisé et nous entrevoyons d'autres valeurs. Notre rapport à la consommation s'est transformé, ainsi que notre rapport au plaisir. Le quotidien et l'exceptionnel ont pris un autre goût, un autre sens et peut-être sommes-nous en train de réinventer le prix d'un certain art de vivre.
Enfin, même s'ils ne sont pas légion, des exemples récents, puisés dans la difficile survie de certaines entreprises, nous font redécouvrir le sens de la solidarité et de la pugnacité. Accepter un blocage ou une réduction des salaires à double fin de maintenir l'emploi d'un ensemble de personnels et de permettre à l'entreprise de traverser sans trop de dommage un passage difficile, n'est-ce pas se conduire avec une lucidité et une responsabilité qui semblaient depuis un certain nombre d'années, lettre morte ?
La mise à l'épreuve est un révélateur, tant pour les individus que pour les institutions. Espérons qu'à la sortie du tunnel nous nous retrouvions non pas brisés ou affaiblis, mais au contraire vivifiés par une sorte de salutaire électrochoc.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°126 du 03.09.93
■ Il est des civilisations qui passent de l'enfance à la décadence sans avoir jamais atteint la maturité. Ce n'est pas un scoop, tout le monde le sait, et chacun a, au moins, un nom sur les lèvres.
Pour nous, pétris d'Histoire, de Culture, d'Humanisme, il en va autrement.
Secoués par les séismes économiques, sociaux, politiques et spirituels planétaires, nous sommes sujets à des pulsion contradictoires.
D'aucuns acceptent et vivent la décadence comme une fatalité et considèrent "le sens de l'histoire" comme une malheureuse certitude. Ces positions démissionnaires, oublions-les. Jetons plutôt un coup d'oeil du côté de ceux qui, individus, institutions ou entreprises, se prennent en main.
Nous avons eu l'occasion d'évoquer la maturité fraîchement constatée du citoyen-consommateur, la volonté nouvellement affirmée chez les uns et les autres de sauver une planète qui se trouve être la seule nôtre, la pugnacité et l'invention d'opérateurs de divers secteurs de la production, de l'industrie et du commerce, désireux de s'orienter vers le pôle positif du bain catalytique dans lequel nous sommes tous plongés.
Si l'on met bout à bout ces volontés d'être lucide, responsable et efficace, en un mot d'agir au lieu de subir, on peut espérer assister à l'avènement d'un homme du vingt-et-unième siècle digne de ce nom. "L'Homo Non Civis", de toutes façons, est voué à disparaître : par définition, il n'est pas destiné à réussir sa mutation. Alors ? Aurions-nous le bonheur d'assister à la renaissance de l'"HOMO CIVIS", l'Homme-Citoyen des grandes républiques de ces civilisations qui ont donné naissance à la nôtre ?
N'était pas, alors, citoyen qui voulait. Les privilèges attachés à ce statut étaient assortis de nombre d'obligations et de devoirs. La prospérité de la Cité (dont celle du citoyen était un corollaire dépassant les limites de l'égo) se concevait en termes d'économie et de politique, certes, mais aussi en termes d'éthique et de morale : faute de ces deux notions dans l'équilibre général, c'était la dictature ou la décadence.
Aussi est-ce rassurant de voir, aujourd'hui, s'affirmer des individus ou des entités, institutions ou entreprises qui, au-delà d'un projet fondé uniquement sur le profit ou la réussite sociale, affichent et mettent en oeuvre un réel projet de vie, en toute responsabilité affirmée.
Certes, toute dérive est possible. Le pouvoir et la réussite, s'ils ne sont pas nécessairement corrupteurs, peuvent être les révélateurs de failles chez ceux qui en détiennent les clés, mais à cette réserve près, acceptons l'augure du grand retour de l'Homo Civis... du vingt-et-unième siècle.
Au moins aurons-nous un sujet d'optimisme à méditer au moment d'aborder la rentrée.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°128 du 17.09.93
■ Non, ce n'est pas un simple effet de la conjoncture économique attentiste et maussade, cet été, les Français se sont mis au vert. Revanche rurale sur une migration qui avait tendance à recréer la cité, du béton des villes de l'intérieur au béton des villes côtières, ils ont rempli gîtes, chambres d'hôtes de toutes catégories et repris goût à la marche et au vélo. Soif d'air pur, appétit de chlorophylle, besoin de découvrir ou de redécouvrir des activités et des rapports humains moins superficiels et moins éphémères, volonté de faire rimer santé et curiosité, dépense physique et apprentissage de la faune, de la flore, des métiers et modes de vie d'autrui : on n'aura pas bronzé idiot, cet été 93.
Faits nouveaux, les touristes n'ont pas eu le comportement de prédateurs et conquérants qui leur est coutumier, en contrepartie de quoi leurs hôtes les ont accueillis avec une courtoisie renouvelée. Dans l'ensemble, les uns et les autres se sont conduits en êtres humains civilisés.
L'environnement, y compris celui constitué par nos semblables, commence à nous intéresser. Nombre de rapports amicaux se créent, avec le tourisme vert. Les citadins renouent des liens avec des régions de la France profonde, à la faveur desquels ils se retrouvent des racines.
Les enfants ne sont pas les moindres bénéficiaires de ces récentes attitudes, car la balade à VTT ou la randonnée pédestre sont des sports familiaux. Ainsi, le "carcan des tranches d'âge" se trouve cassé, et les membres d'une même famille, toutes générations confondues, ont enfin un terrain d'échanges.
Autre aspect positif de cette situation : se ressourcer dans la vie réelle amène à reprendre le sens des valeurs et à faire le tri entre les vraies et les fausses. Dans les comportements de la "rentrée", il faut s'attendre à en constater les effets.
A l'automne 93, les Français seront, dans leurs loisirs, dans leurs achats, dans leurs désirs, plus actifs, plus naturels, mais aussi plus exigeants et plus circonspects.
Ils auront pris conscience d'eux-mêmes et du monde qui les entoure. Ils auront envie de s'investir dans ce qu'ils entreprendront.
On va enfin cesser de mourir d'avoir oublié de respirer.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°129 du 24.09.93
■ II aura fallu une visite au lieu de captage et d'embouteillage d'une eau de source de montagne, dans le Massif des Ecrins, pour donner une justification à des propos dont l'optimisme apparaît, pour une fois, réaliste et accrédité par les faits, quant à l'opportunité, pour les PME, de se créer, de se développer, d'envisager une croissance à long terme, en mettant en place une culture d'entreprise fondée dans l'observance des paramètres actuels de la fiabilité, de la régularité de production et de l'adéquation aux exigences multiples des marchés.
Roches des Ecrins, eau de source qui commence à faire parler d'elle, est exemplaire à plus d'un titre. Si ses conditions de commercialisation ne sont pas notre propos du jour, en revanche, la conception de sa mise en conditionnement apparaît porteuse d'enseignements.
Qu'on puisse faire surgir du sol, en moins d'un an, un outil de production qui, dès sa conception, représente un pari sur l'avenir et soit susceptible de répondre à une demande à 5 ou 10 ans, donc une entreprise du vingt et unième siècle, est rassurant : les PME sont toujours novatrices, au moins celles qui ont réussi à survivre.
Qu'on pense à des détails parmi les plus minutieux et les plus significatifs d'une démarche dans le sens de la qualité : c'est encore mieux. Qu'on apporte, dès l'origine, des compléments à ce que les législations les plus exigeantes en vigueur imposent, c'est exemplaire. Ainsi, au laboratoire de contrôle qui effectue des prélèvements horaires, en permanence, sur l'eau conditionnée sur le site, est ajouté, en amont, un système permanent de contrôle de l'eau à son arrivée, afin d'assurer la sécurité intégrale du produit, en cas d'éventuelle pollution, bien qu'improbable.
Et tout cela fait partie d'une culture d'entreprise envisagée et entrée dans la réalité dès l'origine. Donc, cela existe. A dimension humaine et régionale sur le plan des structures, mais à dimension nationale et internationale -car elle a déjà des marchés extérieurs- une PME nouvelle, pugnace et déterminée qui crée la synergie des notions de qualité, responsabilité et efficacité, en créant des emplois dans une région où le nombre d'habitants au kilomètre carré... peut-être compté par un enfant de l'école maternelle... cela donne de l'espoir, non ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°136 du 12.11.93
PLIER POUR NE PAS ROMPRE ?
■ Tout nous incite, à l'heure actuelle, à la flexibilité.
Tout naturellement, la première association de mots qui nous vient à l'esprit, c'est "flexibilité de l'emploi". Méfions-nous de n'être pas prisonniers des mots et des idées reçues, fussent-elles nouvelles. La flexibilité, dans le meilleur des cas, est ressentie comme une attitude attentiste : on courbe le dos, on se souvient de la fable du Chêne et du Roseau, on attend que viennent des brises plus favorables, et qu'importent les chênes déracinés. N'en déplaise au bon La Fontaine, nous sommes, aujourd'hui, dans une autre mouvance.
La flexibilité, certes de mise et nécessaire, n'est plus celle du faible contre le fort, du petit contre le grand, de l'individu contre la société... bref, je vous laisse à décliner les cas défigure.
Le monde a changé, avec nous, et surtout sans nous, irréversiblement. Le défi de nos civilisations, dites évoluées, dans ce changement, c' est, sinon de les maîtriser, ce qui semble un combat d'arrière-garde, au moins de l'épouser plutôt que d'en être laissé-pour-compte, ou, pire, victime expiatoire.
C'est ici que "flexibilité" prend un sens élargi. Plutôt que de plier pour ne pas rompre, en attendant un hypothétique, et pour tout dire illusoire retour à la normale, il s'agit de choisir le bon mouvement à effectuer, le bon trajet inconnu hors des sentiers battus, d'avoir la bonne intuition et de travailler d'arrache-pied dans le sens de sa réalisation.
Attention : ça se paie au comptant, comme disait Winston Churchill, avec du sang, de la sueur et des larmes, et les tricheurs ne seront pas du voyage, ni les entreprises qui, pour un avantage à court terme, donnent à choisir entre réduction d'horaires et licenciement sans réflexion sur un redéploiement cohérent d'activité, ni les salariés en quête d'avantages sociaux sans motivation de "travail utile". Aujourd'hui, les enjeux sont planétaires. On ne peut pas impunément vivre de la misère d'un tiers ou d'un quart-monde. Les questions fondamentales sont heureusement d'un autre ordre. Il va falloir apprendre avec les Chinois de Pékin, les Américains de Manhattan et les Africains d'Ethiopie ou du Cap, sans oublier les Européens de l'Est, du Nord, du Moyen-Orient et d'ailleurs, à vivre AUTREMENT.
Flexibilité, c'est d'abord Ouverture.
Des horizons nouveaux sont notre lot obligatoire, alors, pourquoi ne pas aller au-devant des nouveaux paysages ?
Ne soyons pas frileux, nous qui avons un fabuleux acquis, le sens de l'innovation, des moyens d'investissement et de prospection. C est dans les moments "de crise" qu'il est opportun d'aller de l'avant et de bousculer les idées reçues. Choisissons les bons courants de l'air du temps, et ramons très fort.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°137 du 19.11.93
NATUREL, TRADITION, SECURITE
■ Le credo actuel du consommateur tient en trois mots, en apparence innocents : naturel, tradition, sécurité. Isolément ou associés, ces trois mots recouvrent des attentes souvent floues, parfois contradictoires, voire incompatibles. La recherche du naturel, si elle indique une inquiétude légitime à l'égard du devenir de notre planète et de notre propre devenir, englobe des aspirations d'une diversité complexe, dont les seuls points communs consistent à prendre la couleur verte comme point de repère et des termes tels que recyclable, écologique, biologique, comme assurance. Grand flou également à propos de la tradition. Quelle tradition ? Où commence-t-elle ? Quelles sont les limites de son ancrage ? Jusqu'où peut-on prétendre la respecter ? Débat plus vaste encore à propos de la sécurité. L'Europe si elle n'y perd pas son latin, a bien du mal à s'harmoniser sur le sujet.
Créer synergie et synthèse entre naturel, tradition et sécurité, est, on s'en aperçoit à chaque instant, tout sauf une sinécure. Le naturel résiste mal à la technologie -fût-elle respectueuse d'une tradition qui, par définition est liée à un savoir-faire plus ou moins sophistiqué, donc ennemi du naturel- La sécurité, vertueuse, certes, mais stérilisante, a bien du mal à ne heurter ni le naturel ni la tradition... Devant cette hypothèse de travail, les fabricants de produits de grande consommation ainsi que de nombreux prestataires de service, on de quoi peupler les insomnies que la baisse du pouvoir d'achat leur inflige.
Quel responsable de marketing n'a pas rêvé, sachant proches quelques congés de fin d'année, de prendre, en option personnelle, l'une des trois voies au mépris des deux autres et, selon sa propre nature, d'aller jouer au sauvage dans un pays plein de moustiques, de retourner à ses sources en noyant son cholestérol dans la potée auvergnate, à moins, qui sait, d'entrer en retraite dans une bulle sous atmosphère... stérile.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°142 du 14.01.94
LE CONSOMMATEUR EST MORT, VIVE LE CLIENT
■ Le nez dans nos difficultés économiques, un peu Gribouille, prêts à nous jeter à l'eau plutôt que d'affronter la pluie, nous avons une forte tendance à refuser de voir naître l'homme de la fin du siècle pour ne focaliser que sur ce qui, transitoire, apparaît négatif.
Pourtant, issu du consommateur hypertrophié, un autre homme est là, déjà, qui prend le temps de faire une pause, cherche et trouve de nouveaux repères et se redécouvre lui-même. A l'occasion de la réalisation d'un outil de communication au service des vins des AOC Côtes du Roussillon, Euro RSCG l'a cerné et joliment défini avec justesse comme le "bien vivant".
Vous, dont le métier de producteur ou de commerçant consiste à lui consacrer vos efforts, ne passez pas à côté de ce nouveau client, soucieux d'équilibre, de mesure et de justesse. Il veut être respecté, dans ses goûts nouvellement reconquis. Il veut qu'on lui parle vrai. Il veut être considéré comme un adulte, certes, mais comme un adulte plus soucieux de son bien-être tant moral que matériel que du paraître qui fut la bible des années 80. Il réapprend à vivre, à être différent du voisin, à choisir ses objets, ses amis, ses loisirs pour un certain bonheur d'être et d'être bien dans sa peau.?
Euro RSCG toujours, dans le même opuscule destiné (malheureusement) au seul circuit CHR, vous donne les clés de ce nouvel interlocuteur de l'industrie et du commerce, le client : il est "Chaleureux, Imaginatif, Hédoniste, Gourmand, Authentique, Libre, Sensible, Equilibré, Curieux". Ne le décevez pas et réjouissez-vous de son avènement.
Le consommateur est mort, vive le client.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 143 - 21.01.94
DIVERSES QUALITES... LES MOTS POUR LE DIRE
■ En matière agro-alimentaire, les Français effectuent environ 25 % de leurs achats dans les catégories standardisées et banalisées. Ce qui est intéressant, c'est de lire les chiffres dans l'autre sens, pour s'apercevoir de ceci : du produit courant, agréable et pratique, au produit haut de gamme, 75 % des achats sont réalisés en fonction de 4 critères diversement mixés, les "4S" de la classification Mainguy, sécurité, service, santé, satisfaction organoleptique. Et ce pourcentage ne prend en compte ni les vins ni les spiritueux qui, c'est facile à imaginer, ne feraient pas pencher la balance du côté de la banalisation.
Nous voilà très éloignés de la segmentation fortement réductrice le plus couramment évoquée dans le jargon de la Grande Distribution, qui prend en compte "premiers prix", "MDD", "marques nationales" comme essentielle hypothèse de travail. Pour le consommateur en quête de repères différents, existe, certes, une panoplie de signes de qualité, des AOC aux diverses certifications. Mais, et c'est là que le bât blesse, production, distribution et public consommateur manquent d'un langage commun suffisamment riche pour se comprendre et pour que chacun puisse s'y reconnaître, entre les signes et ce qu'ils recouvrent d'adéquat à ses goûts, besoins et désirs.
Nous sommes dans une tour de Babel où les opérateurs industriels, les interprofessions, les régions, les petits producteurs, tentent de faire passer les messages qui, faute d'un vocabulaire commun à la fois large et précis, demeurent lettre morte. Les mots pour le dire nous font cruellement défaut, et c' est très grave : c'est la voie ouverte à la standardisation. A contrario, chacun d'entre nous a besoin d'une grande diversité à l'intérieur de chacune des catégories de produits qu'il consomme, en fonction des divers usages auxquels il les destine. On n'achète pas la même huile pour la salade ou la cuisson, ni la même pomme pour la tarte ou pour la croquer.
Or, toutes les classifications, quelles qu'elles soient, si elles sont nécessaires sont loin de satisfaire à l'information d'un individu qui a de plus en plus de mal à définir et à fortiori à exprimer ses propres critères de goûts et d'attentes, d'autant qu'il perd certaines notions de goût faute de trouver les produits qui y correspondaient.
La question des mots est l'affaire de tous. Est-ce un hasard si l'interprofession des Brasseurs a fait établir, par Jacques Puisais, un vocabulaire de la bière ? Pourquoi ne pas réaliser un consensus Producteur-Distributeur-Consommateur à propos des mots qui, concrètement, définissent les produits ? Les diverses qualités et toutes les expressions spécifiques de V agriculture et des produits agricoles transformés font partie de notre identité et ne sont-elles pas V occasion de valoriser des métiers et des hommes qui pourraient être maintenus dans leurs régions, au bénéfice de tous ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 144 - 28.01.94
COCORICO... EUROPEEN
■ Deux sociétés européennes, et non des moindres, du secteur agro-alimentaire, BSN et UNILEVER, signent un accord, donnent naissance à une nouvelle entreprise et lui mettent en main les moyens d'ouvrir et développer un nouveau marché. Bon, dites-vous. Et alors ?
Et alors ? En pleine crise, en pleine morosité, le fait mérite d'être noté. Tandis que l'Europe, dans les transactions du GATT, a du mal à accorder ses violons et à faire entendre sa voix, Danone et Motta, avec un produit très neuf, YOLKA, réalisent un test de lancement "grandeur nature" à l'échelle des marchés français et espagnol, dans un premier temps. Leur intention, certes, conquérir l'Europe, mais aussi, les marchés internationaux et pourquoi pas le marché américain, en utilisant la synergie des expertises et la force de deux marques mondialement reconnues, n'est-elle pas exemplaire ? Cette pierre blanche dans la construction d'une Europe où chacun peut exprimer au mieux ses compétences et ses spécificités, nous ne pouvons que souhaiter qu'elle soit la première d'un édifice solide et durable. Ajoutons, car nous sommes français autant qu'Européens, que le produit YOLKA est 100% de chez nous, puisque 50% yoghourt élaboré à Seclin, et 50% glace élaborée à Argentan. Sans chauvinisme, cela fait toujours plaisir.
Bien sûr, nombreux seront les sceptiques, prompts à douter de l'issue de l'entreprise : la glace et le yoghourt ont déjà flirté sans parvenir à concrétiser une union durable, et les quelques produits encore commercialisés, soit glace au yoghourt, soit Frozen yoghourt sont situés dans les niches. Sans doute la grande innovation du "50/50" de Yolka et sa naturalité, qui permet notamment aux ferments du yoghourt de garder leurs propriétés et de se réactiver même après deux ans de congélation, auront-elles besoin d'être soutenues par de considérables efforts de communication pour être perçues par les amateurs potentiels. Mais cela aussi mérite d'être salué. Qui dit plan de communication dit investissements. Après ceux de la recherche et du développement, ils ne peuvent-être que bienvenus, aucun d'entre nous ne dira le contraire. Si l'on pousse un peu plus loin l'optimisme -une fois n'est pas coutume- on peut imaginer que le succès débouche sur la création d'un nouveau site industriel.
Mais sans anticiper sur le développement du marché, et faute d'un terme européen pour exprimer l'autosatisfaction légitime, faisons, avec Danone et Motta, un premier "Cocorico" pour saluer la naissance de Yolka.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 145 - 04.02.94
ENTENDONS-NOUS BIEN
■ D'une façon cyclique, d'un marché ou d'un segment de marché à l'autre, la presse professionnelle rencontre des difficultés à obtenir des entrevues avec les responsables d'entreprise qu'elle a besoin d'interroger pour être en mesure de faire son métier, informer. Mouvement d'humeur, abus de position... forte, manque de temps, il y a un peu de tout cela et quelque chose en plus : une certaine confusion entre différents types de presse. Par définition, par vocation, par éthique, la "presse pro" n'est pas la "presse à sensations", encore moins la "presse à scandales". Si le mélange des genres a pu se produire, cela ne peut être qu accidentel et limité. Cela dit, nos interlocuteurs industriels disposent de tous les éléments nécessaires pour être en mesure défaire "les" différences.
Quand nous vous proposons de faire le point sur un marché, à l'occasion d'un dossier, et d'en réaliser une synthèse aussi impartiale que possible, et cela sans esprit polémique, cela va de soi, nous avons besoin de rencontrer des interlocuteurs significatifs animés du même esprit. Aujourd'hui, sur certains marchés, il devient impossible de communiquer sérieusement. Y a-t-il des secteurs de production si assurés de leur avenir qu'ils puissent se satisfaire de leur seul discours publicitaire ou de leur mutisme et de ne "faire signe" à la presse que dans les rares occasions où ils s'avisent qu'ils ont besoin d'un autre discours ?
Les journalistes, quoique concurrents, ne sont pas ennemis. Ils leur arrive même de parler entre eux et d'évoquer l'absence dans leurs plannings rédactionnels, de certains marchés, rayés de leurs préoccupations pour cause de mutisme.
Après tout, l'année n'a que 365 jours, et ce ne sont pas les sujets qui manquent. Mais est-ce bien raisonnable de fonctionner de cette manière ? Est-il souhaitable d'attendre que le mouvement de balancier ramène la conjoncture à un pressant besoin de communication pour un marché en perte de vitesse, pour qu'à notre tour nous fassions la fine bouche et nous fassions "désirer" ?
Nous ramons tous sur la même galère, sans romantisme de l'échec, sans espionnite industrielle, en essayant d'être positifs et efficaces. Alors ? Ne pouvons-nous pas éviter les malentendus ?
Vous voulez que "ça" marche. Nous aussi.
Entendons-ous bien.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 146 - 11.02.94
FAIS-MOI UN SIGNE
■ Tout produit de consommation, quel que soit son niveau de diffusion, se fait connaître et reconnaître par des signes et des codes qui expriment sa personnalité. Dans certains univers, comme chacun sait, les signes et les codes ont plus d'importance que le contenu du produit, ou, pour être plus précis, font partie intégrante du produit.
Du plus spectaculaire au plus confidentiel, les signes prolifèrent. La marque, l'emballage, les divers logos attestant d'une qualité spécifique et, plus discrets, comme les paragraphes en italiques de certains contrats, la liste des composants, sans compter les appels à l'attention sur les "opérations spéciales", les signes se multiplient d'une façon excessive. Fais-moi un signe, pourrait dire l'utilisateur potentiel, mais n' abuse pas des signaux. Outre le fait que la multiplication des signes engendre la confusion, on assiste, aussi, à une utilisation des signes si complexe que ceux-ci ne communiquent plus qu'en cercle fermé, dans la seule direction de ceux qui les ont émis. Quand les peintres ne peignent que pour les peintres, quand les Indiens font des signaux de fumée compréhensibles par leur seule tribu, quand les "codes couleurs", les "signes de qualité", les "signes d'origine" commencent à tourner en rond, il y a péril en la demeure.
Même avertis, les consommateurs n'y retrouvent plus leurs petits, car, fait qui semble échapper à l'ensemble des émetteurs de signes, ils ont aussi AUTRE CHOSE A FAIRE qu'à les décrypter.
Oui, "fais-moi un signe", disons-nous, pourvu que sa lisibilité n'exige pas le cerveau d'un Champollion. Ne cherche pas midi à quatorze heures. Mets en évidence tes qualités réelles, en toute simplicité, en toute transparence.
FAIS-MOI UN SIGNE : MAIS LE BON.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 147 - 18.02.94
LA FUITE EN AVANT
■ On pouvait espérer que la course au prix le plus bas, accélérée par la crainte de l'extension des magasins de hard discount et par le spectre de la "crise" qui, dans certains cas a "bon dos", allait commencer à s'essouffler. Il n'en est rien. Jusqu'où allons-nous descendre ? Et, descendus très au-dessous du raisonnable, comment reviendrons-nous à la raison, et dans quel état ?
L'année 93 aura vu nombre d'entreprises de la production et de la distribution travailler à marge nulle. Qu'on ne vienne pas nous parler de civisme ou de solidarité à L'égard des plus défavorisés de nos concitoyens, chômeurs en particulier. Nul n est dupe de tels alibis.
Nous vivons sous pression, en gérant tant bien que mal le court terme, au mépris de l'avenir. La politique du prix le plus bas, c'est la politique du pire.
Elle ne peut prétendre honnêtement répondre aux exigences de qualités requises par le plus élémentaire respect du consommateur. Elle ne peut prétendre agir dans le sens d'une quelconque relance économique. Elle est la négation des politiques dynamisantes de recherche et de développement. Elle engendre des concentrations sauvages, de part et d'autre, réductrices, uniformisantes et, pour tout dire , suicidaires.
Nous avons été les témoins de la faillite des systèmes concentrationnaires au plan politique et au plan économique et cela ne nous a rien appris. Quant aux "attentes" des consommateurs, si Von veut bien les considérer avec un minimum d'impartialité et de bon sens, disons-nous bien qu'elles ne peuvent être révélées que par des créatifs, capables d'en devancer L'expression.
Il en est est des produits de consommation comme des modèles et des cultes. Nul n'avait rêvé Marilyn Monroe avant qu'elle ne se manifeste. Nulle n'avait rêvé d'une mini-jupe avant qu'elle ne soit créée. Or la création n'est possible que si la recherche peut exister, se matérialiser, être offerte au plus grand nombre. Où est-elle, dans la fuite en avant stérilisante, précarisante et castratrice que constitue la focalisation sur le prix le plus bas ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 148 - 25.02.94
VU D'AILLEURS
■ Le paysage de la grande distribution française constitue un grand sujet d'étonnement pour les étrangers. Plus on s'éloigne de l'Europe, plus l'effet est amplifié. L'explosion rapide des grandes surfaces, leur gigantisme galopant, les rapports commerciaux entre enseignes et fournisseurs, le mode de référencement et d'implantation des produits et, plus récemment, la focalisation sauvage sur le prix le plus bas, sont considérés comme autant de sujets de perplexité. Ce qui ne signifie pas pour autant "sujet d'admiration". Colosse aux pieds d'argile, telle est l'image de notre grand commerce. Quelqu'un qui a oeuvré pendant vingt ans dans ce secteur, en France, emploie une formule plus brutale et qualifie notre grande distribution de "bébé obèse".
Les français, ce ri est pas une découverte, sont assez nombrilistes. Ils ont du mal à se mettre et à se remettre en question et demeurent volontiers le nez collé au terrain, même s'ils ont le sentiment que les choses devraient être améliorées, voire revisées, ou plus radicalement envisagées sous un angle nouveau. Nous vivons le présent, avec un oeil dans le rétroviseur et, quand nous commençons à l'analyser, nous sommes déjà dans le passé.
Ce ne sont pas les directions d'enseignes qui s'inscriront en faux contre cette réflexion, elles ont assez de mal à faire "bouger" les hommes de "terrain" qui ont, pour la plupart, tendance à traîner les pieds quand il s'agit de sortir de la routine. C est valable pour chacun d'entre nous : nous ne prenons pas assez de hauteur par rapport au sujet qui nous occupe, pas assez de distance, et nous avons une idée assez auto satisfaite de nos façons d'être et de faire.
S'interroger sur nos objectifs, la*façon de les atteindre, voir l'horizon plus vaste, regarder autour et alentour, et re-situer le tout dans un contexte plus large, n'est-ce pas possible ? Cela signifierait que nous sommes adultes et que nous savons relativiser nos faits, gestes et façons pour les ramener à l'échelle mondiale, et, dans le sens de la vie.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 149 - 04.03.94
RECHERCHE SUJET D'ENTHOUSIASME... DESESPEREMENT
■ Semaine après semaine, d'éditorial en éditorial nous essayons de faire bouger ce qui est figé, de faire avancer ce qui est stagnant, de créer des synergies là où règne l'apartheid sectoriel. Nous essayons aussi de vous faire sourire. Vaste programme.
Animés d'une certaine confiance dans les ressources du génie humain, nous nous sommes dit : fustiger, c'est utile, dénoncer aussi, mais de temps en temps, ne serait-ce pas plus gratifiant de développer un beau sujet d'enthousiasme.
Prêcher dans le désert pour prêcher dans le désert, autant prêcher beau.
Alors, nous avons inspecté l'actualité.
Un chiffre a retenu notre attention : 87,6 milliards de francs d'excédent dans notre balance commerciale. Alléluia ! Cette exclamation de joie s'est vite éteinte. Si la balance penche apparemment du bon côté, c'est parce que le chiffre des importations a chuté, ce qui ri est pas vraiment un signe de bonne santé. Dans l'intention d'élever le débat au-dessus des questions de commerce ou de consommation, nous avons trouvé : la Bosnie, le chômage aggravé, les attentats en Algérie, la prestation de notre Premier Ministre dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ri était pas de nature à galvaniser les foules et, pour se rapprocher de notre terrain favori d'orgueil national, des jeux olympiques où nous brillons plus par notre absence que par nos performances.
On pourrait remplir une bibliothèque avec le seul exposé de nos sujets d'inquiétude et de mécontentement, sans compter les seules déceptions. Nous n'allons certainement pas nous avouer battus pour autant. Mais enfin, où se cachent-ils, ces sujets d'enthousiasme qui nous donnent des ailes, qui se répandent comme des jours ensoleillés dans notre fil des jours gris, qui font se tutoyer des inconnus et s'embrasser des ennemis.
Où est-il, ce courant électrisant ? A voir les visages fermés, quand ils ne sont pas carrément hostiles, des foules que l'on croise dans les villes, du 1er janvier à la Saint-Sylvestre, on peut se demander s'il est raisonnable de chercher l'embellie. Alors nous jetons la balle dans votre camp. Pourquoi ne serait-ce pas votre tour ? Vous, qui nous faites l'honneur de nous lire, écrivez-nous, appelez-nous, dites-nous "voilà au moins un sujet d'enthousiasme", si petit soit-il, il nous intéresse tous. Ce n'est pas une clause de style, quand nous vous faisons cette annonce : Recherche sujet d'Enthousiasme ... Désespérément.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 150 - 11.03.94
VOUS AVEZ DIT CULTURE" ?
■ Nous vivons des temps barbares.
Le premier et le dernier mot, en toutes circonstances, reviennent à la violence aveugle. Menaces, épreuves de force, tueries sont notre lot devenu habituel. Faute de s'entendre, faute de parler le même langage, faute d'avoir des buts collectifs fondés sur des valeurs réelles, nous vivons sous des lois plus féroces que celle de la jungle. Dans ce contexte, on n'a jamais autant entendu prononcer le mot "culture". Paradoxal, non ?
Mettant la charrue devant les boeufs, d'une façon maladroite pour ne pas dire inopportune, notre Ministre de la Culture nous ouvre un débat sur le franglais et nous expose le projet d'une légifération punitive, rétrograde et pour tout dire inapplicable, fondée sur l'interdit. Outre le fait que le franglais n'est pas un phénomène récent, mais date de la fin de la seconde guerre mondiale et que la réaction à sa montée en puissance apparaît tardive et dépassée, nous en agiter l'épouvantait sous le nez n'est-il pas une façon de détourner notre attention des vrais débats ? Se mobiliser pour une culture francophone, certes, c'est essentiel, mais ne faudrait-il pas prendre en amont les mesures qui s'imposent ?
Avant la culture, il y a l'éducation.
Les petits écoliers "francophones" apprennent-ils vraiment à parler français ?
Apprennent-ils à parler d'autres langues, dont l'incontournable anglais, pour éviter la confusion ?
Nous savons tous que la réponse est non.
A l'heure où les frontières s'ouvrent, pour la majorité de nos contemporains demeurent des barrières linguistiques infranchissables, au grand préjudice de nos rapports de tous ordres avec le reste du monde.
Au regard des étrangers, proches voisins en tête, nous sommes plutôt paresseux dans l'apprentissage des langues, volontiers chauvins, rarement accueillants et carrément pas ouverts à ce qui est différent de nous.
Faut-il ajouter à notre ostracisme sous prétexte de protection linguistique non assortie de la connaissance d'autres langues que la nôtre ?
Ne traitons pas le français comme une langue morte. Ne le mettons pas au musée, et, si nous voulons qu'il vive, animons-le de mots qui aient un sens. Tiens, imaginons, par exemple, qu'au lieu de laisser nos inventions et découvertes nous filer entre les doigts au terme d'un système de protection archaïque, nous prenions leur avenir au sérieux. Nous pourrions en signer les brevets, exprimés en français, et nous serions à l'origine des termes qui les définissent : la langue s'enrichirait, et sa pratique aussi. C'est sans doute l'un des paramètres indispensables à la réintroduction du français dans les colloques internationaux.
Les actions positives sont possibles. Le conservatisme... est lettre morte. Si nos édiles retroussent leurs manches, que ce ne soit pas en vain.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°151 - 18.03.94
PRECARITE
■ 70% des produits nouveaux disparaissent de la commercialisation, souvent avant d'y être vraiment entrés, et ce chaque année.
Si toutes les nouveautés ne sont pas forcément adéquates aux évolutions de la consommation, on peut cependant s'étonner de l'importance du "déchet".
Qu'on ne vienne pas prétendre que le verdict est celui du consommateur. Dans la majorité des cas, il n'a même pas eu le temps de s'apercevoir de l'existence du produit, à fortiori, il a encore moins eu l'occasion de l'essayer, de l'adopter, voire d'en consacrer le succès.
Tout va trop vite. Il serait plus juste de dire "à la hâte". Paul Virilio dans "l'art du moteur" analyse d'une façon qui devrait nous inquiéter les dégâts du "temps réel". Parallèlement, l'espace, lui aussi, est devenu la peau de chagrin. Espace publicitaire, espace de commercialisation, les places sont de plus en plus étroites et de plus en plus chères, et le "visible" de plus en plus réducteur et précaire. A la recherche des opportunités et de l'art de vivre perdus, n'êtes-vous pas tenté de vous demander pourquoi nous gérons notre temps et notre espace dans une logique de pénurie ? Au plan strictement commercial, sachant le poids de l'impulsion dans la valeur ajoutée des produits achetés, comment voulons-nous que l'impulsion évolue positivement dans un contexte de précarité institutionnalisée ?
De plus en plus urgente se fait la nécessité de créer de réelles actions communes à la distribution et à la production, pour que l'innovation et la nouveauté trouvent des modes de mise en avant suffisamment durables pour être perçues, et détachées de la transaction commerciale du référencement, cette procédure dont on sait la lourdeur et ï éloignement du terrain que représente le point de vente. Il y a beaucoup de choses à faire, beaucoup de synergies éventuelles à mettre en oeuvre : du trade marketing à part entière, en quelque sorte.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 152 - 25.03.94
MERCI POUR L'ENTHOUSIASME
■ Vous avez été nombreux à réagir à la lecture de notre édito "Recherche sujet d'enthousiasme désespérément". Certains d'entre vous, comme nous l'espérions, nous ont fait part d'actions et de résultats positifs, pour alimenter notre optimisme quelque peu anémié.
Dominique Norguet, directeur de la communication de Philips Electronique Grand Public, nous annonce l'embauche de 22 ingénieurs supplémentaires au Centre de Recherche et Développement du Mans, consécutive au succès des terminaux téléphoniques conçus, développés et produits sur le site du Mans. Huit cent mille foyers français, acquéreurs de ces produits, ont permis à Philips de reconquérir la place de n° 1 sur le marché national.
Jacques Joux, directeur de marketing Candia, constate, avec satisfaction, la poursuite de la progression des marques nationales -et du leader Candia- sur le marché du lait. Cette progression récompense un bel effort de débanalisation et de diversification, soutenu contre vents et marées, sur un produit basique, avec des investissements d'importance en recherche et développement.
Jean-Luc Paillard, jeune patron de la "Laiterie d'Armor", spécialisée dans les produits laitiers biologiques et dernière laiterie indépendante de Cornouaille, nous fait part d'une action originale "Un yaourt pour l'emploi". C'est une sorte de charte passée avec les Cornouaillais : si chaque foyer -ils sont 60.000, pour 160.000 habitants- renouvelle chaque semaine l'achat d'un produit Laiterie d'Armor, soit 2 500 produits supplémentaires achetés, l'entreprise créera des emplois : 20 postes potentiels à pourvoir. Au bout des deux premières semaines de l'opération, une embauche à été possible. Beaucoup de distributeurs de la région, à Quimper, Concarneau, Fouesnaut, Pont l'Abbé, Benodet, ont accepté de jouer le jeu. Pour renforcer l'impact de l'opération, les 25 et 26 mars, 60 élèves préparant un BTS technico-commercial, animeront les magasins. La presse régionale écrite, et France 3 ont déjà participé à la médiatisation de ce pari. Pour une PME, qui dit mieux ?
Il n'y a pas de "petits" sujets d'enthousiasme, tous sont majeurs. Ainsi, Pierre Lapeyre, président de Copa-Dax, producteur d'asperges des Landes, nous confiait-il qu'un jeune chômeur de la région était venu le voir, pour lui acheter les chutes des asperges calibrées, afin de créer une entreprise de produits transformés (ce qui entre autres avantages, présente celui de lutter contre le gaspillage). Pierre Lapeyre a proposé de donner et non de vendre la "matière première" jusqu'alors inutilisée. Cela s'appelle solidarité et encouragement à la création d'entreprise. Un dossier à suivre. Bien évidemment, le sujet n est pas clos. Vous pouvez, quand vous le jugez opportun, nous écrire ou nous appeler.
Mais d'ores et déjà, merci... pour l'enthousiasme.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 153 -31.03.94
ENFIN RESPONSABLES
■ Certains sont pour, d'autres pas.
La certification des entreprises exige une démarche longue, onéreuse, qui induit l'implication de tous les personnels et ce, dans la durée.
Sur ce dernier point, tous les chefs des entreprises certifiées font le même constat, la responsabilisation de chacun est l'une des composantes essentielles de l'aboutissement de la démarche. A l'heure où, hormis les corporations et les compagnonnages, il devient difficile de rencontrer des "hommes de métier", au savoir-faire spécifié et maîtrisé, voilà une bonne nouvelle.
Que d'un bout à l'autre d'une chaîne de production, chacun prenne pleinement conscience de ce qu'il fait, du comment, du pourquoi et de la finalité de la procédure, n'est-ce pas le renouvellement d'une culture d'entreprise qui a tendance à se perdre ? Les hommes ont besoin d'être fiers de leur travail, de se savoir utiles sinon indispensables, cela fait partie de notre nature et c'est une question de dignité. Les employeurs (de moins en moins nombreux, du moins on peut le souhaiter) qui considèrent leur personnel comme un ensemble de pions indistincts sur un échiquier, ont tort, et s'ils font le point sur les résultats obtenus par leur entreprise, peuvent s'interroger sur l'avantage certain qu'ils trouveraient à prendre en compte cette donnée.
Des hommes motivés, dans des entreprises résolues à apporter à leur clientèle la garantie d'un sérieux et d'un suivi, qui sont volontairement soumis à un contrôle extérieur permanent, ce n'est peut-être pas "tout", mais c'est une base solide, tant dans le domaine de la production que dans celui du service. Sur un autre plan, celui de la sécurité de l'emploi n'est-ce pas également rassurant ? Le personnel d'une entreprise qui a bénéficié d'une formation, qui a appris ou réappris le sens de la qualité dans le travail, a également une conscience plus précise du devenir de l'entreprise et de son propre avenir professionnel, dans lequel il peut avoir une confiance accrue. Est-ce que cela ne vaut pas la peine de se sentir responsable, enfin ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 154 - 08.04.94
A PROPOS D'EDITO
■ Mais, à propos, qu'est-ce qu'un "Editorial" ?
Tout d'abord, c est une offense à notre actuel ministre de la Culture, puisque le mot est emprunté, depuis la première moitié du dix-huitième siècle, à l'anglais.
Ensuite, et d'une façon plus sérieuse, c'est l'expression de la volonté d'une direction d'édition. Autrement dit, dans un editorial, nous définissons une philosophie, une politique, une stratégie : nous synthétisons, autant que faire se peut, ce qui constitue notre raison d'être. Depuis quelques mois, il devient de plus en plus évident que nous avons réussi à créer des liens -et pas seulement des alliances objectives- entre nos lecteurs de différents secteur d'activités, et qu'il s'établit, avec nous et travers nous, une conversation constructive entre vous, lecteurs, dont nous sommes le catalyseur. Bref, nous ne sommes pas neutres, mais, pour employer une expression à la mode, interactifs, et heureux de l'être devenus.
Par vos témoignages de tous ordres, nous savons que vous appréciez le sens de notre information, orientée vers le dynamisme, la combativité, l'initiative, le goût de l'entreprise et de la réussite et l'art de bien faire ce que l'on fait et de bien êtrece que l'on est. Nous savons que vous utilisez la masse de documentation que nous vous apportons dans l'état d'esprit qui est le nôtre, celui d'un pari gagnant, gagnant et solidaire.
Editorialistes, nos propos, au fil de vos préoccupations, de vos interrogations, de vos enthousiasmes -puisqu'il semble que nous vous ayons donné l'envie de les partager- sont entrés dans votre paysage familier.
Faire le point, aujourd'hui ? Mais pourquoi pas aujourd'hui ? Nous n'avons rien à célébrer en particulier, si ce n'est le sentiment de l'arrivée d'un nouveau courant. Les français se réveillent. Fini le romantisme de l'échec. On se met à aimer les battants, ceux qui gagnent, ceux qui sont fiers d'être numéro 1.
Tous ces mots, direz-vous, pour en arriver là ?
Oui précisément, parce qu'il est également clair que les français ont besoin du temps nécessaire pour qu'un vrai dialogue s'instaure. Rien d'important ne se construit sans le temps, pas même une conversation.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 155 - 15.04.94
QUAND SYNERGIE N'EST PAS UN VAIN MOT
■ Souvent détournées de leur vocation, les opérations de trade-marketing sont l'occasion pour le distributeur de mettre à contribution le producteur consentant. Chacun le sait et chacun sait aussi que c'est non seulement une pratique un peu perverse mais encore l'expression d'une politique à court terme.
Et si tout cela était en train de changer radicalement ? Sans crier victoire prématurément, on peut tout de même se réjouir.
Depuis quelques mois, nous voyons, ça et là, paraître, à l'origine de produits nouveaux, l'aboutissement des efforts conjugués de producteurs maîtrisant un savoir-faire irréprochable et de distributeurs à l'écoute du consommateur, tel qu'il se comporte au point de vente, c'est-à-dire, là où se joue la partie finale.
Il ne s'agit pas uniquement d'améliorations pratiques, sur des types de conditionnements ou des formats de produits adéquates à des consommations individualisées, par exemple. Non. Il s'agit bel et bien de produits tout-à-fait innovants. Gageons qu'au SI AL 94, une nouvelle génération de produits née de la coopération des services de recherche et développement des distributeurs et des producteurs tiendra le haut du pavé.
Ne dévoilons pas ce sur quoi les uns et les autres veillent jalousement. Révélons seulement que MONOPRIX, CASINO, CARREFOUR, AUCHAN figurent au hit parade des enseignes entrées dans cette logique, en priorité dans les secteurs en pleine explosion.
Si l'on conclut sur le constat d'une implication des enseignes qui n'est généralement pas assortie d'une exigence de produire "à la marque d'enseigne", ne peut-on pas se dire qu'un grand bout de chemin a été vite parcouru dans le sens de la maturité des enseignes, des producteurs et de la prise de conscience des uns et des autres de devoir agir ensemble ou d'être condamnés à s'affaiblir, voire à disparaître ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 156 - 22.04.94
QUAND LES ETATS D'AME S'ETERNISENT
■ Les consommateurs ont leurs états d'âme et leurs humeurs. Liées à des difficultés économiques, les bouderies pourraient passer pour conjoncturelles, si l'on ne décelait, dans leur durée, des signes de plus en plus précis de mutation profonde, structurelle, donc.
De moins en moins fidèles, aux enseignes et aux marques, les consommateurs ont appris à utiliser les unes et les autres comme des points de repère, et à louvoyer en appréciant chez les unes et les autres les avantages concrets qu'ils peuvent en attendre.
Ce fameux rapport qualité-prix, au centre des discours de la production, de la distribution et des média, est une notion d'autant plus difficile à appréhender qu'elle est, en bonne partie, subjective. Le consommateur dont se dessine le nouveau profil ne cherche plus de points de repères sociaux, à l'instant d'effectuer un achat, il recherche le produit ou les produits qui lui conviennent tout-à-fait "individuellement", en fonction des usages qu'il a décidé d'en faire.
Or, il peut décider de "se" faire plaisir ou de "se" rendre service, avec des produits dans lesquels ces notions n'étaient pas forcément jusqu'alors prioritairement prises en compte. Ainsi, certains produits "basiques" se trouvent-ils, paradoxalement, en pleine logique de débanalisation, et la notion de luxe a-t-elle changé de contenu.
S'il n'est évidemment pas possible de prévoir et de devancer les désirs du nouveau consommateur, en revanche on peut d'ores et déjà affirmer sans se tromper que ce consommateur de fin de siècle recherche déjà tout ce qui peut donner des signes de qualité plus humaine et plus proche de valeurs d'authenticité clairement démontrées. A l'inverse, tout ce qui vise à le couler dans un moule indistinct peut se mettre ou se remettre en question.
Sous quel signe la consommation de demain va-t-elle se dessiner ? Nous ne le savons pas, mais, de toutes façons, pas sous le signe de l'uniformisation.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 157 - 29.04.94
AIDE-TOI...
■ Nous avons pris l'habitude de saluer les initiatives de producteurs dynamiques, de PME, voire d'entreprises individuelles, imaginant que les exemples cités pouvaient créer une émulation et lutter contre l'état d'esprit d'éternels assistés de nombre de nos contemporains.
Il y a, à l'inverse, des moments où nous avons besoin de nous mettre en colère.
Nous avons presque quotidiennement, l'occasion de rencontrer ce qu'il est convenu d'appeler des "gens de terrain". Parmi ceux-ci, des gens de tous âges, de conditions diverses, producteurs de "produits bruts", de "produits de première transformation", et ainsi de suite. Or, certains d'entre eux tiennent un discours impardonnable : "on nous a dit défaire ceci... on nous a demandé défaire comme ça... on nous a fait croire..." dont la conclusion immanquablement est celle-ci "et maintenant, achetez-la, ma production ou donnez-moi une subvention".
Mais où est l'esprit d'entreprise, pour eux ?
Ne peuvent-ils pas se prendre en main, regarder autour d'eux, apprécier à leur juste mesure les changements du monde dans lequel nous vivons, et retrousser leurs manches pour produire en toute lucidité quelque chose d'adéquat à des types de consommateurs d'aujourd' hui ? Il y a, pour une infinité de produits, des destinataires potentiels, mais il n'y a plus de n'importe qui pour consommer n'importe quoi. Produire sans réflexion préalable, sans intention précise d'apporter à quelqu'un de défini un objet, un service, un plaisir, un aliment nécessaire ou un luxe clairement convoité, est suicidaire. Autant mettre à la poste un courrier sans adresse de destinataire et sans indication précise d'expéditeur.
Mais si l'on a commis l'erreur de faire n'importe quoi n'importe comment, il ne faut pas s'en prendre à autrui ni vouloir faire payer ses erreurs par la communauté.
Quant au Ciel, il aide ceux qui commencent par s'aider eux-mêmes, en l'occurrence ceux qui sont capables de prendre des responsabilités et des risques calculés, en fonction d'une forte capacité à travailler dur pour recevoir la juste rémunération de son travail.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 158/159 - des 06 et 13.05.94
QUESTIONS DE POUVOIRS
■ On est convenu de classer, dans l'ordre, les pouvoirs : législatif, exécutif, judiciaire, suivis, au coude à coude, par le pouvoir "de la presse" et par celui de la médecine. Ne serait-il pas d'une brûlante actualité d'ouvrir les yeux et de réviser nos positions, en fonction de réalités, même si celles-ci ne sont pas agréables à constater ?
Le pouvoir de l'argent n'est nulle part évoqué, alors qu'il soutend pratiquement tous les rapports de forces de notre époque. Quant au pouvoir médiatique, pudiquement désigné comme celui de la "presse", n'est-il pas urgent de le redéfinir et de le reclasser, ne serait-ce que pour mieux le cerner, le reconnaître, s'en défier, le maîtriser si c'est encore possible ? Tous les média ne sont pas logés à la même enseigne, loin s'en faut. Tandis que décline le pouvoir de la presse écrite, en particulier celle qui demande au lecteur de faire appel à sa propre réflexion, le média télévision s'est imposé, dans un autre registre, avec ses images "en temps réel", réductrices et prédigérées, de Dallas aux "reality shows", et même aux "talk shows" où la vedette n'est plus la personnalité invitée mais l'animateur. La boîte aux images a mis l'emballage avant le contenu, et ce n'est qu'un début. La télé prend le pouvoir. Premier exemple, l'élection de Berlusconi. Nous n'entrons pas ici dans un débat politique, nous constatons un fait. L'Italie vient d'élire non pas un homme, non pas une idée, non pas un projet, mais le discours télévisuel lui-même.
La campagne de Berlusconi ? Un miroir d'images flatteuses, touristiques, édulcorantes et publicitaires, dans lequel les Italiens ont cru s'autocontempler dans un devenir comme un soap opéra. Quand le phénomène Berlusconi est devenu possible, à la dimension d'un pays d'Europe, on peut imaginer ses manifestations éventuelles aux dimensions mondiales. Curieusement, sur les chaînes de télévision codées, on pouvait, tandis que se déroulaient les élections italiennes, voir ou revoir "1984" de Georges Orwell, prémonitoire et de plus en plus rapproché. A relire avec attention et angoisse, et, pour compléter une culture d'inquiétude salutaire, relire, dans la foulée "Farenheit 451" (Bradbury) et le "Meilleur des Mondes" (Aldous Huxley). L'ensemble constitue une belle analyse de la manipulation, aggravée par le consentement des manipulés.
Tout cela est bien éloigné de nos petits et grands problèmes quotidiens à résoudre... Croyez-vous ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 160 - 20.05.94
LE POUVOIR DE DIRE NON
■ A force de tiédeur, de non-dit, de prudence et d'édulcoration, nous finissons par devenir collectivement et individuellement abouliques.
Nous consentons, nous laissons faire, nous laissons aller.
Si nous disons oui, du bout des lèvres et sans ardeur, en revanche, nous avons perdu l'habitude de savoir ce que nous ne voulons pas et de répondre fermement et activement non, même quand le simple bon sens nous dicte de le faire.
Mais avons-nous du bon sens ?
Réfléchissons, interrogeons-nous sur le bienfaisant et libérateur pouvoir de dire non.
Si nous savions user de ce pouvoir que nul ne nous conteste, peut-être serions-nous débarrassés d'un grand nombre de nuisances qui nous rendent, enfin de compte, la vie insupportable, dans le détail et dans la globalité. Plus d'enfants mal élevés, accapareurs, envahissants, plus de surendettement des ménages, plus d'encombrement créé par tout ce que nous sommes capables d'emmagasiner d'inutile, en matière de biens de consommation, de services, voire d'obligations que nous nous créons (même pas pour le plaisir d'autrui) par pur souci d'être conforme.
Si nous reprenions nos modes de pensée à la base ? Cela n'assainirait-il pas nos rapports, même si nous sommes dans la peau de celui qui demande un accord.
Peut-être nos arguments tentateurs et vendeurs reposeraient-ils sur du solide, de l'authentique, du bien-fondé.
Cessons d'imaginer, à tort, que notre confort, notre paix, notre relatif bonheur de vivre reposent sur le laxisme, et nous ne verrons plus de Serbes mettre en cage des médecins sans frontières, sachant que nous ne lèverons pas le petit doigt.
Consentir par défaut est une erreur.
Prenons en considération notre pouvoir de dire non, nous nous en trouverons mieux, et, nous nous en apercevrons vite, ce pouvoir est un devoir.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 161 - 27.05.94
SOURIEZ, NOUS FERONS LE RESTE
■ Les Français, dit un récent sondage, retrouvent, en majorité, leur optimisme. A la traîne, les Parisiens et les agriculteurs demeurent moroses. Les jeunes et les hommes sont en tête, pour le sourire retrouvé. Parallèlement, on apprend qu'ils ont repris, en 93, le chemin des salles obscures, sous la double impulsion de l'arrivée à l'écran des Visiteurs et de Germinal, le premier ayant battu Jurassic Park, une grande machine au succès mondial pré-programmé. A l'époque de l'année où les loisirs et les jeux s'installent au premier rang de nos préoccupations, n'y a-t-il pas, même dans le domaine du marketing, tous produits confondus, de leçons à tirer de ces constats ?
Quand les Français sont tristes, c'est qu'ils n ont pas de sujet de réjouissance.
Quand les Français boudent le cinéma, c'est qu'ils ne trouvent pas de films qui leur conviennent. Si tous les peuples sont animés du même besoin de "pain et de jeux", rien n'ayant changé sous le soleil depuis l'Empire Romain, à cet égard, toute la différence tient dans la sorte de pain et de jeux qui leur convient. Au pays d'Astérix, on a une forme de pensée très spécifique. La faculté de rire, de sourire, de s'émouvoir, de se positionner et même d'être heureux (osons le mot à contre- mode, tant pis), nous l'avons. Encore faut-il l'alimenter d'une façon adéquate pour qu'elle s'exprime. Nous avons aimé et nous aimons toujours, pêle-mêle, Molière et Coluche, Germinal et Cyrano de Bergerac, vive donc Jean-Marie Poiré et Claude Berri et qu'il naisse beaucoup de nouveaux talents, à qui l'on donne les moyens de réaliser une oeuvre.
Quant au pain, si notre quotidien se reconnaît dans la baguette croustillante, donnez-nous de la baguette croustillante et déclinez ce thème.
Souriez nous ferons le reste, disent ceux qui produisent. Non. Faites d'abord le reste, nous sourirons ensuite.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 162 - 03.06.94
BOISSONS ET IMAGE
■ A l'heure où les questions relatives à l'eau et aux nappes phréatiques de la planète se font de plus en plus graves et pressantes, la nécessité où nous nous trouvons de boire pour vivre prend un sens complet, qui dépasse largement les enjeux économiques liés aux marchés des boissons.
Tout ce que nous buvons, en plus de la fonction nourrissante, désaltérante, conviviale, agréable... de la boisson concernée, c'est également de l'image. Les boissons ont un statut et celui-ci est véhiculé par une image qui n'est pas monolithique, mais liée à une obligation de renouvellement et d'adaptation aux moeurs et aux époques.
La promesse faite par l'image, si elle n'est pas tenue, risque de compromettre l'avenir du produit qui la projette. Les eaux conditionnées sont sans doute l'une des boissons les plus sensibles à cet effet. Que l'une, symbole de pureté ou l'autre, symbole de minceur, manque à l'image donnée, les bouleversements les plus graves se produisent sur son marché.
Si l'on a oublié, dans l'usage quotidien ou fréquent, de quelle exigence et de quels besoins sont nés des produits tels que la bière ou le vin, en revanche, on a périodiquement besoin de les restituer dans leurs traditions respectives, pour se donner à soi-même des repères de consommation. Les boissons dont la légitimité se fonde dans le statut social qu'elles représentent, sont tenues de réajuster leur contenu d'image, au fil des évolutions des rapports sociaux. C'est ainsi que, dans l'hexagone où il n'a pas de fondement culturel, le whisky, après avoir opéré une percée comme boisson de "représentation", a renforcé ses positions en s'accréditant par son origine et par une éducation à ses goûts et traditions de consommation. La place des boissons dans nos moments de consommation et la cible d'âge des consommateurs sont des composantes de première importance dans la construction et la médiatisation de leur image.
Oui, les enjeux sont capitaux, puisque notre vie est liée encore plus étroitement à la boisson qu'à l'alimentation solide.
Et puis, élément non négligeable pour les producteurs, négociants et commerçants, s'agissant de boissons "culturelles", tel le vin, l'âme du produit et ce qu'elle exprime d'elle-même sont le plus pérenne des fondements de leur valeur ajoutée... parfois inestimable.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 163/164 - des 10 et 17.06.94
LA VOLONTE D'OSER
■ La disparition du baron Bich laisse orphelins un stylo à bille, un briquet, un rasoir, tous jetables, tous entrés dans la légende de notre civilisation.
Ces trois objets liés désormais à notre quotidien témoignent à la fois de la qualité de visionnaire de celui qui les a mondialement commercialisés et de son indéfectible pugnacité mise au service de l'audace.
Ces trois objets ont valeur de symbole, mais ce qui a valeur d'exemple dans l'aventure du baron Bich, c'est l'imagination et le non-conformisme avec lequel l'homme s'est comporté, pour aller jusqu'au bout de l'exploitation de trois grandes idées qui ont pacifiquement contribué à révolutionner notre vie quotidienne.
Un objectif clairement défini et poursuivi en dépit de l'incrédulité des banquiers (déjà) et du monde établi des affaires, le choix d'une implantation aux USA, lien unique pour parvenir à la mondialisation de la commercialisation des produits, sont sans doute la part la plus importante de la qualité d'anticipation du baron.
Imaginer, oser, savoir mener jusqu' au bout l'entreprise : c'est toujours possible et plus que jamais d'actualité. Quand vous êtes tenté de baisser les bras, dans une entreprise avant-gardiste, pensez au baron Bich, cela vous donnera peut-être le courage de persévérer et d'aboutir, et ce sera une façon de lui rendre hommage qui vaut tous les éloges funèbres.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 165 - 24.06.94
LE PARADOXE DU "TAUX DE REMONTEES"
■ Un animateur de télévision l'avait fait remarquer, en son temps, si tous les acheteurs de frites Me Cain avaient répondu à l'offre du producteur, de remboursement total des achats effectués lors d'une période de promotion, le producteur était ruiné.
Le producteur ne vivait pourtant pas dans l'angoisse. Nous le savons tous, et les cabinets d'études les plus réputés en font l'observation sans cesse renouvelée; aussi attractives qu'elles soient, les offres non aléatoires de remboursement total ou partiel, à partir du moment où elles sont différées et portent sur de petites sommes n'incitent guère à l'achat d'un timbre-poste et à l'envoi d'un courrier. En revanche, elles ont le mérite d'attirer l'attention sur le produit et d'en multiplier l'achat.
Paradoxal, non ?
La psychologie des consommateurs n'est pas simple. La frontière entre l'attraction et le désintérêt est une zone étroite et hypersensible. Les "seuils psychologiques" de prix peuvent décider de la réussite ou de l'insuccès d'un produit, et l'équilibre entre le crédible, l'incitatif, le raisonnable est sans cesse à reconsidérer. A force de parler et d'écrire sur le fameux rapport qualité-prix, on finit par perdre un peu de vue la complexité de ce qui le compose... et c'est ainsi qu'on en vient à remettre en question la légitimité des grandes marques. Grave erreur, dont nous constatons les dégâts lors de l'effondrement d'un marché dans la banalisation. Nous sommes loin du propos initial, croyez-vous ? Non. Nous sommes au coeur du sujet : le rapport du consommateur au produit, l'importance de tout ce qui incite à l'achat, et quelque chose qui peut faire sourire, qui s'appelle la connaissance et le respect du client. Libre à chacun de faire ses propres variations sur ce thème.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 166 - 01.07.94
LEVIER OU BEQUILLE
■ Treize manifestations, à Paris, Samedi 18 juin.
Qui se moque de qui ?
On commence par ressentir un certain agacement, mais, passée cette réaction épidermique, on se pose des questions. Tous ces manifestants souhaitent attirer l'attention des pouvoirs publics et alerter l'opinion publique, c'est entendu. Mais, outre le fait qu'une manifestation en occulte une ou plusieurs autres et que les motards et les homosexuels ont tiré la couverture médiatique à eux -c'est la loi du spectacle- on peut douter du bien-fondé de la démarche. Ne révèle-t-elle pas, une fois de plus, avec la manie de se faire prendre en charge par autrui, l'impuissance à s'assumer qui amène à une dérive et à une confortable confusion mentale ?
Il faudra sans doute ajouter à la liste des toxiques connus (ou moins connus), la manif. Oui il y a une toxicomanie de la manif, dans la mesure où, détournée d'un vrai sujet d'intérêt général, elle devient l'occasion de se créer une illusion de puissance, un défouloir, une exhibition. Il en est de la manif comme des autres "toxiques". Non détournés de leur usage, ce ne sont pas des dangers. L'alcool bu pour le plaisir de sa dégustation, le tabac fumé pour la délectation, le médicament pris à titre curatif... et l'automobile utilisée comme un véhicule... tant qu'ils n engendrent pas la démesure, parce qu'on en use pour "l'effet produit", parce qu'on imagine que les chagrins, les soucis, le poids des responsabilités, l'âge, la misère, que sais-je encore, peuvent trouver une solution dans le verre de trop, le tabagisme, l'excès de médicaments de confort ou le pied sur l'accélérateur, tous ces produits et bien d'autres font partie de la vie. Oui, tout est question de mesure. La manif pour la manif, c'est une aberration. Nous avons tous droit à la différence, à la liberté, à un certain respect de notre façon de vivre.
Devons-nous pour autant nous enivrer de slogans, de bruit et de revendications stériles pour faire valoir ces droits ? Méfions-nous des hystéries collectives autant que des hystéries individuelles. Au lieu de chercher dans des évasions vaines ou des mouvements défoule éphémères, des béquilles pour nous tenir debout, ce sont plutôt des leviers d'action que nous avons besoin de trouver et d'apprendre à utiliser. Il y en a. Heureusement, nombreux sont ceux d'entre nous qui le savent, même parmi les "minoritaires" ou les "marginaux". D'ailleurs, on est toujours le marginal de quelqu'un d'autre.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 168 - 26.08.94
BONNES RESOLUTIONS
■ Les bonnes résolutions se prennent en début de saison. Ensuite, elles s'effilochent au fil du temps. Rattrapés par des problèmes "d'urgence" à résoudre en priorité absolue, nous sommes détournés de l'essentiel. Nous n'y prenons pas garde, mais l'essentiel négligé se rebiffe, pour créer... des problèmes d'urgence... qui nous entraînent dans une spirale dangereuse.
Pas au hasard, parlons d'écologie. Tarte à la crème pour les uns, grand fromage politico-culturel pour d'autres qui s'en nourrissent au mépris de l'universalité préoccupante du sujet, pour vous, nous, moi, qu'est-ce que c'est, l'écologie dans le quotidien public ou privé ?
Tiens, les écoproduits et les écoemballages, ceux qui sont créés, utilisés et détruits ou recyclés sans polluer, que faisons-nous pour qu'ils assument cette non-pollution ou ce recyclage, dans les faits ?
Bien sûr, nous avons tous (ou presque) fait usage des poubelles sélectives et pris la peine de déposer nos emballages/verre dans les conteneurs verts prévus à cet effet.
Est-ce vraiment suffisant ?
Industriels et commerçants, vous êtes nombreux à accomplir des démarches écologiques. C est vrai. Et cela vous coûte de V énergie, de V invention, de l'argent. Mais que faites-vous pour créer chez l'usager le "réflexe écologique" qui rendra réellement votre démarche efficace ? Vous le savez, un avantage non perçu n'en est pas un. Un produit recyclable qui n'est pas amené jus qu'au recyclage n'est qu'un produit comme les autres. Si vous ne créez pas de structures vous-mêmes, incitatives à l'écologie quotidienne individuelle ou collective, vous pouvez vous concerter et travailler avec les pouvoirs publics de l'ADEME par exemple pour faire naître, indépendamment de tout contexte politique ou partisan de quelque sorte, une pensée, une habitude, une réflexion appliquée enfin vraiment ECOLOGIQUE.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 169/170 - des 02 et 09.09.94
MODE D'EMPLOI A LA CULTURE
■ Communiquer simplement et systématiquement le mode d'emploi des produits alimentaires, en particulier élaborés et transformés, n'est pas encore devenu un réflexe. Pourtant cette information fait partie du produit ; dans ce secteur comme dans tous les autres.
Il est aussi absurde et méprisant, à l'égard du consommateur, de livrer des riz conditionnés, des produits ultra-frais, des surgelés... sans lui fournir d'indications ni de conseils lisibles (voire agréables à lire) que de lui proposer un meuble en kit, une chaîne hi-fi à monter, sans livret d'utilisation clair, dans un langage accessible à tous.
Si le cas de la dame qui a mis son chat à sécher dans le four à micro-ondes peut sembler isolé, il n'en est pas moins vrai que de nombreux consommateurs recuisent le foie gras mi-cuit, ouvrent les sachets de cuisson dans l'eau du bain-marie ou sont incapables de tirer de leur magnétoscope ou de leur ordinateur domestique autre chose qu'une fonction basique si réductrice qu'on se demande pourquoi ils ont acheté tout ça.
J'oubliais... Est-ce vraiment nécessaire de faire des fautes d'orthographe sur les emballages et d'employer des nêologismes -ou des archaïsmes- inutiles et abscons ? Quand les produits viennent "d'ailleurs", les producteurs ne pourraient-ils pas se donner la peine d'offrir une traduction adaptée et non un incompréhensible mot-à-mot plus générateur de confusion que d'information ?
Plus les produits se multiplient et se transforment en se sophistiquant, plus les cultures populaires se côtoient -souvent sans se mélanger- plus on a besoin d'informations, de repères, de trucs pour que la vie quotidienne ne soit pas une énigme.
On a besoin de se sentir proche des produits, de les connaître et d'en saisir les clés. Pensez-y.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 171 - 16.09.94
TROP C'EST TROP (ENCORE !)
■ Oui, il y en a qui exagèrent et n' en finissent pas de prendre les consommateurs pour des ... Nous voulons parler de magasins de la Grande Distribution.
Ne cherchez-pas le nom d'une enseigne derrière ces propos, car ils en concernent plusieurs, toutes régions et zones de chalandise confondues.
Si l'on interroge les responsables des enseignes, en charge du marketing, de la qualité, de la communication, leurs déclarations d'intentions et leur volonté affirmée vont dans le sens d'une amélioration constante du service au client.
Mais, s'il y a loin de la coupe aux lèvres, il y a un véritable hiatus de cette impulsion... au terrain, dans un nombre de cas trop couramment répandus.
Que les points de vente "petits supermarchés" se posent des questions à propos de la circulation dans leurs rayons, par exemple. Pourquoi les chariots mis à la disposition de la clientèle sont-ils de dimensions destinées plutôt à l'hyper ?
Même seul au point de vente, vous avez déjà des difficultés à prendre les virages, pour aborder les allées perpendiculaires à celle où vous vous trouvez. Aux heures d'affluence moyenne, aggravation des bouchons. Aux heures de forte affluence, tout se complique, du fait que, comme par hasard, la maintenance s'opère et bloque plusieurs entrées de rayons, vous interdisant l'accès et vous obligeant à des manoeuvres de retrait délicates à accomplir. Pour peu que la ligne de caisses soit située trop près des têtes de gondoles, il suffit de deux clients en attente par caisse pour créer un embouteillage. Enfin, croyez-vous que ce n' est pas aggraver l'état de la circulation, que de situer dans les endroits les plus improbables certains produits qui, bien que facteurs de valeur ajoutée et générateurs d'achat d'impulsion, sont toujours difficiles à dénicher, la crème en bombes ou les pâtes prêtes à dérouler, par exemple ?
Les opérateurs du "petit commerce", qui ont non seulement résisté à l'assaut des grandes surfaces, mais qui ont puisé dans leur concurrence l'énergie et les ressources d'imagination propres à se forger des armes pour s'installer dans des bastions imprenables, ne sont peut-être pas nombreux, mais ils tiennent leur revanche. Ils peuvent regarder avec une certaine ironie les mauvais magasins de la Grande Distribution entrer en conflit avec les bons et, à terme assez rapproché, ils auront l'occasion de dénombrer les victimes (pas innocentes).
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 172/173 - des 23 et 30.09.94
GERER N'EST PAS ENTREPRENDRE
■ Même si nous le pensons très fort, ce n'est pas nous qui l'avons dit les premiers. C'était, il y a quelques semaines, le sujet développé par François Dalle, lors d'une émission qui lui était consacrée par France Inter. Après le romantisme de l'échec, le nouveau mal français s'appellerait-il la toute puissance des gestionnaires ? Ne nous faites pas de procès d'intention. Loin de nous l'idée de les vouer aux gémonies. Notre seul souhait serait de les voir tenir leur place utile et nécessaire dans l'entreprise ou plutôt au service de l'entreprise, sans dépasser les limites de l'intervention qui devrait être dévolue à leur secteur précis d'activité.
Aujourd'hui, l'entreprise est, le plus souvent, l'otage d'une gestion castratrice qui, de l'intérieur ou de l'extérieur, substitue la logique bancaire à la vocation d'entreprendre.
Qui n'a pas vu, au nom de la gestion, sacrifier des branches d'activités, aux résultats provisoirement "insuffisants", au risque d'ôter à l'entreprise une chance spécifique de développement à long terme ? Qui n'a pas vu, au nom de la gestion, intervenir des licenciements sauvages, dictés par une méconnaissance du "terrain humain", à savoir des hommes de métier dans le savoir-faire desquels les entreprises ont ancré leur personnalité. Qui n'a pas vu son intuition, son imagination, sa vision à long terme, contrées, contrecarrées, considérées comme nulles et non avenues, au nom de la gestion ? La gestion, c'est bien, mais seulement ce n'est pas tout, cela doit venir "après" tout ce qui constitue le goût d'entreprendre et le savoir entreprendre. Dans toute construction, comme dans celle d'une cathédrale, les arts majeurs dictent l'orientation des arts mineurs. L'architecture de l'ensemble passe d'abord. Dans une entreprise, comme son nom l'indique, entreprendre domine, sinon, nous sommes dans un autre secteur d'activité, l'administration, la gestion, la finance... Heureusement, nombre de PME qui, dans la crise, puis dans la récession, se sont battues, aguerries, renforcées, sont là pour témoigner de la préséance de l'esprit d'entreprise sur la gestion. Vive l'audace, et que les audacieux qui ont trouvé leur voie ne manquent pas de nous faire part de leur expérience, nous serons heureux d'en faire profiter à nos lecteurs.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 177 - 28.10.94
STRUCTUREZ-VOUS
■ A l'occasion de la Semaine du Goût, on a pu voir, notamment dans les magasins Monoprix, les "meilleurs produits des Régions de France et des entreprises françaises" partir à la conquête du grand public. Pas moins de 14 régions, grandes ou de taille plus modeste, ont été représentées de la Bretagne à la Provence, de la Picardie à la Franche-Comté, du Midi-Pyrénée à la Normandie. A côté des produits bien évidemment alimentaires des régions, le savoir-faire de nos entreprises, dans des domaines aussi variés que textiles, cosmétiques, jouets, petit électro-ménager, porcelaine, cristal ou produits d'écriture, revendiquait clairement son appartenance et son implantation régionale : le Jura pour Berchet, la Champagne pour Devanlay, Paris, depuis 1863 pour Bourjois, la Normandie pour Moulinex ou encore le Nord-Pas-de- Calais pour Arques, au hasard.
Si les rapports des entreprises productrices de biens d'équipement, de textiles ou de cosmétiques, avec les enseignes de la Grande Distribution sont en général clairement établis et codifiés, en revanche, en ce qui concerne les entreprises régionales agro-alimentaires, elles sont parfois mises en rapport avec les GMS pour la première fois, à l'occasion d'opérations de ce type.
Sopexa, Comités Régionaux de promotion jouent leur rôle de promoteur médiatique, mais au-delà ?
Au-delà, il manque, sauf dans quelques cas très rares, une structure commerciale fédératrice qui donnerait aux enseignes commerciales l'envie de pérenniser, de renouveler, d'institutionnaliser l'expérience. En effet, si vous interrogez les responsables d'achat des GMS intéressés, vous comprenez très vite que la multiplicité des interlocuteurs-producteurs a fait de l'opération "produits des régions de France" un marathon semé d'embûches qui, peut-être, leur fera remettre à plus tard l'envie de recommencer, même si l'intérêt en terme d'image ou de valeur ajoutée n' est pas à mettre en doute.
Nous aimons le tissu de PME et d'artisans dont nos régions sont faites et nous le manifestons à la moindre occasion. Aussi pouvons-nous nous permettre de leur dire, en toute amitié et en toute lucidité : structurez-vous, créez des synergies opérationnelles pour que votre représentation au terrain national du commerce moderne ne soit pas ponctuelle, occasionnelle ou du seul domaine d'une culture destinée au musée. Soyez dans le présent et dans un avenir qui nous intéresse tous. C'est le moment ou jamais.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 178/179 - des 03 et 10.11.94
ASSEMBLAGE, AUTHENTICITE, PRATICITE
■ Le Sial 94 qui vient de refermer ses portes restera dans les mémoires comme un grand millésime. Qu'il ait véhiculé une atmosphère de "reprise" n'aura échappé à personne. On a pu voir naître un nouvel esprit dans la transaction commerciale. L'élargissement des marchés a, semble-t-il, assaini le climat général. Par dessus tout, le SIAL 94 était gai.
Enfin ! A travers les produits présentés, inédits, récents ou renouvelés, le sentiment que l'on a ressenti, c'est celui d'une liberté retrouvée. Plus d'intégrisme alimentaire. Plus de punition, ni pour le consommateur, ni pour le commerce, ni pour le producteur, a fortiori, plus de punition, non plus, pour les média. Place à la créativité maîtrisée, mais prolifique, protéiforme et soucieuse de la grande diversité des utilisateurs, consommateurs, de tous âges, de toutes catégories sociales, de tous lieux et régions d'habitation. N'ayons pas peur des mots, le SIAL 94 fut oecuménique. En ce qui concerne le coeur de la manifestation, les produits alimentaires dans leur ensemble, bruts ou transformés à des degrés divers, c était une fête de les voir. Assemblage, authenticité, praticité, les 3 thèmes essentiels sur lesquels les producteurs de toutes dimensions ont fait leurs gammes et écrit leur partition, sont des thèmes porteurs. Enfin, on a vu naître des produits qui disent ce qu'ils sont, à quoi et à qui ils peuvent servir, quel plaisir et (ou) quel service on peut en attendre. Modulables, les produits, tous secteurs confondus, s'adressent autant à l'individu solitaire qu'à la famille la plus large. On peut les utiliser vite et bien, sans renoncer à une qualité gustative et sans entrer dans un niveau prohibitif de prix. Authentiques, outre les signes de qualité dont ils portent les multiples estampilles, les produits jouent la transparence, soit dans le conditionnement lui-même, soit dans la façon de communiquer, portée sur celui-ci, soit dans leur façon plus globale de "tout dire" lors de leur mise en marché. Pratiques, ils sont réellement d'une utilisation simplifiée, à des niveaux multiples, soit grâce à des emballages malins, soit grâce à des suggestions d'utilisation qui permettent de les faire passer de l'usage quotidien à l'usage festif, en ajoutant "sa" touche personnelle : le coeur de nos préoccupations d'aujourd'hui. Faire Savoir Faire, témoin et acteur de ce SIAL d'exception, vous invite à en poursuivre la découverte initiée dans ce numéro. Ce fut un grand moment. Il va se pérenniser, sur vos linéaires, dès aujourd'hui.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 180 - 18.11.94
DES THEMES POUR LA FETE
■ Le ton des fêtes de fin d'année, donné de plus en plus tôt et c'est dommage, commence à paraître avec les jouets en vitrine dans les Grands Magasins parisiens.
Cette hâte commerciale, comme la prolifération des Pères Noël et la dépréciation du sens de la fête, finissent par être préjudiciables au commerce lui-même. Une urgence poussant l'autre, la hâte à solder Noël, à peine le dernier morceau de bûche avalé, pour procéder à d'autres mises en place dictées par des lois qui n'ont de commerciales que le nom, détériore les transactions de fin d'année. On peut considérer que c'est tant pis pour le commerce, mais c'est dommage pour la production, dommage aussi pour le public à qui, en principe, est destinée la débauche de produits dont on le gave, bon gré mal gré.
Cette réflexion, nombreux sont ceux qui la font chaque année, sans effet.
Cependant, on peut la nuancer, en considérant le soin que certains commerçants mettent à préparer la fête, à développer des thèmes, à suggérer des cadeaux étudiés qui apportent une nuance de respect, d'élégance et de réel plaisir, entre celui qui offre et celui qui reçoit.
Tiens, parlons alimentaire, puisqu'on mange beaucoup, du 24 décembre au 1er janvier. La patiente élaboration du plaisir, plaisir d'offrir, plaisir de recevoir, plaisir de partager, fait partie du plaisir, peut-être en est-ce la meilleure part.
Forts de ce savoir, des commerçants bien inspirés guident leurs clients sur cette voie royale, et parions qu'ils en seront récompensés par des ventes substantielles.
La Grande Epicerie de Paris, où l'on pratique l'art de conjuguer les courants porteurs, a, par exemple, réalisé trois coffrets-découvertes, gastronomiques cela va de soi, le coffret Italie, le coffret Grande-Bretagne et le coffret France.
L'authenticité régionale, totalement débanalisante, est à la base d'une sélection de produits qui nous permettent de sortir du cercle infernal de la "boîte de chocolats"...
Ainsi, le coffret français, avec ses madeleines de Commercy, son huile d'olive de la Vallée des Baux ou son nougat de Montélimar signé Arnaud Soubeyran, entre autres, est-il à la fois éclectique et tout imprégné de saveurs régionales riches et subtiles au goût et à la mémoire. Sur les thèmes de la fête de fin d'année, espérons que nombre de nos lecteurs auront des exemples à nous proposer, tirés de leurs propres réalisations: nous ne manquerons pas d'en faire état.
Alors, que la fête commence, mais pas n'importe comment.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 181 - 25.11.94
A SOLITUDE DU... DECIDEUR DE FOND
■ Ils sont nombreux. Responsables, motivés, dispersés sur l'Hexagone, investis dans tous secteurs d'activité où le mot entreprendre signifie raison d'exister, leur avenir, celui de leur entreprise et de leurs collaborateurs et salariés, parfois aussi celui de leur ville ou village est lié à leurs décisions et à leur discernement.
Poussés par les urgences de tous ordres, parmi lesquelles celles de la trésorerie et de la fiscalité tiennent une place prépondérante, retenus par le poids des inerties diverses, internes ou externes, entravés par des législations parfois contradictoires et sujettes à interprétations divergentes mises en oeuvre par des administrations aveugles et sourdes au bon sens, ils sont aussi les otages d'une conjoncture économique capricieuse et rarement favorable, aux aléas imprévisibles : grèves, variations monétaires, changement du cours des matières premières, concurrence sauvage venue de quelque point de la planète... Ajoutez à ce tableau, mais peut-être aurait-il fallu commencer par là, qu'ils sont humains, comme vous et moi. A ce titre, ils ont aussi le droit de vivre et de respirer, de partager leur vie avec ceux qu'ils aiment et de se passionner éventuellement pour autre chose que leur seule activité professionnelle, ce qui, entre parenthèses, peut élargir leur champ de vision au bénéfice de celle-ci.
J'allais oublier un trait de caractère, dans ce portrait. Sous des dehors parfois impénétrables, quand ils ne sont pas intraitables, voire redoutables, ils abritent le même stress, les mêmes doutes et l'envie sporadique de tout foutre en l'air.
Le décideur de fond est solitaire.
Tout propos concernant, à quelque titre que ce soit, son activité, le touche. Aussi n'est-ce pas un hasard si notre éditorial "Structurez-vous" a déclenché des réactions de nombreux décideurs solitaires. Certains nous ont fait part de leurs expériences en cours, précisément quant à la structuration et au rapprochement qu'ils opèrent, d'un secteur d'activité à l'autre, à l'intérieur d'un même secteur d'activité également. S'ils savent que cette piste est bonne, ils rencontrent les embûches et les difficultés en tout premier lieu. Mais leur détermination demeure.
Nous leur adressons, au passage, un témoignage de notre intérêt et nous attendons avec impatience V opportunité de faire part de leur expérience à l'ensemble de nos lecteurs, pour apporter la preuve que briser la solitude est possible, nécessaire et bénéfique.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 182 - 02.12.94
DOUBLE LANGAGE
■ Vous les connaissez, vous qui êtes responsables de l'achat ou (et) de la vente de produits notamment auréolés de valeur ajoutée, ces producteurs qui jouent avec vous au jeu de "Je t'aime moi non plus".
D'un côté, ils sont prêts à tout, ou presque, pour prendre place dans vos linéaires, de l'autre, ils jouent les vertus effarouchées et jurent de ne jamais signer avec le Diable, en l'occurrence la grande distribution.
Qu'un journaliste, évidemment "mal intentionné, leur fasse remarquer que, précisément, il a vu leurs produits, ou l'un d'entre eux, dans une enseigne du grand commerce, ils jouent L'étonnement et dénoncent les pratiques d'intermédiaires peu scrupuleux qui auraient permis, à leur insu, une transaction commerciale dégradante.
N'y a-t-il pas, quelque part, un peu d'hypocrisie dans cette attitude ?
Nous, qui, au fil de nos propos, sommes amenés à souligner les travers du commerce moderne et ses perversions et qui ne nous privons pas de dénoncer des pratiques préjudiciables au maintien d'une certaine éthique, sommes sans doute fondés également à dénoncer les comportements ambigus de certains producteurs.
Chacun de nous a bien connu, sur les bancs de l'école, ces gamins à double langage, qui incitent les bons élèves à faire des bêtises ou à se détourner de leurs études, tandis qu'eux-mêmes briguent les premiers rangs de la classe en tablant sur un abaissement du niveau des meilleurs plutôt que sur leur propre amélioration. De la même façon, disons-le clairement, ce ne sont pas les producteurs les plus assurés de la qualité de leurs produits qui ont tendance à tenir des discours sacralisateurs ou moralisateurs.
En effet, ceux qui sont sûrs du bien-fondé de leur démarche commerciale qualitative, s'ils choisissent de travailler avec la grande distribution, le font le plus souvent en tenant bon sur leurs positions justifiées.
Encore ne disserterons-nous pas sur l'attitude de certains qui "veulent bien" entrer dans les GMS, "pourvu que cela ne se sache pas".
Pas de double langage, si possible. Personne n'est dupe.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 183/184 - des 09 et 16.12.94
TREVE DES CONFISEURS
■ Enfin, la trêve des confiseurs.
C'est une tradition, un peu bousculée par la fuite en avant à laquelle nous avons de plus en plus de mal à échapper, mais il est agréable et nécessaire d'y sacrifier. On oublie les querelles, on dépasse les conflits, on se souvient d'être un peu des humains, finalement tous logés à la même enseigne, on porte des toasts, on forme de voeux, avec le secret espoir d'être exaucé.
Si nous n'étions pas, individuellement, convaincus du pouvoir des mots, nous, cheville ouvrière d'un outil de communication dont le titre Faire Savoir Faire indique clairement les intentions, nous le serions devenus par fonction. Les mots s émoussent et s'usent, c'est vrai. Mais il n'est pas moins vrai que nous avons le pouvoir de les renouveler ou de leur redonner un contenu, pourvu que nous croyions fortement ce que nous disons.
En Irlande, quand on porte un toast, ce n'est jamais le même toast. Chacun levant son verre célèbre l'instant et adresse à ses convives un voeu inédit, venu du coeur et formulé au gré de son imagination. Pourquoi ri en ferions-nous pas autant ?
Faire Savoir Faire existe par la volonté et le travail conjugués de divers opérateurs aux personnalités fortement différenciées. Chacun d'entre nous à son voeu à former à l'adresse des lecteurs que vous êtes. En qualité d'éditorialiste, f ouvre le feu et je vous présente mon voeu de fin d'année : que le courant passe et que la communication ne soit pas un vain mot, que nous parlions pour être entendus, en un mot, que nous parlions pour être entendus, en un mot, que nous nous comprenions. C'est modeste, mais sincère.
Et maintenant, place au voeu concerté de l'Equipe de Faire Savoir Faire.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 185 - 06.01.95
BONNE MUTATION
■ Nous vivons une époque passionnante. Ne dites pas le contraire : tout bouge, tout change, les distances s'abolissent et le monde entier est devenu notre jardin. Les pessimistes, les immobilistes et les rétrogrades peuvent focaliser sur la barbarie, la disparition des valeurs traditionnelles et l'aspect de ce monde turbulent, il n'en reste pas moins qu'à l'envers du décor, dont nous serions avisés de faire l'endroit, on voit se dessiner des mentalités nouvelles et des comportements déjà ancrés dans un futur qui pourrait être digne de s'appeler un avenir.
Je ne vais pas vous assommer avec des statistiques et tous ces chiffres qui nous cachent plus sûrement la forêt qu'ils ne nous tracent un chemin, mais vous rappeler quelques aspects bienfaisants de la crise que nous traversons encore.
Jamais la solidarité, sur notre bout de planète en forme d'hexagone, ne s'était manifestée autant qu'en 94, jamais on n'avait fait preuve d'autant de maturité dans la façon de consommer, jamais encore on n avait pris les questions d'écologie et d'environnement comme des sujets de réflexion et d'action personnelle, jamais autant d'entreprises ne s'étaient comportées comme des entreprises totalement citoyennes, jamais on n'avait encore assisté à la naissance de synergies entre opérateurs économiques, dont le profit ne serait pas la seule finalité, jamais on n'avait vu les régions prendre conscience aussi fortement d'elles-mêmes et de la nécessité de développer par leurs propres moyens leurs potentiels économique, social, culturel. On recycle, on gaspille moins, les enfants jouent à des jeux volontiers plus intelligents, les jeunes adultes créent ou cherchent à recréer, des liens sociaux plus humains, il y a même des individus qui disent bonjour, merci, pardon à l'occasion.
Alors ? Continuons à changer le monde ou plutôt à changer "de" monde dans ces directions-là, secouons notre apathie et prenons-nous en main. Et n'oublions pas notre humour. Il paraît que lui non plus n'a jamais autant fait recette. Que l'humour s'épanouisse donc, en 95 et, plutôt que d'être la "politesse du désespoir" qu'il soit l'étincelle qui met le feu aux poudres de l'espoir.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 186 - 13.01.95
LES MEDIA EN QUESTION
■ On parle du pouvoir des média et quelquefois de leurs devoirs.
Devoir de recueillir aussi complètement et aussi impartialement que possible l'information pour la transmettre au public, devoir de "maîtriser le sujet" et de se faire entendre, par le public large, ou plus étroitement ciblé, concerné. Tout cela est facile à dire, moins facile à réaliser.
Les média, même si leur pouvoir apparent engendre parfois des conséquences perverses, ne sont pas seuls responsables des mauvais effets de leur influence.
La spirale de l'urgence et la pression multi-origine qu'ils subissent les poussent en avant dans des directions que, le plus souvent, ils n'avaient pas souhaité prendre. L'urgence ? C'est pour cause d'audimat ou de parts de marché à prendre, la nécessité de "sortir" l'information au plus chaud, au plus rapide, avant les concurrents, même si le recul souhaitable à toute réflexion n'est pas envisageable. La pression ? Elle est du même ordre. Le public a soif de "unes", de "titres", de "formules" qui frappent. Le contenu de l'information en est occulté. Occulté aussi parce que chacun ne lit, n'entend, ne voit que ce qu'il souhaite lire, entendre, voir. Oui, dans toute structure médiatique il y a des hommes et des femmes qui font leur métier consciencieusement, mais...
Qui les entend ? C'est bien d'émettre des signaux, encore faut-il qu'il y ait des récepteurs. Le public est grandement responsable et coupable du délit d'indifférence, de je-m'en-foutisme voire de goût malsain pour le sensationnel et le scandale.
Prenons le seul exemple de l'excès des sondages et des désordres qu'ils engendrent. Se livrerait-on à ce petit jeu si le public n'était pas devenu boulimique de sondages et s'il ne préférait pas leurs pourcentages réducteurs à une réelle réflexion ? Avant de crier haro sur les média, le public devrait ne pas oublier que radio, journaux, télévision sont un miroir dans lequel il voit son propre reflet.
Le public, finalement, a les média qu'il mérite.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 187 - 20.01.95
AU CHAPITRE DES INEGALITES
■ On se gargarise volontiers de grands mots et la France, à cet égard, est championne. Liberté, Egalité, Fraternité ancrées dans notre culture révolutionnaire, ne sont plus guère que des mots vides de sens.
On perdrait son latin à évoquer toutes les transgressions quotidiennes de chacune de ces belles abstractions. Mais il est un secteur d'activité qui bafoue avec un aplomb qui passe les bornes, la notion d'égalité, c'est le secteur bancaire (*). "Selon que vous serez puissant ou misérable...", on connaît bien le distinguo. On sait que les particuliers voient arbitrairement fermer leur compte bancaire sous prétexte d'insuffisance de mouvements, ou se voient taxés pour des opérations dont la gratuité est acquise à d'autres. On sait de quelle façon cavalière interviennent, sans préavis, des suppressions de facilités de caisse préalablement accordées. La banque décide ce qu'elle veut, comme elle veut, et se permet, en outre, de se poser en moralisateur et d'émettre des jugements de valeur sur votre comportement. Toute puissante à l'égard des particuliers, la banque exerce son pouvoir arbitraire également à l'égard des sociétés, quelle qu'en soit la forme ou la dimension. Accordant des faveurs parfois irréalistes -donc coupables- à certaine, elle pousse à la faillite ou au dépôt de bilan certaines autres, sans qu'on puisse déceler dans l'un ou l'autre cas, des raisons solides d'avoir émis ce qu'on peut ressentir comme un verdict.
La banque exagère. Elle accuse même ses clients de ses propres erreurs d'appréciation ou de son manque de professionnalisme et finit par les traîner devant les tribunaux, puis, fait supporter le poids de ses mécomptes par qui ?
Devinez. Par vous et nous, par des citoyens qu'elle confond dans un anonymat pratique et réducteur. Dans ce cas, nous sommes enfin égaux devant la banque : égaux dans le mépris dont elle nous enveloppe.
Sachant que la banque est un passage obligé, on peut se demander jusqu'où elle peut pousser l'abus de pouvoir. Tiens, en période électorale, y'a-t-il un candidat à la Présidence de la République qui envisagerait d'intervenir dans cet état dans l'Etat ?
(*) Nous avons même rencontré des exceptions qui confirment la règle.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 188/189 - des 27.01 et 03.02.95
AU NOM DE LA PART DE MARCHE
■ Certains obsédés de la conquête des parts de marché ont d'étranges comportements. La "part de marché", dans leur cas, apparaît comme une fin en soi, et pour parvenir à cette fin, les moyens qu'ils mettent en oeuvre sont terrifiants. Nous n'allons pas passer en revue de détail les basses manoeuvres, les fausses manoeuvres, les "fausses bonnes idées", la saisie au vol d'une opportunité imprévisible et parfois illusoire, vous avez tous en tête au moins un exemple, quel que soit votre secteur d'activité. Ce qui nous apparaît comme le plus surprenant, c'est la façon dont la focalisation sur la "part de marché" peut amener des esprits éclairés, entourés de cadres compétents estampillés du sceau des Grandes Ecoles les plus renommées, à entrer dans des logiques qui se révèlent, à terme, suicidaires. Et, quand nous disons suicidaires, nous sommes au-dessous de la réalité. Il y a des façons défaire qui aboutissent au sinistre de tout un marché, ce qui, en bout de course, réduit à néant la notion même de cette "part de marché" à l'origine du mal : voir opérations sauvages de baisses de prix ou volumes gratuits. Tout ce gâchis ne vient-il pas du dérapage vers l'abstraction de toute une société à laquelle nous appartenons ?
Sortons des courbes, des chiffres, des graphiques et de toute cette matière que nous confions à l'informatique pour qu'elle nous la digère, nous la synthétise, nous la recrache non pas conforme à une réalité humaine mais conforme à une "moyenne" réductrice et confortable qui nous renvoie dans l'abstraction ! A force de cerner le "consommateur" abstrait, nous perdons de vue l'homme de tous les jours auquel nous nous adressons, et nous perdons aussi de vue le devoir que nous avons de veiller à ce que cet homme-là continue à vivre, voire à vivre bien, pour que les "marchés" continuent d'exister.
Où nous conduit ce constat ? A ceci : il y a des morts qu'on ne peut pas tuer deux fois. C'est vrai pour les marchés, c'est vrai pour les "clients". Donc, même si l'on n'est pas enclin naturellement à faire passer une éthique et une morale avant toute autre notion, l'éthique et la morale deviennent les composantes obligées de la réussite d'une entreprise de production et, corollairement de commerce. Alors, l'objectif PART DE MARCHE, c'est un objectif un peu limité, non ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 190 - 10.02.95
INVENTER L'AVENIR
■ Janvier-février, mauvais temps que celui des bilans, des tiers provisionnels, aggravé cette année par ces catastrophes que l'on dit naturelles même si elles sont en grande part provoquées par l'incurie et l'irresponsabilité des hommes.
Les sujets de morosité étant surabondants, il n'est pas dommage de pouvoir se tourner vers des sujets réjouissants. Ce début d'année voit aboutir de grands et beaux projets, voit naître de belles idées, des associations de type nouveau, et des discours plus humains et plus vrais : pourvu que ça dure, comme disait Bonaparte.
La naissance de la nouvelle bouteille Evian aura quelque peu occulté d'autres arrivées intéressantes sur les marchés qui concernent la grande distribution.
Cependant, il nous semble bon de saluer comme il se doit le dynamisme de Yoplait qui, notamment avec son "Petit Filou aux fruits à sucer" crée un produit d'avenir, tandis qu'il replonge dans ses racines, l'agriculture et les fermiers, sur le plan de la communication. Nous sommes heureux de féliciter Yolka d'avoir été élu produit de l'année, avec une gamme qui joue le rôle d'ouvreur de marché, grâce à la réunion des savoir-faire de deux groupes a priori très distants l'un de l'autre. Nous saluons la pugnacité de Teisseire, qui innove sur un marché fortement bagarré. Nous nous sommes réjouis de la création de "Produit en Bretagne" et nous comptons ferme sur la réussite du projet. Nous avons appris avec joie le bon accueil reçu par les vins de Languedoc-Roussillon en Asie du Sud-Est. Oui, vous pouvez le constater avec nous, même sans avoir à chercher très loin, nous avons à opposer aux bilans les plus préoccupants, du solide, du positif, de l'invention, de la ténacité et des réalisations concrètes.
Inventons l'avenir, dans cette direction, c'est le plus sûr moyen de ne pas être balayés par un futur dont nous n'aurions pas la maîtrise.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 192/193 - des 24.02 / 03.03.95
ME TOO
■ Le temps des «Me Too» n'est pas un temps nouveau, et, il n'y a pas si longtemps, les novateurs se consolaient d'être copiés en se disant que c'était la rançon du succès. Ce qui est nouveau, c'est l'accélération de la réactivité des copieurs à l'innovation, et ce, quelle que soit la dimension des entreprises novatrices et celle des entreprises reproductrices. C'est bien connu, les idées sont dans l'air et, meilleures elles sont, plus nombreux sont ceux qui les ont en même temps. La technologie n'est pas en reste. Ses avancées vont à pas de géant. Si l'on ajoute que ce n'est pas l'éthique ou la morale qui arrêtent les uns ou les autres sur le chemin du «tout est permis», on peut évaluer sur quelle corde raide jouent les innovateurs.
Ce qui ne fonctionne pas au même rythme, c'est la capacité de l'homme de la rue à percevoir et à recevoir le flot de produits et services innovants qui inonde son quotidien. Ici, la raison du plus fort est souvent la meilleure. Si vous avez les moyens d'imposer massivement votre idée et votre produit nouveau, à coup de communication, de publicité, on serait tenté de dire «d'endoctrinement», même si vous n'avez pas été le premier sur la brèche, c'est vous qui plantez le drapeau.
La fuite en avant de l'innovation est inéluctable. Elle fait des morts, au monde de l'entreprise, et ce ne sont pas les mesures légales de protection qui permettent de les ressusciter.
Y a-t-il des moyens pour calmer la machine ?
Y a-t-il quelqu'un pour entendre ce que, d'une seule voix, entrepreneurs et gens de tous les jours, comme vous et moi, ont envie de dire de plus en plus souvent et du fond du coeur «Arrêtez le monde, je veux descendre» ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 194 - 10.03.95
LE GOUT A L'HONNEUR AU SALON DE L'AGRICULTURE
■ Depuis le début des années 90, en ordre dispersé le plus souvent, filières de production, de commercialisation et institutionnels, ont pris en main les destinées du goût. Ce que d'aucuns ont pu considérer comme une mode ou un gadget est bel et bien un enjeu majeur, surtout s'agissant de la culture et de l'économie françaises. Si la bataille autour des langues et du langage fait rage à juste titre, celle que la construction de l'Europe a activée et mise en lumière autour du goût n'est pas de moindre intérêt.
Notre goût en matière alimentaire, fait partie de notre identité. Notre façon de le faire connaître et de le véhiculer à travers les produits de notre tradition, dont la pérennité est assurée par tous nos artisans de bouche et industriels agro-alimentaires, a la double mission d'affirmer notre culture et d'enrichir notre économie, donc de jouer un rôle majeur dans notre avenir historique.
Le Salon de l'Agriculture qui vient de fermer ses portes, a été, dans sa version 95, le témoignage de notre intérêt pour le goût et de notre prise de conscience grandissante de ce qu'il représente. La fréquentation des stands d'exposants des produits des régions de France, la foule qui s'est pressée autour des points d'animation sur des présentations valorisées des mêmes produits, l'intérêt manifesté par les visiteurs et les média aux prouesses des Chefs, lors de concours gastronomiques, tout cela contribue à nous rendre optimistes : bravo la FNCRA * et la SOPEXA.
Parmi les initiatives heureuses à noter, celle du ministère de l'Agriculture en direction des enfants, est exemplaire. Un parcours du goût, à travers les filières sucre, pain, pomme de terre, lait, viande... assorti d'un jeu pour les amener à une meilleure connaissance des produits et des signes de qualité à reconnaître, dans la vie quotidienne, à la lecture de leur étiquetage, est venu ponctuer une réflexion d'ensemble, avec succès. Car le goût et son éducation, cela commence très tôt. Ne craignons pas d'enfoncer une porte ouverte en le répétant, il vaut mieux que ladite porte ne se referme pas. Le goût reprendrait-il sa place, la première, dans nos préoccupations alimentaires ?
* FNCRA : Fédération Nationale des Comités Régionaux de Promotion
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 195 - 17.03.95
L'HOMME REDUIT EN POURCENTAGES
■ Lassitude, c'est le mot le plus modéré qui vient à l'esprit, s'agissant de la multiplicité des sondages préélectoraux. L'abus des sondages, c'est comme l'abus de décibels.
Cela rend fou, sourd et idiot. Idiot, surtout.
Cela obère la pensée. Heureusement, pour la plupart d'entre nous, nous avons des systèmes de protection contre l'abrutissement total. La colère en est un. L'exutoire que représente une bonne colère nous dépollue de l'abêtissement, du panurgisme et de la résignation. Nous avons tous au moins une colère toute prête à exploser.
Laissons-la exploser par pur besoin d'hygiène mentale.
N'avez-vous pas envie de vous fâcher un bon coup à propos de tous ces "pourcentages" que nous sommes devenus, tous autant que nous sommes ? Que vous soyez bronzé, petit, gros, poète, amateur de cigares, collectionneur de coléoptères à deux têtes, allergique au poil d'éléphant d'Asie, cruciverbiste, insomniaque, joueur de soubassophone, de toutes façons, un pourcentage s'applique à votre cas. Les entomologistes de l'individu à deux pattes vous pourchassent jusque dans votre intimité extrême ; si l'on en croit des hebdomadaires qui ne sont même pas sulfureux, tous vos comportements amoureux vous font entrer dans une "catégorie" qui représente un "pourcentage" de la population.
Ainsi découpé en tranches elles-mêmes redécoupées, donc totalement quadrillé par les pourcentages, pouvez-vous vous sentir un être intègre, unique et irremplaçable, avec une personnalité, une dignité, des élans du coeur et des idées originales ? Pouvez-vous, avec enthousiasme, sans retenue et sans arrière-pensée, déguster une belle soirée d'automne au coin d'une cheminée, un coucher de soleil sur la baie d'Along, un cassoulet de Castelnaudary ou dire "je t'aime" à l'être que vous aimez ?
Réfutons la logique de la tranche et de la catégorie. Soyons nous-mêmes à part entière, peu importe si notre comportement, notre façon de penser, notre capacité à ressentir, nous situent dans une majorité, une minorité, une marginalité mesurées et réductrices.
Laissons les taux s'appliquer à notre cholestérol, soit, mais pas à l'expression de notre personnalité. Les pourcentages ne répondront jamais à nos questions fondamentales. A celles-là, faute de réponses sérieuses, autant s'en remettre à l'humour et à l'absurde, au moins, le rire faisant place à la colère aurons-nous bénéficié d'une thérapie complète de notre morosité. Ainsi, si nous nous demandons d'où nous venons et où nous allons, répondons-nous, avec Pierre Dac "je viens de chez moi et j'y retourne". Et, plus sérieusement, si nous éprouvons le besoin de nous définir, sans grille de taux, Jean Rostand nous a légué cette formule : "L'homme, cet arrière-neveu des limaces, qui rêva de justice et inventa le calcul intégral". Un vrai sujet de méditation.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 196 - 24.03.95
VOUS AVEZ LA PAROLE
■ Avec la multiplication des modes et des systèmes de communication, la médiatisation outrancière de tout et n'importe quoi, nombre de ceux qui ont quelque chose à dire et intérêt à le faire savoir ont été soit frappés de mutisme, soit amenés à manier la langue de bois.
Ce phénomène, qui frappe des entrepreneurs de tous secteurs, n'est pas sans analogie avec ce qui, à titre privé, nous a conduits à ne plus chanter. Tous les systèmes de reproduction et de diffusion du son, du premier phonographe à la radio, à la chaîne Hi-Fi et au baladeur, ont assassiné les Caruso des salles de bains et les pousseurs de romances et rengaines du pousse-café. Dommage. C'était un exutoire que la pratique du karaoké ne nous restituera pas dans sa qualité de lien social.
Nous ne chantons plus, soit. Mais nous ne sommes plus, non plus, gens de parole et nous n'avons plus de tribuns. Pourtant la force de la parole est une réalité. Le dernier à l'avoir utilisée pour faire bouger les gens et les choses, Coluche, n'a-t-il pas, par le pouvoir de conviction de la parole, fait naître un nouvel esprit de solidarité et les Restos du Coeur ?
Cette parole que nous nous sommes autocensurée, on commence, heureusement, à en constater, ça et là, la résurrection. L'esprit de forum renaît et avec lui des idées prennent forme, se développent, font leur chemin et se traduisent dans les faits. Cela se manifeste en régions où, par exemple, des filières de production ou des industriels éprouvent le besoin de sortir d'un isolement -rarement splendide dans la durée- pour aller humer dans d'autres secteurs ou simplement dans l'air du temps, ce qui se passe et comment bouge le monde. Il y a quelques jours, il nous était donné de rencontrer en Bretagne, des opérateurs de plusieurs types d'entreprises agro-alimentaires et du secteur de l'hygiène-beauté, réunis à l'initiative d'un Cabinet Conseil en
Développement des Ventes. Eh bien, c'est fou ce que ces gens pouvaient avoir à se dire, et leur réelle intention de renouer le dialogue régulièrement va bel et bien se concrétiser par des rencontres sur des thèmes de réflexion sur lesquels leur partage d'idées, d'expériences et d'expertises fera, n'en doutons pas, bouger leur activité et s'enrichir leurs relations. S'exprimer et imaginer ensemble pour gérer son avenir en toute responsabilité, c'est un levier puissant.
On a souvent envie de vous le dire, vous avez la parole, prenez-la et faites-en bon usage.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 198 - 07.04.95
IL N'Y A PAS DE FATALITE
■ Il a de la chance, dit-on, de celui que la réussite sociale ou professionnelle met sous le feu des projecteurs. A contrario, ce sont des propos désabusés, résignés, prétendus fatalistes qui accompagnent et font virer au noir l'échec ou les accrocs conjoncturels subis par "les autres", les proches ou soi-même.
On le sait, les Français ont longtemps cultivé le romantisme de l'échec et privilégié, dans leur cœur, les éternels seconds et les perdants. C'était déjà une attitude négative.
Depuis le début des années 90, sous la pression de la crise économique, de la mondialisation des problèmes qui se posent à chacun d'entre nous, des convulsions engendrées par les changements de société, ce romantisme a tourné à la complaisance dans la sinistrose.
Circonstance aggravante, les média, conscients du fait que le sensationnel paye et qu'il est plus facile de faire des "une " de choc avec de la misère et du désespoir qu'avec l'exaltation de nos côtés-soleil et l'aspect positif de nos entreprises de tous ordres, ne cessent de nous tenir la tête sous l'eau sale.
Nombreux sont les chefs d'entreprises, les responsables à tous niveaux des métiers qu'il nous est usuel d'évoquer dans notre revue, qui s'inscrivent en faux contre ce qu'on voudrait nous faire passer pour une faillite générale inscrite dans une fatalité.
Ce n'est pas parce que les années faciles sont derrière nous qu'il faut s'asseoir par terre et laisser la vie nous glisser entre les doigts. Au contraire, c'est dans la difficulté que l'on devient inventif, créatif, concerné et responsable. Et, quel que soit le monde qui est en train de naître, il est essentiel pour chacun d'entre nous de participer à sa création plutôt que d'y entrer en traînant des pieds pour y prendre une place de passager presque clandestin.
Ce que nous appelons la chance, vocable confortable et flou, c'est avant tout, notre aptitude à savoir qui nous sommes, ce que nous voulons et comment jouer nos atouts en retroussant nos manches. Chacun d'entre nous dispose d'un capital d'imagination, de volonté et d'aptitude à acquérir un ou plusieurs savoir bien faire quelque chose d'utilisable par la société. A nous déjouer dans une cour d'adultes.
Il n'y a pas de fatalité hors de nous-mêmes.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 199 - 14.04.95
ILS NOUS ENNUIENT
■ Quelqu'un a dit : "Je n 'ai jamais vu de campagne aussi dégueulasse". Vous l'avez tous entendu. Il s'agissait de la campagne présidentielle. Notre intention première était de ne pas en parler, mais peut-être traduirons-nous un sentiment plus général en écrivant : "Nous n 'avons jamais vu une campagne aussi ennuyeuse ". Peut- être parce que nous nous sentons largués par les politiques. Qu'ils cherchent à recruter, à gagner des suffrages en brossant dans le sens du poil tantôt les grands, tantôt les petits, tantôt les gentils, tantôt les méchants, tantôt les malades, tantôt les bien-portants, parfois dans une certaine incohérence, il n'y a rien d'étonnant ni de nouveau dans ces pratiques. Ce qui est nouveau, c'est précisément le manque de nouveauté, et peut-être un grand absent, un projet pour la France qui soulèverait l'enthousiasme des plus blasés. Pas de passion. Pas un discours qui galvaniserait les foules : tout le monde se tient dans un ton marketé de candidat aux oscars de la tiédeur. Pas de réelles passes d'armes et même pas une phrase historique. Mais oui, au fait. S'il n'y avait pas les Guignols de l'Info pour donner du ton et de la couleur à une absence de vrai débat, la majorité d'entre nous n'aurait plus d'insomnies en voyant ou en entendant s'exprimer nos présidentiables. Rassembleurs, disent-ils ? Mais autour de quoi ? Peu importe le qui, finalement. Est-ce-que les grands chefs d'entreprise -quelle que soit la dimension de celles-ci- ne savent pas créer un esprit d'entreprise ? Un projet d'entreprise ? Est-ce-qu'ils ne sont pas la preuve de la nécessité de mettre l'imagination au pouvoir ? Est-ce-qu'ils ne savent pas "tout mettre à plat" quand cela s'avère nécessaire, voire en anticipant sur la nécessité ? Bien sûr, ils savent tout ça, sinon ils ne seraient plus ni grands ni chefs et ils n'auraient plus d'entreprise à faire évoluer. Alors... force est de constater que les politiques ne sont pas à la hauteur des chefs d'entreprise et que c'est bien ennuyeux, en espérant que cela ne devienne pas pire qu'ennuyeux.
FAIRE SAVOIR FAiRE - N° 201 - 28.04.95
DEPECHONS-NOUS DOUCEMENT
■ Tout ce que nous avons à faire est urgent. L'urgence s'ajoutant à l'urgence, rien n'est plus le sujet du jour ou du lendemain, tout est à faire pour avant-hier. A l'heure où notre espérance de vie se prolonge tandis que nous sommes en quête de repères, de jalons, alors que nous ressentons le besoin de nous inscrire dans la durée, cette hâte n'est-elle pas paradoxale ? Souvenons-nous de ne sacrifier ni à la hâte ni à la précipitation, sachant que rien de durable ne se construit sans le temps.
On pourrait citer, à l'appui de cette opinion, des auteurs de toutes époques et tous points de la planète, en l'occurrence nous allons chercher du côté de la sagesse chinoise un conseil de comportement : "Il faut faire vite ce qui ne presse pas pour pouvoir faire lentement ce qui presse ".
La Chine d'avant et d'après Mao, c'est amusant à constater, rejoint une démarche qui commence à vous être familière, celle de la certification d'entreprise. L'une des caractéristiques fondamentales des procédures qu'elle exige, réside dans l'impossibilité d'agir en toute hâte et dans la précipitation. Ecrire ce qu'on doit faire, faire ce qui est écrit, valider ce qu'on a fait, voilà qui oblige à mettre le temps nécessaire dans ses actes. Or, l'une des conséquences de la démarche, les chefs d'entreprise et leurs collaborateurs en font tous état, c'est défaire renaître une culture d'entreprise, un sens de la responsabilité et un climat interne notablement bénéfique.
Positif, non ?
Prendre le temps d'agir, c'est aussi éviter un risque d'erreur appréciable. Ce n'est pas en contradiction avec une nécessaire rapidité d'exécution, ni avec une souplesse de réaction aux événements. A titre individuel, c'est aussi une excellente thérapie anti-stress.
Alors, nous vous proposons de faire une pause et de reprendre, vous et nous, nos activités respectives, en nous dépêchant doucement.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 202/203 - des 05 et 12.05.95
SPIRALES
■ On ne parle plus de crise, pour se faire peur ou pour communiquer ses angoisses aux autres. Dans les métiers de l'alimentaire, dont certains se situent sur des tendances insolemment porteuses, le cauchemar récurrent porte un nom évoqué quasi quotidiennement, la spirale.
Attention aux spirales qui tirent vers le bas tout ce qu'elles peuvent accrocher au passage. La plus redoutée, la spirale des prix, a, comme tout fléau, son bouc émissaire. Vous savez tous lequel : la grande distribution. Loin de nous l'intention d'angéliser celle-ci. Nous savons tous qu'elle n'est pas innocente, dans son ensemble. Nous savons aussi que certaines enseignes (rassurez- vous, ce n'est pas la vôtre, c'est toujours la voisine) poussent un peu loin le bouchon, comme on dit dans les beaux quartiers depuis la campagne Balladur, lors des négociations. Certaines primes de référencement relèvent même du racket pur et simple, soyons clairs. Mais cela fait partie des règles du jeu.
Ici, je voudrais nuancer le propos et poser quelques questions qu'on a l'habitude de rentrer dans sa gorge, de la même façon qu'on n'étudie jamais à fond les questions de démarque inconnue. Ne pourrait-on pas parler un peu de la complicité de la victime du racket avec l'auteur de celui-ci ? Ne pourrait-on pas parler un peu de l'incitation au racket dont certains producteurs se rendent coupables ? Ne pourrait-on pas faire quelques rappels historiques et mettre en cause les producteurs qui, les premiers, ont proposé de l'argent à la grande distribution naissante qui n'avait pas toujours eu le temps de réfléchir à cette source énorme de profit ?
Aujourd'hui, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, qui n'a pas au moins un exemple à citer de pourrisseur, dans le camp des prétendues innocentes victimes ? Qui n 'a pas, sur le bout de la langue, des noms à citer, et pas toujours des moindres, de porteurs d'enveloppes dorées destinées à payer au prix fort une place en rayon, au détriment d'un concurrent un peu encombrant ?
La spirale a bon dos, et la distribution n 'est pas seule coupable. Dans un moment où l'on disserte volontiers sur le courage industriel des entreprises, ne serait-il pas opportun de mettre en avant, aussi, la notion de courage commercial ?
C'est peut-être plus difficile encore, mais cependant indispensable, pour que la production et le commerce remplissent leur mission, leur office, leur contrat, à savoir satisfaire le consommateur en étant justement rémunérés pour le produit et le service rendu.
Incidemment, le consommateur aura profité des pratiques un peu cavalières des uns et des autres. Elles auront contribué à lui faire apprécier le juste prix et la juste qualité et à jouer de leurs dissensions pour manifester, lui aussi, des exigences de plus en plus difficiles à satisfaire. Qui sème le vent, récolte la tempête.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 204 - 19.05.95
DECODAGES
■ Tous les langages, aujourd'hui, sont codés.
Jargons technologiques, techniques, informatiques y sont pour beaucoup, raccourcissement des distances et mondialisation de nos activités font le reste.
Force est de décoder, à chaque instant, les signes qui nous sont faits, par les machines, par les images et même par les mots. Qui dit traduction dit trahison, dans une certaine mesure, chacun le sait. A force de traduire, ce à quoi nous parvenons, c'est l'appauvrissement du langage.
Le contenu le plus succinct des signes et des mots devient notre lot permanent. Nous n'échangeons plus que ce qui est nécessaire, croyant aller à l'essentiel.
Apocope, aphérèse, abréviations de tout acabit et transcription binaire de la pensée finissent par l'atrophier au point qu'on est en droit de se demander si l'homme du 21e siècle ne va pas perdre l'usage de la parole comme il est en train de perdre celui du rêve. L'un et l'autre, pourtant, n'étaient-ils pas supposés faire la différence entre l'homme et le reste des êtres animés, sur notre fragile planète ?
Il y a des moments où l'on se sent comme une envie gourmande de déguster un mot obsolète au hasard, pour en savourer la signification tant qu'elle existe encore. Mais ce plaisir est gâté par le fait qu'il est de plus en plus égoïste et qu'il y a dans cette irréversibilité quelque chose de tranquillement désespérant.
Comment sortir de ce cul-de-sac ?
Comment redonner du contenu à des rapports humains de plus en plus formels ?
Comment remettre le fond avant la forme ?
Comment se faire entendre tant qu'il nous reste quelque chose à dire.
Ne rêvons pas... mais peut-être des sacs postaux entiers de lettres écrites à la main vont-ils nous parvenir, pour amorcer la réponse...
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 206 - 02.06.95
ETRE ET DEVENIR...
■ Cela a été dit, répété, analysé, synthétisé, lors de la campagne électorale présidentielle et depuis l'élection de notre nouveau Président de la République, le tissu -fragile mais résistant- de PME-PMI de la France représente l'une de ses richesses majeures et porte ses chances de gagner la bataille économique, ou plutôt la guerre, du troisième millénaire, celle de la valeur ajoutée.
Oui, la balle est bel et bien dans le camp des opérateurs de tous secteurs qui ont compris le sens positif de l'exception française et son mode d'emploi. S'inscrire dans la pérennité, c'est possible. Oublier la non-philosophie qui consiste à dire "après nous le déluge", résister à la tentation des politiques à court terme, c'est le moment ou jamais, à condition de s'en donner les moyens. A chaque entreprise de s'informer, d'abord, de se définir et de situer clairement sa position ensuite, dans un contexte concurrentiel élargi à la fois à des secteurs d'activités environnant la filière concernée et à des dimensions géographiques nécessairement internationales.
Rester l'oeil fixé sur "sa" filière n'est pas réaliste. La "part de l'estomac", pour ne parler que de l'agroalimentaire, constitue un outil de mesure au moins aussi indispensable que le "potentiel du marché" évalué par comparaison avec celui de pays différents. Il en va de même pour tous les produits et services de tous secteurs. On ne peut pas rouler dans deux voitures à la fois, prendre l'avion et le TGV en même temps, ni jouer d'une main au tennis et de l'autre au golf.
Savoir qui l'on est, ce que l'on veut atteindre comme objectifs, avec quels moyens et dans quelle durée, ce n'est pas assez. La logique des marchés d'aujourd'hui induit que l'on fasse précéder ces obligations d'un impératif : produire oui, mais pour répondre à une attente. Ensuite, faire savoir ce que l'on fait et à quelles conditions, à la clientèle que l'on vise, tel est le postulat de toute action.
C'est plus facile à dire qu'à faire, mais il faut bien que cela soit dit et répété.
La mouvance actuelle incite à un changement, à un renouvellement profond, à la remise en question.
Ne soyons pas des dinosaures, ils n'ont pas réussi leur mutation, et il y a peu de chance pour qu'un Jurassic Park ne vienne les ranimer.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 207/208 - des 09 et 16.06.95
ENTRE CULTURE ET BARBARIE
■ Emir Kusturica reçoit la palme d'or au festival de Cannes, Radovan Karadjic enchaîne des Casques Bleus sur des sites militairement stratégiques, tous deux sur la même page des journaux. L'un milite pour la mémoire d'un pays à jamais déchiqueté, l'autre se livre à la barbarie.
La mémoire, c'est ce qui nous reste quand on a tout perdu. La barbarie, c'est l'acharnement à détruire ce qu'on ne sera jamais capable de posséder : une âme. En quoi cela nous concerne-t-il, nous héritiers d'une telle culture que même les plus ignorants en tirent vanité ? Cela nous concerne au plus haut point. Culture et barbarie sont les Dr Jekyll et Mr Hyde de la civilisation. Il y a des deux en chacun de nous et nous ne sommes civilisés que dans l'espace étroit où l'une maîtrise l'autre avec vigilance.
Nous devrions être vigilants et nous inquiéter. Toutes nos démissions quotidiennes, de quelque ordre qu'elles soient, sont un pouce de terrain cédé à la barbarie. Nous manquons d'exigence. Nous dormons sur des lauriers fanés depuis longtemps. Nous mettons la culture au musée, nous ne faisons plus travailler notre mémoire et nous ne prenons pas le temps d'établir un lien solide entre le meilleur de nos acquis et ceux qui, demain, devraient pouvoir en faire usage en les enrichissant de leur propre qualité humaine, nos héritiers. Il y a façon et façon de penser, d'être, d'agir, de s'engager dans le jour à vivre. Cette façon d'être, nous n'y sommes pas assez attentifs. Et si nous devenons un jour des Yougoslaves sans Yougoslavie, nous n'aurons à nous en prendre qu'à nous-mêmes, car nous n'aurons ni l'excuse de l'ignorance ni celle du dénuement ni celle de l'absence de liberté. Nous, nous avons en main des cartes majeures à utiliser au mieux. A titre d'exemple, puisque le sujet qui nous occupe aujourd'hui concerne la boisson, mettez la main à la conscience, que vous soyez producteur, négociant, distributeur ou simple consommateur, n'avez-vous jamais traité le vin ou les spiritueux comme des barbares ? Ne serait-ce pas plus épanouissant d'avoir un comportement culturel de civilisés ? Il n'y a pas de comportements innocents. Et pour mettre un point de vue dans la balance d'un débat pas si ancien que ça et malheureusement présent à nos mémoires, concernant la responsabilité et la culpabilité, nous sommes coupables si nous ne nous sentons pas responsables.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 209/210 - des 23 et 30.06.95
LES CLES DE L'INNOVATION
■ On peut être déterminé, persévérant, inventif et sûr de soi et, tout de même, ne pas être mécontent de rencontrer confortation et encouragement dans ses réflexions et entreprises novatrices, venus d'observateurs impartiaux. Sofres et Secodip viennent de réaliser conjointement une étude sur l'innovation, en 95. Peut-on innover avec des chances de pérennité, sur fond d'économie morose, voire créer des marques nouvelles ?
La réponse est oui, et les conditions optima de réussites sont passées au crible par la double investigation du paneliste et de l'institut de sondage. Nombreux seront certainement les créateurs de produits et services qui se plongeront dans l'analyse des données fournies par "Les Clés de l'Innovation". Dans un premier temps, nous avons noté avec satisfaction le tiercé gagnant des tendances porteuses : amélioration fonctionnelle, authenticité, santé, ainsi que la possibilité de "création de marques sur marché banalisé", figurant au tableau des perspectives pour demain. L'homme du 21ème siècle cherche sa vérité dans l'être, et non dans le paraître, prêt à plébisciter ce qui s'y réfère et à y adhérer durablement. Il est peut-être prêt à rajeunir et à approfondir ses valeurs culturelles, morales, humaines, tout cela sans préjudice d'un esprit pratique qui peut avoir manqué à des générations dont l'idéalisme un peu décalé est parfois demeuré stérile.
Cela ne va heureusement pas sans un certain degré de fantaisie et, si l'on en juge d'après le succès du parfum Ushuaïa, rien ne s'oppose à la création de produits ou services en rupture avec les codes établis de leur secteur d'intervention.
Les clés de l'innovation ne sont pas, comme celles du pouvoir selon Frédéric Dard, dans la boîte à gants, elles sont pour une part dans l'étude qui leur a été consacrée et pour une autre part, non négligeable, dans la justesse de votre intuition imaginative et dans une bonne dose de courage.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 215 - du 08.09.95
APPRIVOISER BIG BROTHER ?
■ Un ponte de l'immobilier investit CNN, "ABC" entre chez Mickey, Westinghouse s'offre CBS... NBC, on ne sait pas encore. Et tandis que les géants de la communication, outre-Atlantique, sont concentrés sous la coupe de quelques groupes industriels et financiers, Internet rassemble et traduit toutes les données multimédia.
Passé le grand frisson que l'ombre de Big Brother peut faire courir dans le dos et plutôt que de rentrer dans sa coquille pour se couper d'un monde par trop déshumanisé, force est de regarder la situation en face et d'inventer les moyens de faire prévaloir des valeurs intellectuelles, culturelles, éthiques, morales, esthétiques, devant le risque d'un gigantesque lavage de cerveaux.
Rien ne sert de brandir des pancartes ni d'afficher ses craintes ou ses inquiétudes, voire son angoisse, en l'occurrence. Il est plus malin d'apprendre à étudier le système, à en comprendre le fonctionnement, à en tirer les bénéfices, à en détecter les failles et à en déjouer les pièges. Ce ne sont pas les enfants d'Astérix qui vont se laisser laminer la matière grise par une uniformisation potentielle.
Nous avons, à notre actif, des inventions qui nous ont déjà mainte fois sauvés de l'ennui, de la ruine, du désespoir, de l'abrutissement, de la médiocrité, et j'en passe.
Quoi qu'il en soit, cette saison 95/96 qui s'ouvre devrait bien se situer sous le signe d'une active réflexion sur le multi-média et nous. Les apprentis sorciers que nous sommes n'en finissent pas d'apprendre à leurs dépens que toutes nos inventions sont à double tranchant. Plus elles sont susceptibles d'élargir notre champ de connaissances et d'action, plus elles ont la faculté de nous asservir et de nous rendre vulnérables à ceux qui en utiliseraient les ressources à des fins perverses.
L'heure est à la prise de conscience. Soyons vigilants.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 219 - du 09.10.95
BONJOUR, MERCI, PARDON, S'IL VOUS PLAIT
■ Faut-il parler encore du point sensible de la dégradation de nos rapports humains ? Certainement.
Les mots qui donnent au quotidien une civilité et les comportements qui établissent des rapports harmonieux entre des individus amenés à se croiser, à se rencontrer, à établir des rapports sociaux de quelque ordre qu'ils soient, sont le tissu de notre vie.
Est-il nécessaire d'épiloguer sur des constatations que nous avons tous faites? Nous avons tous dans la mémoire un interlocuteur qui n'ôte jamais le chewing-gum de sa bouche, un voisin de palier qui prend votre sommeil pour une discothèque, un client qui vous prend pour son larbin, un fournisseur qui vous méprise, une vieille dame qui resquille, un loubard qui insulte, un imbécile courant qui vous marche sur les pieds quand vous lui tenez la porte, un enfant pas élevé qui met ses mains sur tout un étalage de fruits ou de bonbons, un fumeur qui ne demande pas la permission, un non-fumeur qui râle avant qu'on ait allumé une cigarette... et un raton laveur mal léché.
Oui, mais voilà, dans les rapports humains on n'est pas seul contre tous. On est chacun avec chacun ou avec plusieurs autres, donc on est tous responsables et coupables de laisser-aller ou de laisser-faire, voire les deux.
Cependant, dans la dérive ambiante, apparaît un clivage nouveau. Comme l'effet sablier constaté sur la plupart des marchés, on voit naître une génération de "nouveaux civilisés ", face à une génération de "nouveaux barbares ", et rien entre les deux. Cela n'a rien à voir avec cette fichue segmentation entre catégories socio- professionnelles ni avec cette non moins réductrice segmentation des "tranches d'âge".
Il y a des nouveaux civilisés partout et des nouveaux barbares aussi. Ce qui serait grave, ce serait de voir les uns et les autres se ranger dans un camp et s'affronter.
Avant d'en arriver à cette extrémité, on peut envisager d'être utilement offensif.
Il y a des lieux et des êtres dont la tenue ou le comportement forcent le respect même chez les barbares (sauf cas extrêmes qui relèvent d'autre chose que de la vie civile et civique).
Vous avez tous compris de quoi il est question. Assortissez cette notion-là de celle, plus fondamentale, de l'impossibilité de construire quoi que ce soit qui en vaille la peine si c'est fondé sur le mépris des autres ou de soi-même, et vous aurez déjà fait un grand pas en avant.
Merci d'avoir lu, pardon d'avoir été prolixe, bonjour, quelle que soit l'heure de votre journée, et, s'il vous plaît, quoi que vous disiez, quoi que vous fassiez, dites-le avec des fleurs, faites-le avec le sourire.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 220/221 - des 13 et 20.10.95
PRESSE PRO, POUR QUOI FAIRE ?
■ On se le demande, surtout quand on en fait partie, la presse professionnelle, à quoi ça sert ? A chacun son éthique, son savoir-faire, son objectif. En ce qui nous concerne, bon nombre d'entre vous l'ont compris, la presse pro, c'est un outil, au service de ceux entre lesquels elle établit un lien impartial, au service de ceux qui cherchent des repères et des pistes dans l'exercice de leur activité, au service de ceux qui fondent dans leur carrière un espoir qui dépasse celui du seul profit pour le profit.
La presse pro, c'est un rendez-vous, hebdomadaire dans notre cas, pour faire le point, avec des événements saillants, des faits et des tendances touchant non seulement au secteur d'activité de chacun et aux secteurs environnants, mais encore à ce qui, dans une conjoncture élargie, peut conforter les uns et les autres dans une attitude responsable et dans le refus de fatalités prophétisées par ceux qu'elles peuvent enrichir.
La presse pro, c 'est un instrument de communication, dans le sens non réducteur du "bourrage de crâne " mais dans le sens de l'enrichissement par un dialogue à distance dans lequel chacun peut exprimer une conviction, l'argumenter, la faire partager ou la nuancer au terme d'un échange de vue.
Le dialogue, c'est comme l'amour. Ça ne se fait pas tout seul. On y trouve ce que l'on y apporte. Si l'on n'apporte rien, on ne trouve rien. S'asseoir et dire "informez-moi" n'est pas l'attitude qui permet d'être informé, pas plus que de s'asseoir et dire "amusez-moi" n'est la bonne façon de se distraire et de rire à coup sûr.
La presse pro, c'est un catalyseur de l'air du temps qui vous concerne, un outil d'analyse et de synthèse, ni dogmatique ni infaillible, mais qui a le mérite d'être vivant... au moins tant que vous lui permettez de vivre.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 222 - du 27.10.95
"FRENCH PARADOX" VOUS CONNAISSEZ ?
■ Qui, en France, se soucie du French Paradox ?
L'ouvrage de Lewis Perdue qui continue de faire grand bruit aux Etats-Unis a été traduit et édité en français en début d'année. Le "Paradoxe français", donc, sous-titré "réduire les risques cardiaques et vivre mieux grâce au vin et au style de vie méditerranéen ", nous intéresse tous. Et pourtant, posez la question autour de vous : qu'est-ce que le paradoxe français ? Vous n'aurez comme réponse qu'un étonnement ou des considérations sans rapport avec le sujet.
Mais qu'est-ce que les Français que nous sommes ont dans la tête ?
Certes, une poignée de producteurs de vin et de restaurateurs du Sud de la France, ont fait du French Paradox leur petit livre rouge. Certes, notre actuel ministre de l'agriculture, Philippe Vasseur, le Conseil National des Arts Culinaires et quelques institutions du secteur agro-alimentaire s'évertuent à donner à l'art de vivre et de s'alimenter à la française une résonance auprès de nos concitoyens. Si c'est nécessaire, ce n 'est pas suffisant.
On peut s'inquiéter, tandis que ce paradoxe alimentaire excite la jalousie de ceux dont la culture et les comportements les privent de ses bienfaits, de voir, a contrario, les Français laisser se dégrader à une vitesse vertigineuse leurs moeurs et comportements et adopter de plus en plus massivement, en particulier en milieu urbain, ce que les comportements saxons ont de moins enviable, voire de plus inquiétant pour une santé à laquelle nous consacrons par ailleurs, non sans désordre, une attention quelque peu paranoïaque et des sommes publiques et privées extravagantes.
Non, la solution ne consiste pas à consommer du vin en pilules, comme cela commence à se pratiquer outre-Atlantique, mais oui.
Reprenons-nous. Nous savions boire et manger au quotidien d'une façon qui joignait le sain à l'agréable. La perte ou la marginalisation de ce savoir serait, à terme, une catastrophe, alors que nous devrions utiliser nos atouts d'art de vivre conjugués à nos savoir-faire agro-alimentaires et à nos productions agricoles comme un fer de lance économique en même temps que comme un facteur de mieux-être.
C'est curieux, notre propension à négliger ce qui fait notre richesse et notre particularité, voire à le mépriser. Demandez à nos voisins italiens ce qu'ils en pensent, eux qui magnifient l'image de leurs beaux produits en mettant en pratique leur consommation... respectueuse.
Allons-nous cesser d'être paradoxaux pour devenir standardisés ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 223/224 - des 03 et 10.11.95
LES GRANDES SURFACES SUR LE GRIL
■ Nous avons bien écrit "grandes surfaces" et non la "grande distribution" ou la "distribution organisée" ou encore "le grand commerce moderne". C'est en effet sous le terme "grandes surfaces" que le commerce en question est désigné par les média, les édiles et le public, preuve qu'on ne lui accorde pas le crédit d'une troisième dimension. Ne dissertons pas sur ce dont on l'accuse. Chacun sait qu'il y a à prendre ou à laisser dans tous les discours. Chacun sait aussi que la grande distribution n 'est pas blanc-bleu.
Reconnaissez cependant, responsables du grand commerce, que vous n 'avez pas fait grand'chose pour ne pas aboutir à cette fatalité : devenir le bouc émissaire, en période économique difficile.
Colossaux, vous avez grandi trop vite, vous avez essaimé dans le désordre, vous vous êtes livré des combats épiques et vous avez laissé courir des pratiques sans éthique et les bruits amplifiés qu'elles engendraient, avec une légèreté d'autant plus coupable que vous vous saviez sous le feu des projecteurs que vos dimensions ne pouvaient pas manquer d'attirer. Vous avez fait des victimes sur votre passage ascensionnel, certes, mais vous avez laissé s'installer la rumeur. Quelle rumeur ? Celle qui vous accusait de tous les assassinats. Comme si, parmi les petits commerces disparus ou en voie de disparition, certains n'avaient pas creusé leur propre tombe sans que vous ayez directement concouru à leur perte, par exemple. Comme si les producteurs, tous vertueux comme chacun sait, ne s'étaient pas entre-tués sans votre aide et n'avaient eu, face à votre croissance, que des comportements angéliques. Comme si la clientèle...
Bref. Vous avez aussi, par omission sans doute, néglige de communiquer et de mettre l'accent sur ce que vous faisiez de bien. Il faut vous poursuivre avec une assiduité souvent peu récompensée pour apprendre que vous agissez, ponctuellement ou plus largement dans le sens du respect de l'environnement, du maintien de l'emploi en région, de l'aménagement du territoire ou de la mise en valeur des savoir-faire agricoles ou industriels de vos lieux d'implantation.
Il faut aussi parler de vous avec une telle circonspection que le résultat est parfois décevant, voire pervers. On vous suspecte d'arrière-pensée, dès que vous faites quelque chose de bien. Vous devriez avoir valeur d'exemple, mais vous êtes des colosses aux pieds d'argile et vos cuirasses ont des défauts faciles à investir.
Qu'attendez-vous pour être une force économique et civique positive ... et qui n'ait pas peur de le dire et de le faire savoir ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 225 - du 17.11.95
POUR EN FINIR AVEC LA MENAGERE DE MOINS DE CINQUANTE ANS.
■ Le terme a fait long feu. Sans doute n'aurait-il jamais dû exister.
Ceux qui l'emploient ont-ils mesuré à quel point il est réducteur ?
Ce sont les mêmes qui se trouvent aujourd'hui bien embarrassés par celui de «troisième âge» qui désigne une population hétérogène qui ne se reconnaît pas sous cette terminologie désinvolte. Combien de journalistes, tous types de presse confondus, n'ont-ils pas conspué les orateurs qui usaient et abusaient de ces définitions pour légitimer une démarche de marketing ou de communication, et ce, sans être entendus. Pourtant ces avertissements répétés auraient pu alerter les discoureurs. Et si nous allions sur un autre terrain que celui, quadrillé, d'une segmentation artificielle de ces types de consommateurs qui, précisément, s'échappent quand on croit les saisir dans des termes d'une confortable mais illusoire abstraction?
Quand on a «moins de cinquante ans», on est beaucoup de choses, mais certainement pas une «ménagère», et, qui plus est, on est souvent en passe de devenir un ou une «plus de cinquante ans», si l'on en croit l'évolution de la pyramide des âges, en France.
Par ailleurs, si l'on se réfère à l'ouvrage de Robert Rochefort, directeur du CREDOC, «La société des consommateurs» , par exemple, on peut balayer immédiatement un bon nombre de préjugés et d'idées reçues, même s'ils sont de relativement fraîche date, et réviser sa copie relative à une segmentation figée. Parce que la consommation a changé son fusil d'épaule, parce que les consommateurs bougent, changent, se renouvellent, parce que nos âges, nos moeurs, nos modes de vie, nos enthousiasmes, nos inquiétudes, nos prises de conscience et nos mouvements d'humeur modèlent et remodèlent en permanence ce que nous sommes, collectivement et individuellement, il est temps de tirer un trait sur «la ménagère de moins de cinquante ans» et quelques autres absurdités.
Et si l'on se mettait à penser la vie autrement ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 226 - du 26.11.95
ETRE DE QUELQUE PART
■ Ne nous méprenons pas. Le chauvinisme est stupide et la xénophobie haïssable. On pourrait accompagner l'un et l'autre de qualificatifs plus violents, mais c 'est un autre débat.
Etre de quelque part est certainement une nécessité pour que nous nous accomplissions et pour que nous entretenions avec la planète les bonnes relations auxquelles il vaut mieux ne pas contrevenir si l'on ne souhaite pas la détruire et nous avec.
Un récent voyage dans les Corbières nous a confortés dans cette opinion. Dans une région qui tient sur un département, il se trouve des hommes et des femmes qui prennent leur destinée en main. Les conditions historiques, géographiques, économiques ne sont pas tendres. Les populations, languedocienne, catalane ou fraîchement implantées -immigrées de l'intérieur ou de l'extérieur- n'ont pas les mêmes origines culturelles et les situations socio-professionnelles sont aussi hétérogènes qu'ailleurs. Toutes les conditions de la réussite sont réunies. Nous avons bien écrit «réussite» là ou vous attendiez «échec». Parce que les régions difficiles et ceux qui ont avec elles des relations d'appartenance sont condamnés à la réussite, le sentent ou le savent, il se passe là quelque chose d'exaltant, une aventure moderne qui pourrait bien être le renouveau d'une civilisation vieillissante. On demande aux vignes que l'on exploite de la qualité au lieu du volume. Quand, en revanche, on les a arrachées, un plan de réimplantation de l'olivier, du figuier, voire du chêne truffier doit faire échec à la jachère et à la désertification.
On entretient toutes les formes de mémoire culturelle, en gérant avec autant de prudence et de discernement que possible un tourisme aux relations normales, donc humaines, et l'on fait bon usage de son patrimoine. Demandez à Monsieur le Maire de Cucugnan comment il a intéressé les instances européennes à un projet qui s'est réalisé générant 4 emplois, dans un village de 128 habitants, et comment ce projet se poursuit, en toute ouverture sur l'extérieur...
Nous serions intarissables sur le sujet. Mais ne devriez-vous pas aller voir vous- mêmes, avec, qui sait, des idées d'enracinement qui manquent dramatiquement à ceux qui ont grandi dans le béton ? Peut-être alors aurez-vous touché à quelque chose d'essentiel.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 227 - du 1er. 12.95
N'EN DEPLAISE AUX SCEPTIQUES...
■ Le courage industriel peut revêtir des formes différentes et n'est l'apanage d'aucun type d'entreprise en particulier. Quelle que soit la façon dont il se manifeste et quelle que soit l'entreprise qui en fasse preuve, il est plus communément attendu au tournant qu 'encouragé par les observateurs de toutes origines.
Lors de la reprise d'Olida par Fleury Michon, par exemple, osons dire que la majeure partie d'entre eux vaticinait la faillite de l'opération.
N'en déplaise aux sceptiques, avec la création de Salaisons de l'Argoat, un véritable entrepreneur régional est issu des cendres encore chaudes de l'usine Olida de Loudéac. Ancrées, à force de volonté, dans le tissu économique, social, écologique, de leur région d'implantation, les Salaisons de l'Argoat ont mis en oeuvre les moyens matériels et humains nécessaires pour mener à bien leur entreprise, ce qui n 'était déjà pas une sinécure, mais elles ont surtout insufflé un esprit, une éthique, un projet bien ciblé, à des hommes dont la motivation est l'une des clés de la réussite du pari. La motivation à elle seule n'emporterait pas la partie, si elle n'était soutenue par une formation valorisante et une philosophie de promotion interne qui la sous-tendent.
Le sens de ces valeurs peut faire sourire. Tant pis pour les cyniques. Tant pis pour ceux qui n'ont qu'une ligne de chiffres comme critère de réussite. Tant pis pour les entreprises dont la seule finalité réside dans la croissance financière et l'absolutisme du pouvoir. Les Salaisons de l'Argoat ont gagné la première manche. Nous devrions tous nous en réjouir, aux dépens des rapaces qui guettent la mort des entreprises pour les dépecer.
On pourrait disserter encore sur la notion de proximité entre les hommes de l'administratif du commercial et de la production, sur la mobilisation collective sur les fronts de la qualité et de l'environnement, et sur le ton nouveau d'une approche de la clientèle qu'est la grande distribution. On pourrait surtout s'en inspirer.
Le courage industriel, ça existe, et ça vaut la peine d'en parler.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 228/229 - des 08 et 15.12.95
O DOUCE NUIT
■ Même si Noël n 'avait été récupéré par aucune religion, le solstice d'hiver aurait toujours été un temps de fête et d'espoir. La conscience humaine s'inscrit dans des calendriers et la fin du mois de décembre indique le passage à un temps nouveau : la graine enfermée dans la terre est en train d'y germer.
Charlemagne n'avait-il pas fixé au 25 décembre la date du Nouvel An? Quoi qu'il en soit, chacun d'entre nous ne ressent-il pas le besoin de redonner à cette période de l'année un contenu qui s'est plus ou moins dilué, notamment, dans la société de consommation ?
Chiffres de l'ONU en main, sur 5,6 milliards d'humains, nous ne sommes qu'1,6 milliard de consommateurs solvables. Si Paris vaut bien une messe, ce chiffre vaut bien un temps de réflexion.
Depuis notre minuscule hexagone, à quoi pensons-nous, en ces temps de Noël ? A nous dresser les uns contre les autres, à nous diviser face aux difficultés de tous ordres auxquelles nous sommes de plus en plus brutalement confrontés. Et tandis que nous agitons sans les résoudre nos problèmes de fourmis, notre planète donne des signes inquiétants de diverses maladies qu'il est criminel d'ignorer.
Chaque année, les artistes populaires se mobilisent, pour rendre à la planète ses arbres-poumons nécessaires, pour stopper le sida, la myopathie, pour donner aux enfants une véritable enfance, pour nourrir ou loger les plus démunis ... Alors, si ces gens-là, individualistes par excellence, parviennent à adopter des positions communes, à donner de leur temps, de leur talent, de leur âme, pour la dignité et la survie de notre espèce et de notre espace, pourquoi d'autres acteurs économiques ne parviendraient- ils pas à dépasser leurs querelles d'intérêts et leur logique de filière pour en faire autant, ensemble, plutôt que chacun dans son coin ?
Avant Noël, faisons un rêve. Imaginons que tous les industriels et tous les commerçants décident consensuellement d'offrir une journée de leur année à une grande cause planétaire, avec, naturellement, la mobilisation des consommateurs. Imaginons un gigantesque marché de Noël, à la dimension de l'hexagone, dont les bénéfices auraient pour but, pourquoi pas, de contribuer à donner aux 4 milliards d'humains qui en sont privés, les moyens de devenir des consommateurs solvables. Est-ce que la «douce nuit de Noël» n 'en serait pas embellie ?
Pensez-y. En s'y mettant tout de suite, ça doit être bon pour Noël 96.
PS : Bravo aux agriculteurs et industriels du secteur agro-alimentaire, pour avoir offert aux associations caritatives de quoi nourrir les plus démunis en attendant les crédits européens fin janvier. C'est un bon début.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 230/231 - du 09.01.96
AIR DU TEMPS
■ Difficile d'évoquer le climat général dans lequel nous vivons sans faire référence aux grèves et mouvements de rue qui ont illustré notre fin d'année 95.
A l'origine, une absence de concertation préalable, puis une communication gouvernementale nulle, sur le sujet brûlant de la nécessaire et urgente réforme de la «sécu». Ensuite, une levée de boucliers syndicale, accompagnée d'une désinformation qui n'était pas innocente. Enfin, une médiatisation à la hauteur de ce qui précède, soit au ras du sol, car les journalistes de toutes presses qui ont abordé le sujet au fond n'ont bénéficié ni des heures de grande écoute de Vaudio-visuel ni de la une des journaux populaires. Autrement dit, aucune des questions qui se posent à notre société n'a été clairement et impartialement portée à la connaissance d'une population prise en otage par une poignée de privilégiés. Car, n'ayons pas peur des mots, s'il y a, aujourd'hui, une caste privilégiée, ce n'est pas du côté de l'entreprise privée qu'il faut la chercher, et les syndicats peuvent bien utiliser une double terminologie «avantages sociaux acquis» pour les uns (les leurs), «privilèges» pour l'ensemble des autres, tout cela n'est que poudre aux yeux dialectique.
Ici, je me dois de parler à la première personne, même si l'ensemble de la rédaction de Faire Savoir Faire est d'accord avec mes propos, mon expérience personnelle n'engage que moi. Je ne renierai jamais ma pensée anarchiste et je ne me suis pas conformisée. J'ai seulement remarqué que «ni dieu ni maître» n'a de valeur que pour ceux qui peuvent assumer la difficile ambition d'être leur propre dieu et leur propre maître, en appartenant à une société et en respectant cette appartenance. Je ne renie pas non plus Mai 68. «Sous les pavés, la plage», «l'imagination au pouvoir», «Il est interdit d'interdire», «Faites l'amour, pas la guerre»... Mai 68, toute récupération politique mise à part, a vu descendre dans les rues des gens de tous âges dont le rêve était jeune et dont l'espoir de changement de société était généreux, solidaire et universel. A contrario, Novembre 95 a vu s'exprimer un monde de vieillards, adolescents inclus, une masse frileuse à l'exigence aveugle et méprisante d'autrui. Nous passerons sur les slogans, nous éviterons d'insister sur le non-respect du droit au travail exprimé par une partie des corporations représentées par les grévistes. Le plus grave est sans doute le signe de vieillissement de notre pensée qu'indique ce mouvement. Nous ne sommes plus une société en marche, nous donnons le spectacle d'une société couchée sur un lit d'hôpital, attendant de la providence un contingent supplémentaire d'infirmières. Et la majorité des gens lucides et actifs se tait ou n'est pas entendue par le magma médiatique qui manipule aussi les chiffres des sondages, notamment en disant «presque la moitié de la population est d'accord avec les grèves», on pourrait dire aussi «plus de la moitié de la population est hors d'elle-même et défavorable aux grèves». Question d'angle de vue.
Allons, ce n'est pas parce que l'air du temps est irrespirable qu'il faut se laisser asphyxier. Ce n'est pas ceux qui ont l'habitude de retrousser leurs manches qui me donneront tort.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 232 - du 16.01.96
L'ENNEMI? C'EST L'IGNORANCE
■ Plus on est ignorant, moins on s'en aperçoit ". Ce n'est pas nouveau, mais en début d'année, ce peut être un sujet de réflexion.
L'ignorance est un mal qui court notre planète et commence par la méconnaissance de soi. En toute innocence, ne voit-on pas les plus égoïstes se proclamer généreux, les plus arrivistes jurer de leur désintéressement et les moins scrupuleux se référer sans cesse à leur honnêteté ? Quant à l'ignorance des autres, à la méconnaissance du monde qui nous entoure, elles se manifestent en permanence et mènent à toutes les dérives. Erreur d'appréciation, malentendu, calomnie, mépris, haine, sont les enfants naturels de l'ignorance qui, plus que la paresse, est mère de tous les vices et de la plupart de nos maux.
Sur cette toile de fond, nous voici entrés dans l'ère de la transparence. Tous les milieux n'ont que ce mot à la bouche. On se rencontre, on se concerte, on se dit tout. Idyllique projet. Mais que vaut cette transparence véhiculée par des mots édulcorés et des formules vides de sens ? A force de priver propos et comportements de leur substance, au nom du "politiquement correct", par exemple, à force de diluer nos volontés et nos enthousiasmes dans des médicaments et discours de confort, comment veut-on que nous sortions indemnes de ce lavage de cerveau, de coeur et de volonté, institutionnalisé depuis de trop nombreuses années, à tous les niveaux de nos rapports prétendus intimes ou supposés sociaux ?
Pour faire obstacle à l'ignorance, pour que nos connaissances ne se limitent pas à une simple teinture de savoir, pour qu'une vraie curiosité nous anime, il y a plus de travail à accomplir que l'on ne s'imagine.
Réunissons-nous, concertons-nous, multiplions conférences, colloques et séminaires, soit. Mais sachons que le plein effet souhaité par les organisateurs de ces échanges d'opinions et d'expertises ne se produira qu'à condition de passer par certains préalables. Plus de langue de bois, plus de surdité psychologique, parlons vrai et juste, entendons de même.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 233 - du 24.01.96
DU SOUFFLE : EN AVOIR OU PAS.
■ Souffle, inspiration, enthousiasme, on l'a oublié et c'est dommage, ces trois mots-là ont la même origine. Derrière eux, la présence de quelque chose "venu d'ailleurs", un panthéon extraordinairement tumultueux, divers, coloré, avait peuplé nos imaginations et c'était, convenons-en, gratifiant, flatteur et sécurisant, ce sentiment d'être, à certains moments, tutoyé par les Dieux, accompagné dans ses recherches et travaux par un esprit supérieur assez bienveillant pour faire tomber des pommes là où précisément Newton en avait besoin ou pour faire flotter Archimède dans son bain avec assez d'insistance pour lui faire crier "Eurêka". C'était trop beau, donc cela ne pouvait durer. "La bande au Professeur Nimbus est arrivée..." et nous savons la suite : les deux frappés d'alignement, les Dieux, petits, moyens, aimables ou terrifiants, les muses et toute une cohorte d'esprits qui n'avaient fait de mal à personne, carrément expropriés, même pas SDF, sans domicile du tout et privés de leur raison sociale. Nos esprits rationnels se sont mis à traquer le souffle, l'inspiration, l'enthousiasme pour les réduire à leur mesure. La technocratie n'admet pas la différence. Nous en sommes au point où, lorsqu'un homme de marketing "inspiré", comme il en existe encore, réussit là où les voies tracées par la technocratie ont échoué, il est, le plus souvent sommé de s'expliquer sur "sa" réussite plus qu'il ne le serait sur un échec survenu "dans la norme ".
Nous n'avons pas raison de traquer l'étincelle. Elle se fait de plus en plus rare et, qui sait, peut-être finira-t-elle par s'éteindre tout-à-fait. S'il est vrai que 90% de transpiration sont nécessaires pour mener à bonne fin 10% d'inspiration, sans les 10% d'inspiration à quoi bon transpirer?
Notre rationalisme devrait cesser de refuser le partage avec un irrationnel plutôt flatteur. Et encore ne parlerons-nous pas de la chance, qui, elle aussi se refuse à l'analyse, mais que nous reconnaissons, non sans un certain agacement.
Ne trouvez-vous pas que tous les Dieux qui ont peuplé nos Olympes étaient de bons compagnons ? Est-ce vraiment tellement plus satisfaisant pour nos esprits d'expliquer nos talents, nos élans, nos découvertes par des jeux de la génétique ou des caprices hormonaux plutôt que d'y voir la main bienveillante d'un Apollon, d'un Mercure, d'un
Eros ou d'une autre divinité inspiratrice ?
Cessons de bannir tous les Dieux d'un ciel qui n'est plus si favorable à nos actions.
Nous sommes de plus en plus seuls dans ce monde surpeuplé, sous un ciel de plus en plus vide. Si nous persistons dans cette voie, il y a fort à craindre, avec le prophétique Georges Brassens, que la fin du monde ne soit bien triste.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 237 - du 27.02.96
GRIBOUILLE, N'IMPORTE QUI OU BERNARD PALISSY
■ Les plus nostalgiques et les plus civilisés d'entre nous finiront sans doute leurs jours dans une réserve à sauvages où les enfants du prochain millénaire viendront en visite comme dans les parcs de loisirs. Ces enfants-là s'étonneront, ils riront peut- être, en voyant le boulanger d'un temps révolu pétrir manuellement la pâte, le nougatier sélectionner les amandes de ses amandiers et le miel de ses abeilles, le salaisonnier embosser la viande fraîche dans du boyau véritable, et tout ce monde devenu presqu'irréel laisser au temps " le temps ' d'accomplir ce que nul n'a pu faire à sa place. Peut-être cela fera-t-il naître une violente et irrépressible vocation chez l'un d'entre eux?
En attendant d'aller rejoindre au musée l'héritage culturel abandonné qui nous y attend, nous avons encore beaucoup à faire, à commencer par refuser fermement et définitivement tous les intégrismes, celui de la standardisation comme celui de l'élitisme, pour éviter toute tentation sclérosante. Nous avons aussi à métisser intelligemment et passionnément nos cultures, puisque l'opportunité nous en est offerte par ce monde qui rétrécit et par ses brassages de populations. Qu 'on ne se méprenne pas, métisser les cultures c'est tout le contraire d'amalgamer nos incultures et nos barbaries dans une ambiance générale de laisser-aller que nous mettons sur le compte de la fatalité ou du déterminisme historique, chacun selon sa nature.
Notre monde, à l'évidence, est plus fécond en Gribouille, en pusillanimes bardés de parapluies et en moutons de Panurge, qu'en Bernard Palissy. Nous manquons cruellement de Bernard Palissy, ou, ce qui n 'est pas mieux, nous ignorons ceux que nous côtoyons. Dommage. Réveiller le Bernard Palissy qui sommeille peut-être en nous, quelle perspective porteuse d'enthousiasme, voilà un vrai projet, dans une société qui n'en propose pas de réellement passionnants. Encore faut-il, pour brûler ses meubles, être inspiré par la certitude d'avoir raison plutôt que par l'ambition de la reconnaissance sociale et économique.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 238/239 - des 01 et 08.03.96
BALAYONS TOUS DEVANT NOTRE PORTE
■ Si toutes les croisades actuelles en faveur du "goût" alimentaire sont louables à des titres divers, elles ont, avant tout, le mérite de susciter des interrogations en amont et en aval, sur les comportements paradoxaux des uns et des autres, et de notre société dans son ensemble.
Peut-on sérieusement parler d'une éducation du goût qui ne commencerait pas par son apprentisage et sa pratique permanente dans les lieux où, précisément, il se forme et prend ses quartiers
quotidiens? Que penser de la restauration collective, dont la "part de marché" dans l'alimentation des citoyens que nous sommes connaît une progression qui n'est pas en voie de ralentissement ? A de marginales exceptions près, s'il est vrai que l'on mange en sécurité, sur le plan de l'hygiène, dans la plupart des cantines, ne nous voilons pas la face, le goût en est absent. De la maternelle à la maison de retraite en passant par l'université, la cantine d'entreprise et le fast food où nos activités professionnelles nous conduisent, peut-on dire que quelque chose nous incite à acquérir, cultiver, développer et exalter notre goût? Peut-on, en amont, se reposer sur des signes officiels de qualité, quand on sait quel ménage sont contraints de faire ceux qui en ont été les premiers instigateurs, pour leur maintenir une crédibilité ? Demandez à la "volaille Label Rouge" quelle remise à niveau et quelle mise au point elle a entreprises pour redorer le blason d'un label quelque peu terni par des pratiques commerciales désastreuses. Peut-on parler de goût à nos contemporains, paranoïaques en matière de santé, déboussolés par les discours contradictoires de diététiciens qui, après nous avoir détournés du sucre, du pain, de la viande, des corps gras, des pommes de terre, du vin (et j'en passe), nous tiennent un discours inverse, tous les 5 ou 10 ans ?
Enfin, doit-on parler isolément du goût, dans une civilisation en perte de repères, alors que les valeurs de partage et de l'éducation de tous les sens pour dépasser une notion primaire du plaisir ont pratiquement disparu de nos préoccupations ?
Qu'est-ce que le goût, sans contexte social ou familial ? Jacques Puisais, qui en sait plus que vous et moi n 'en saurons jamais sur le sujet, se plaît à souligner que les sensations liées à la dégustation sont profondément modifiées par les circonstances, les lieux, les convives avec qui l'on partage.
Le goût, on le perçoit bien, c'est une partie d'un art de vivre dont nous sommes individuellement et collectivement responsables, qui ne se construit pas sans effort, qui n'est pas un acquis et qu'il serait bon de retrouver, autour d'une table où l'on prendrait aussi le temps de se parler, par exemple.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 240 - du 15.03.96
GLOBALEMENT INEXACT
■ Pour commenter l'appréciation de Jacques Chirac sur la frilosité des banques à l'égard des entreprises, un porte-parole des banques populaires, lors d'un débat télévisé, employait le terme "globalement inexact".
Nous avons enregistré ce "globalement inexact", avec plus qu'une pensée, une réflexion sur ceux, aussi minoritaires soient-ils, qui ne sont pas inclus dans la globalité et constituent la masse anonyme des sacrifiés de l'économie bancaire. Ce "globalement inexact" est choquant. Aucun laissé-pour-compte ne devrait être considéré comme quantité négligeable à passer dans la moulinette des pertes et profits d'une société qui nous fait tous complices de ses coupables approximations.
N'est-ce pas l'occasion de dire une fois de plus tout haut ce que nous pensons tout bas (de plus en plus bas, dans certains cas) ?
Arrêtons de tout prendre en termes généralistes et édulcorés, c'est une façon de rejeter la responsabilité, l'individualité, la différence, comme si elles nous gênaient aux entournures. N'y a-t-il vraiment que le nombre qui nous impressionne ? Un exclu, ce n'est pas grave, des millions d'exclus, cela commence à le devenir ? Une faillite ce n'est pas grave. Des milliers de faillites, c'est ennuyeux, des millions de faillites, cela commence à devenir inquiétant ?
Il va sans dire que nous ne considérons pas la banque comme la seule responsable des difficultés rencontrées par les entrepreneurs. Que dire des "tracasseries" administratives, quand la réglementation est appliquée par des exécutifs ignorants de la réalité quotidienne de ceux qui en font l'objet, ou par des obsédés du zèle excessif ?
Dans les secteurs d'activité qui nous intéressent, que dire des pratiques qui faussent le jeu, qui éliminent la concurrence, qui tuent les entreprises et ruinent les entrepreneurs ? Non, il ne s'agit pas de crier haro sur le baudet, dans la conjoncture actuelle, et de désigner le grand commerce comme l'ennemi public numéro 1. Il s'agit de rappeler que ceux qui jettent la première pierre sont rarement les plus innocents.
Et que celui qui n'a pas proposé un budget de référencement excessif, dans le but principal défaire déréférencer un concurrent, lève la main.
Allons, nous sommes tous plus ou moins coupables et tous plus ou moins victimes.
Peut-on arrêter la machine ? Peut-on dire "Pouce, je ne joue plus ? ". Sans doute.
Posons-nous la question, en toute intimité, devant notre glace : cela ne sortira pas du face à face.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 241/242 - des 22 et 29.03.96
FIN DE SIECLE
■ Le 20ème siècle touche à sa fin. Déjà, c'est le temps des bilans.
Qu'avons-nous fait de notre vingtième siècle ? L'émission de Jean-Marie Cavada, "La marche du siècle" posait récemment la question à des hommes de science et de culture, parmi lesquels le philosophe Michel Serres qui, enfin de débat, faisait ce constat inquiétant : aujourd'hui, science et culture suivent des chemins séparés et le clivage va s'accentuant. Plus grave, si c 'est possible, le pessimisme est dans le camp de la culture.
Science sans conscience... on connaît la suite. Ce qui devrait nous tenir en état d'alerte, c'est que l'on peut appliquer à l'homme de tous les jours cette compartimentation qui nous ampute d'une part de conscience, de connaissance et de sensibilité indispensable à notre bon équilibre. Nous n'avons plus qu 'une corde à nos violons. Nous jouons sur une seule note notre petite musique d'êtres voués à la spécialisation et de moins en moins cultivés. Plus soucieux de posséder et de tenir que de connaître et d'aimer, l'homo economicus écrase l'homme humain.
On a beau ramer à contre-courant, on est fondé à s'interroger sur les chances de succès de l'entreprise, en particulier quand il s'agit de transmission aux générations montantes.
Quel événement, quelle révélation, quelle révolte, quel sursaut d'humanité pourrait réveiller les somnambules robotisés que nous sommes en train de devenir ?
De quel haussement d'épaule accueilleriez-vous mes propos si je commençais par "Il était une fois l'honnête homme du 17ème siècle... il était une fois Léonard de Vinci... il était une fois Jean Rostand" ? Seriez-vous prêts à me prendre au sérieux si je vous disais que l'enfant attardé qui jouait du violon et le savant qui mit le monde en équation, réunis dans la personne d'Albert Einstein, me semblent être un cas de figure dont la reproduction paraît peu probable, au vu de l'orientation qu'a prise notre évolution ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 243/244 - des 05 et 12.04.96
QUAND ON PASSE LES BORNES... IL N'Y A PLUS DE LIMITES
■ Médiatisez, médiatisez, il en restera toujours quelque chose, pourrait-on dire en paraphrasant Beaumarchais.
Si le gouvernement espérait voir et entendre amplifier l'onde de choc suscitée par la chasse aux sorcières "grandes surfaces " sans doute ne souhaitait-il pas voir ni entendre se propager les aberrations des grands médias, télévision en tête, plus royalistes que le roi, qui, à force de lécher les bottes du pouvoir quel qu'il soit, vont finir par lui scier les pattes.
Juste avant que la vache folle ne communique sa folie aux folliculaires en mal de copie, on apprenait d'eux que les grandes surfaces étaient les responsables du dépeuplement des centre-villes. On croit rêver. Le coeur des grandes villes n'a pas attendu l'explosion des hyper pour se vider de ses habitants. Qui a rejeté, dans des villes-dortoirs ségrégatives, des populations entières ? L'urbanisme de l'après-guerre et l'aménagement du territoire y ont largement pourvu, quand les grandes surfaces étaient encore à naître. Quant à la désertification des campagnes, et, par voie de conséquence, celle des villages, des bourgades et des bourgs, peut-on, sans rire, l'attribuer à Carrefour, Cora ou Casino? La faillite des petites et moyennes exploitations agricoles est-elle le fait de Paul-Louis Halley ou d'Edouard Leclerc ? Est-ce Auchan ou Intermarché qui a fermé l'école, l'église ou le café autour desquels s'articulait la vie sociale de nos campagnes ?
Si l'on peut, à raison, reprocher aux grandes surfaces de défigurer le paysage, avec leur architecture pour le moins regrettable, on ne peut pas leur imputer toutes les injures esthétiques subies par nos régions. Nombreux sont ceux, publics ou privés, à qui revient une place de choix au palmarès de l'horreur. Si vous manquez d'exemples, consultez-nous.
Plutôt que ces mauvais procès, ne vaudrait-il pas mieux engager un vrai débat, avec les bonnes questions relatives à la concurrence, et ce, en toute impartialité ? Ne pourrait-on pas, utilement, faire apparaître les actions positives du grand commerce, acteur économique de premier plan, pourvoyeur d'emploi, par exemple ?
Faire Savoir Faire posera quelques questions et montrera quelques effets positifs de la grande distribution ; pour cela, rendez-vous dans notre prochain édito, et, d'ici-là, essayons de calmer le jeu et de ramener à des proportions raisonnables vaches folles et boucs émissaires.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 246 - du 30.04.96
ARRETEZ LA LOGORRHEE, CA DEVIENT CONTAGIEUX
■ Non contents d'avoir mis à mal la filière des produits carnés en s'exprimant inconsidérément autour et à l'entour de la vache folle, nos médias continuent à tenir des propos dangereux et non fondés, voire délibérément mensongers, destinés à discréditer l'industrie agro-alimentaire et les grandes surfaces, comme si l'une et les autres étaient à l'origine de toute notre déshumanisation, alors qu'elles sont nées pour répondre aux exigences des marchés de masse qu'elles n 'ont pas engendrés.
Méconnaissance du sujet, volonté de nuire ou, ce qui ne vaut pas mieux, besoin de vendre de la copie aux dépens d'un secteur industriel ? La "une" racoleuse du Nouvel Observateur "Alerte à la bouffe folle" invitant à lire un article intitulé "la cuisine de Frankenstein" et l'amalgame ahurissant constitué par le contenu dudit article nous ont stupéfaits.
La liberté de la presse signifie-t-elle "liberté de claironner n'importe quoi" ? Peut-on prétendre sans rire que les jambons supérieurs produits conformément au code des usages dans les entreprises agro-alimentaires de Vendée ne sont issus "d'aucun porc réel" ?
Peut-on soutenir que l'emmental (sans h, s'il vous plaît), issu de la même région, se prétend "d'AOC" ? Peut-on nous faire croire que le terme "moulé à la louche" est indûment employé quand il désigne un process de fabrication industriel, alors que les machines les plus technologiquement avancées sont, le plus souvent, conçues pour reproduire avec précision un ensemble de gestes à l'origine manuels ?
Dans la divagation du Nouvel Observateur, le plus inquiétant c 'est qu 'elle vise à déstabiliser trois entreprises françaises implantées au coeur des régions de production et attachées à celles-ci, créatrices d'emploi dans lesdites régions, respectueuses de l'environnement et réputées pour la qualité de leurs produits et pour leur éthique professionnelle. On peut se demander si la presse qui colporte une désinformation aussi grave n'est pas manipulée par quelque lobby peu scrupuleux, à moins qu'il ne s'agisse plus banalement que de manque de maîtrise du propos et de goût de la provocation gratuite.
Il n 'a pas de beaux restes l'esprit voltairien qui est supposé et prétendu être le nôtre.
Ne sommes-nous plus capables de nous élever au-dessus de propos de comptoir ? Il semble que non. J'en veux pour autre exemple, lors d'une émission matinale de TV, en fin de semaine, une interview de Michel-Edouard Leclerc. Accusé de démagogie pour la mise en place de ses sacs recyclables -quand on sait le peu d'investissement de nos compatriotes dans l'écologie, on peut se demander où est la démagogie-, Michel-Edouard s'est vu suggérer de s'investir plutôt dans une grande cause humanitaire.
Parce que l'écologie n'est pas une grande cause humanitaire, peut-être ?
Fermons le robinet médiatique qui répand alternativement du poison et de l'eau tiède, et retournons à nos activités responsables, c'est ce que nous avons de mieux à faire.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 247/248 - des 03 et 10.05.96
AH! QUE J'AIME LES TECHNOCRATES...
■ Est-ce la casquette qui crée la mentalité ou y a-t-il une prédisposition a la technocratie ?
Pourquoi, dès lors qu'il s'agit d'administrer, oublie-t-on que l'administré est un individu et non une abstraction ? Cette semaine, excusez-moi de parler d'expériences personnelles, mais elles sont instructives, je trouve «ma» boulangerie en effervescence. Les clients se pressent pour signer une pétition adressée au Syndicat de la Boulangerie : «Suite à la délation anonyme d'un concurrent et néanmoins confrère, les habitants et riverains de la rue... ont trouvé, le mercredi 24 avril, les portes de toutes les boulangeries closes. Ces mêmes clients, défenseurs du petit commerce de proximité et de l'artisanat, vous demandent un peu plus de souplesse dans le cas des congés hebdomadaires et des vacances...»
Que s'était-il passé ? Le boulanger dont la fermeture hebdomadaire tombe le mercredi, apprenant par ses clients que les deux autres boulangeries de la rue seraient fermées, précisément le même jour, en raison des congés de Pâques, s'était proposé, à la satisfaction des consommateurs, d'ouvrir exceptionnellement, le mercredi 24 avril, pour leur éviter le parcours du combattant à la recherche du pain quotidien. Dénoncé auprès de son syndicat, il s'est entendu (par téléphone) enjoindre de ne pas ouvrir, sous peine d'une lourde amende et de voir les forces de l'ordre le contraindre de fermer sa boutique s'il contrevenait à cette injonction. On croit rêver.
D'autres technocrates m'avaient bien plu, quelques jours plus tôt. Il s'agit de ceux qui gèrent la mise en oeuvre des plate-formes multi-modales de transports. En vertu d'une approche globale, voilà-t-il pas qu'il faut aller prendre à Roissy le TGV du Sud, ce qui, convenons-en, est assez dissuasif pour un habitant de Paris intra-muros, lequel préférera l'avion au train, pour gain de temps et d'argent. Est-ce bien ce que souhaite la SNCF ?
Administrer, c'est bien. Perdre de vue l'objectif du commerce et du service, c'est moins bien et cela révèle le peu de cas que nous faisons nous-mêmes de cette espèce humaine à laquelle nous appartenons.
Est-ce que les têtes pensantes pensent à ce qu 'il faut ? Est-ce qu'elles y pensent comme il faut ? Avant de vous laisser la réponse, comme vous la sentez, je vous propose de prendre une bonne crise de fou-rire (avant de payer l'addition) au sujet du monde de l'informatique. Ces informaticiens, qui nous regardent du haut de leur planète binaire sans nous voir, ne viennent-ils pas de réaliser que toute cette informatique qui nous gère, nous digère, nous nargue, nous largue, et dans laquelle nous sommes totalement immergés, a tout simplement négligé d'intégrer le passage à l'an 2 000 dans sa programmation. Pour elle, le double zéro de ce nouveau siècle renvoie à I 900. Il n'y a pas de temps à perdre pour résoudre le problème. Le monde entier a mis ses grandes pointures sur le sujet. Il reste moins de 4 ans pour réviser la copie, ou la réalité, une fois encore depuis Jules Verne, Aldous Huxley, Ray Bradbury et quelques autres, aura dépassé la fiction.
Curieuse planète que la nôtre et curieux habitants que les siens, acharnés à sa perte et à leur propre destruction.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 249 - du 17.05.96
LE PIED A L'ETRIE
■ Qui n 'a pas eu besoin, à titre professionnel, de rencontrer ceux et celles qui lui mettraient le pied à l'étrier ? Avoir les idées et la capacité de créer une entreprise, c 'est une chose. Surmonter les obstacles pour y parvenir est une tout autre affaire qui relève de l'exploit. Le plus démoralisant, sans doute, est de devoir convaincre la société publique du bien-fondé de la démarche et d'obtenir, outre les fonds nécessaires à la mise en oeuvre d'un projet, l'aide administrative concrète qui permette de le mener à bien.
Faire Savoir Faire, en sa qualité d'entreprise indépendante, connaît le sujet à fond. Aussi sommes-nous particulièrement heureux de pouvoir consacrer un propos éditorial à une initiative régionale qui va permettre à l'un de nos lecteurs de bénéficier de fonds, d'un lieu et d'exonérations diverses, pour créer une entreprise agro-alimentaire, au coeur du Pays d'Auge. La société publique, en l'occurrence la municipalité de Mézidon-Canon et la société civile, en l'occurrence l'entreprise "La Roue de Pays d'Auge", installée depuis 5 ans dans cette commune, lancent, en concertation avec l'ensemble des instances régionales, un concours de création d'entreprise, destiné à amener dans la commune une activité génératrice d'emplois- au moins 10- dans une région particulièrement touchée par le chômage. Les dossiers de candidature sont à votre disposition auprès de LA ROUE DE PAYS D'AUGE, BP 56, 14 270, MEZIDON-CANON. Le lauréat recevra un capital de 250 000 francs, offerts par La Roue de Pays d'Auge, la Ville mettra à sa disposition le terrain nécessaire et apportera dans la corbeille 50 000 francs, sous forme d'exonérations diverses. Par ailleurs, la Roue de Pays d'Auge et la Municipalité s'engagent à soutenir et assister la nouvelle entreprise dans sa création et son développement.
Vous ne trouverez que dans la presse l'information relative à ce concours, aussi serions-nous assez fiers de compter le lauréat parmi nos lecteurs.
Et comme une bonne nouvelle n 'arrive jamais seule, le Reims Creator 96, lancé en février dernier, nous prie de vous rappeler que vous pouvez adresser vos dossiers jusqu'au 1er juillet à la Mairie de Reims, si votre entreprise a été créée entre le 1er janvier 91 et le 30 juin 96, dans un rayon de 50 km autour de Reims, pour recevoir l'un des 5 prix de 50 000 francs destinés à récompenser les meilleurs entrepreneurs dans les 5 catégories : agro-affaires, artisanat, commerce, industrie et services.
Quand la société civile et la société publique unissent leurs efforts et harmonisent leur discours, on est rassuré sur le potentiel de création et d'investissement de nos régions.
Que le débat soit de même nature à l'échelon national, c'est tout ce que nous souhaitions, et voilà qu'à l'initiative de notre Ministre de l'Agriculture, Philippe Vasseur, en collaboration avec Agro-Industrie-Avenir et le Conseil National des Arts Culinaires, s'organise le 1er Grand prix "Patrimoine Culinaire et Innovation", destiné à récompenser une entreprise "qui a su faire passer un produit de terroir d'un stade artisanal local à un stade industriel national". Vous pouvez participer, la clôture des inscriptions est fixée au 1er juin. La dotation n'est pas négligeable, elle consiste en un accompagnement commercial "à la carte " offert par Casino et par Monoprix pour une contre valeur de 350 à 400 000 francs par enseigne. A1A, 8 rue d'Athènes à Paris, tient les dossiers de candidature à votre disposition.
Faire Savoir Faire, c'est promis, suivra les trois sujets évoqués et souhaite se faire l'écho d'autres initiatives, car la sinistrose n'est pas notre ton et nous préférons l'enthousiasme à l'indignation.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 250/251 - du 29.05.96
DES OUTILS POUR L'IMAGINATION CREATIVE
■ Sortir du moule des schémas dans lesquels tout enseignement spécialisé a tendance à enfermer les jeunes têtes pensantes, et dans lesquels la longue pratique du marketing et de la commercialisation a également tendance à enfermer les têtes expérimentées, exige un appui.
Trouver des outils neufs et fiables pour alimenter utilement leur réflexion et stimuler leur imagination, les opérateurs de l'industrie et du commerce savent que ça n 'est pas évident. Ce ne sont certes pas les panels, études, analyses qui font défaut. Les sociologues non plus. Mais il y a peu de sociologues inspirés, qui posent la bonne question au bon moment, sans a priori sur les réponses qu 'ils vont découvrir, puisque leur étude n'aura été commanditée par personne. Dominique Demuth fait partie des exceptions. Elle est curieuse des gens, des moeurs, des évolutions de notre société et consacre autant d'énergie, de moyens et de temps que possible à assouvir cette curiosité, sans idée d'utilisation préconçue. C'est ainsi qu'elle s'est investie dans une étude sur le phénomène de dépendance des 18/26 ans qui vivent de plus en plus longtemps chez leurs parents (et ceux qui se font aider par eux) et sur l'influence de cette dépendance "sur les comportements de consommation et d'achat de ces jeunes ainsi que sur le comportement de leurs parents". Ce qu'on découvre à la lecture de cette étude, notamment à propos des modalités de choix et leurs variations, selon que les jeunes sont acheteurs ou préconisateurs, dans des secteurs tels que l'alimentation, les loisirs, l'équipement, l'hygiène-beauté, et à propos de la perception qu 'ils ont des marques et des enseignes, est riche d'enseignements.
Si nous étions américains, Dominique Demuth serait Faith Popcorn, un éditeur mettrait les formes et les moyens nécessaires pour vulgariser son "produit" et transformer en best-seller ce qui se présente comme un instrument de travail.
Mais nous ne sommes pas américains, à peine sommes-nous européens. Alors, pour bénéficier de l'enseignement, il faut se procurer cette étude qui, en moins de 100 pages, fait un sacré remue-ménage.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 252 - du 07.06.96
ENTENDONS-NOUS BIEN
■ Vous qui nous lisez et nous communiquez des informations destinées à figurer dans nos rubriques, à alimenter la documentation sur laquelle s'appuient nos dossiers, voire à fournir la substance de nos éditoriaux, vous savez, ou devriez savoir qu 'il y a un distinguo entre le propos rédactionnel et l'achat d'espace publicitaire. Si nous utilisons la "matière" rédactionnelle que constituent vos dossiers de presse, fiches produits, lettres et télécopies adressés à l'un ou l'autre des journalistes que nous sommes, c'est évidemment hors de toute transaction commerciale. Si vos intermédiaires, chargés de relations publiques ou attachés de presse, vous "facturent" la parution de vos informations, ce sont des escrocs, n'ayons pas peur des mots.
L'achat d'espace publicitaire est une autre affaire. C'est l'objet d'une transaction avec les directeurs de clientèle d'un journal, en aucun cas l'objet d'une transaction avec un journaliste. Il semble que cela mérite d'être dit et répété, puisqu'encore aujourd'hui certains d'entre vous reprochent aux journalistes que nous sommes de n'avoir pas répercuté leurs informations avec les égards qu'aurait mérité le "coût de l'opération ".
Et puisqu'il faut tout vous dire, nous ne sommes pas non plus les gestionnaires de vos informations, ni leurs coursiers. Que certains de vos chargés de presse ne sachent pas à quel lectorat nous nous adressons, que d'autres (ou les mêmes) nous harcèlent pour connaître la date éventuelle de parution d'un texte qui vous concerne, en nous avouant ingénument qu'il faudra leur envoyer un "justificatif" parce qu'ils ne lisent pas notre revue et, naturellement, n 'y sont pas abonnés, enfin, cas extrême mais non isolé, qu'ils nous appellent pour nous demander à quel titre nous avons répondu à l'une de vos invitations (éventuellement par la négative), car ils ne savent même pas "ce que nous faisons", cela engendre une perte de temps et d'énergie qui finit par rendre enragés les plus aimables et civilisés d'entre nous. Nous passerons sous silence ce que peuvent nous inspirer ces attitudes comme réflexions, et la difficulté que nous avons à dissocier l'entrepreneur de ses "chargés de presse" dans ces cas-là. Un mot encore : pouvez-vous obtenir de vos intermédiaires qu'ils donnent la priorité à "vos relations publiques" sur les leurs ? Je crois qu'à cet égard vous n'avez pas besoin de détails, mais je peux vous les fournir.
Nous ne voulons, bien sûr, pas jeter le discrédit sur "l'ensemble" d'une profession qui compte une majorité de très précieux auxiliaires de votre activité et de la nôtre, connaissant à fond les marchés, vos entreprises, vos produits, vos actions, vos objectifs et, parallèlement, prêts à nous aider dans nos recherches, même quand elles exigent des réponses immédiates ou complexes. Nous sommes fondés à penser que ceux-là approuveraient un assainissement de leur profession, cela va de soi. Au passage, nous les remercions de leur compétence et de leur efficacité, car ils se trouvent entre le marteau et l'enclume (choisissez votre rôle), et ce n'est pas une sinécure.
Les arcanes des métiers de la communication sont multiples. Cela ne mériterait-il pas une mise aplat, dans une époque où l'on ne jure que par la transparence?
Nous y mettons du nôtre, mettez-y du vôtre.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 253/254 - des 17et 24.06.96
REACTIONS "A CHAUD"
■ Ce que la légende grecque a passé sous silence, c'est que les calamités, dont la maladroite Pandore a empoisonné la terre en ouvrant sa fameuse boîte, ont la faculté de se reproduire, de se multiplier, voire d'engendrer de nouvelles variétés. Ce qu'elle n'avait pas dit non plus, c'est que, sous le couvercle, l'espérance captive serait muette et qu'en sa compagnie, les hommes conscients éduqués et compétents auraient tendance à le devenir aussi. Ils sont là, cependant.
Vos réactions à plusieurs de nos éditoriaux en témoignent, vous êtes plus nombreux qu'il n'apparaît à avoir échappé aux réducteurs de tête que sont, notamment, les médias irresponsables, manipulateurs et (ou) manipulés qui cherchent à nous lobotomiser à coups d'informations mensongères ou approximatives, d'irréality et d'imbécillity shows présentés par les nouveaux maîtres à éviter de penser que sont les charlatans de la psychologie.
Un fort courant positif circule dans nos régions -plus que dans les mégapoles, il faut le reconnaître-, à preuve, l'exemple de Cantorel, leader des fromages AOC d'Auvergne, qui se bat pour la défense de ceux-ci, mais, au-delà, se mobilise pour inciter à la création d'entreprise rurale (dépèchez-vous, la clôture des dossiers c'est le 26 juin, une dotation de 500 000 F est à la clé, Tel (XXXXXXXXXX), à preuve également les lettres, télécopies, appels téléphoniques d'opérateurs de l'industrie et du commerce pour nous conforter dans notre franc-parler et notre parler vrai.
A propos du dernier édito où nous déplorions les pratiques de certaines agences de relations publiques, parmi les attachés de presse sérieux qui ont adhéré à nos propos, certains nous ont demandé d'apporter un complément à nos critiques, à l'adresse de ceux qui utilisent leurs services, cette fois.
Bien que nous ayons déjà abordé le sujet, n 'ayons pas peur de répéter que nombre de décideurs s'entourent mal et n'ont, par conséquent, que les collaborateurs permanents ou occasionnels qu'ils méritent, soit parce qu'ils ne tolèrent pas la contradiction, soit parce qu'ils ne sont pas convaincus du fait qu'un bon entourage les valorise à coup sûr plus qu'une armée de courtisans, soit parce qu'ils manquent de perspicacité dans le recrutement et la gestion des ressources humaines... Que dire à ceux-là qu'ils soient enclins à entendre ? Qu'il faut peut-être éviter de confondre compétence et motivation avec "Bac + ..." et qu'il est souhaitable d'éviter d'embaucher ceux qui prennent le Mont Chauve pour une réclame capillaire, Pic de la Mirandole pour un sommet des Pyrénées, les Dentelles de Montmirail pour un ouvrage de dames, Sharaku pour un sport de combat, Akhénaton pour un antidépresseur, le Club Med pour un retour aux sources et les diplômes pour la culture.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 256/257 - des 05 et 12.07.96
L'ETE EN " QUESTIONS "
■ Accélération des concentrations, dans les secteurs du commerce et de l'industrie, pression fiscale, inquiétudes sur les fractures familiale, sociale, économique, géopolitique... règles de la compétitivité en perpétuel changement, mondialisation galopante difficilement maîtrisée (et au profit de qui ?), telle est la toile de fond d'un été qui devrait, en vertu des droits acquis en 1936, être le moment des congés pour tous, payés de surcroît.
Si nous en croyons nos agendas, remplis en juillet et août de rendez-vous avec des responsables de la production et du commerce, l'été ne sera pas la trêve sur tous les fronts dont nous rêvons tous. Nous ne manquerons pas, pour la plupart d'entre nous, de devoirs de vacances, si nous ne voulons pas nous trouver en perte de vitesse ou en voie de marginalisation à la rentrée.
Dur dur de ne pas se laisser déborder, dans une conjoncture globalisatrice, réductrice et fataliste.
Pas d'alternative à la mondialisation ? Soit. Mais les voies de la mondialisation peuvent être diverses, on peut envisager d'éviter de faire trop de victimes et trop d'exclus, on peut même espérer, si l'on s'y emploie sans se dire que c'est "la tâche des autres", voir apparaître la perspective de vivre mieux, autrement, dans un état d'esprit élargi. Pourquoi pas ? Sur chacun des sujets de préoccupation qui nous sont imposés, il y a forcément des voies nouvelles à explorer. Ce que nous devons avoir à l'esprit, c'est que nous avons peu de temps et peu de marge opérationnelle pour infléchir les courbes de notre devenir afin qu'elles ne deviennent pas des pentes fatales.
L'été sera lourd. L'été sera court. Dépêchons-nous de prendre un second souffle, profond de préférence, dont nous avons besoin pour arrêter de gérer le court terme et passer à des politiques plus visionnaires.
Laissons la folie aux vaches, les questions relatives à Docks de France, Dia, Moulinex et autres, trouver leur réponse, puisque nous ne sommes pas maîtres de ces situations, et mettons le cap sur le grand air non pollué qui reste ça et là à notre disposition, nous en aurons besoin pour affronter une saison 96/97 qui nous trouvera, vous et nous, fidèles au poste et dotés d'une énergie d'enfer, promettons-le nous.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 258 du 30.08.96
L'AUTOMNE SERA LOURD
■ Ce n 'est pas un scoop.
Nous le savons tous, l'automne sera lourd. Le ciel ne nous tombera peut-être pas sur la tête, mais nous subirons pression et incertitude paralysantes auxquelles il faudra résister.
Concentration accrue, administration pesante et toujours inadaptée, réduction de notre dynamisme en matière de recherche et développement -et pour cause-, inégalité grandissante des chances entre multinationales et PME, aucun secteur d'activité ne sera épargné. Toile de fond : asphyxie généralisée d'une planète où les pots d'échappement des 2 et 4 roues ne sont que les boucs émissaires, pas innocents soulignons-le, d'une pollution au sujet de laquelle un relatif mutisme est de rigueur.
Aujourd'hui, pêches et tomates jonchent les routes, les vaches montent sur Paris, et c'est légitime, tandis que les syndicats de tout poil nous promettent d'aggraver les "tensions sociales " sans proposer de solutions réalistes, et que le pays des droits de l'homme -ou qui se prétend tel-, coincé entre la lettre et l'esprit de ses lois, n'arrive pas à résoudre dignement le problème de quelque 300 africains désespérés, ce, pour la partie émergée de l'iceberg.
Si nous avons dormi ou chanté tout l'été, il faut nous réveiller si nous ne voulons pas déchanter.
Dans toute situation, marasme y compris, se trouve quelque chose de positif. Mis au pied du mur, les plus entreprenants, les plus perspicaces, les plus inventifs et les plus passionnés ont les plus fortes chances de survie. Sortir d'une logique stérilisante d'assistés complets est la seule issue. Un cocktail s'impose pour y parvenir : 1/3 d'inspiration, 1/3 de transpiration, 1/3 de persévérance... et un grand tiers de chance.
Cela fait 4 tiers, oui, comme dans le Marius de Pagnol. A chacun de s'arranger avec l'arithmétique.
Allons, c'est la rentrée, nous sommes tous logés à la même enseigne, mettons-nous au travail.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 259/260 des 06 et 13.09.96
FAISONS UN REVE...
■ Les Français font la gueule.
Les Français ont beau tourner les yeux de tous côtés, comme soeur Anne ils ne voient rien venir qui les incite à retrouver le sourire et l'espoir. Des mesures techniques, nos dirigeants ne cessent d'en annoncer, voire d'en mettre en place, dans le but de nous faire reprendre le chemin de la croissance, mais, à chaque nouvelle communication dans ce sens, on se sent floué, déçu, voire non concerné.
La diminution des taux d'intérêts bancaires est-elle suffisante pour pousser les entrepreneurs dans la voie de l'investissement ? Sans être prophète, on peut prédire que non. Les " biens de consommation " n'ont-ils pas la vocation d'être consommés ? Mais par quels consommateurs, si ceux-là n'ont envie de rien, même s'ils ont besoin de pas mal de choses, en particulier ceux qui, dans la précarité, attendent des jours meilleurs pour acheter ? Les entrepreneurs ont une crainte majeure et non dénuée de fondement, celle de produire pour produire, petit jeu auquel ils risquent de perdre leur entreprise et leur chemise.
La réforme de l'impôt, agitée comme une carotte devant les ânes pour qui l'on nous prend, recule de jour en jour et rétrécit comme la peau de chagrin, au point que l'on finit par se demander si elle ne va pas alourdir nos charges plutôt que de les alléger. Les privilégiés que sont tous ceux qui disposent d'un emploi rémunéré n'osent même plus lire leur bulletin de salaire, ni calculer ce qui restera de leurs émoluments quand le fisc aura opéré ses ponctions drastiques difficiles à supporter après tous les prélèvements déjà opérés au titre de diverses protections sociales.
Quant aux entreprises, quand elles font le bilan de leur masse salariale, par exemple, ça ne les pousse pas dans la voie de la création d'emploi.
La situation n'est peut-être pas catastrophique, mais c'est la confiance qui n'y est plus.
Faisons un rêve...
Imaginons un instant que les administrateurs, gestionnaires, légiférateurs qui nous dirigent, mettent dans leur mission de mener le bateau à bon port -de préférence à le conduire au naufrage- autant de savoir-faire que les producteurs et commerçants à " coller au terrain ", à répondre aux besoins et attentes des citoyens que nous sommes, voire à les devancer, sans négliger de communiquer sur leurs décisions et actions en termes clairs et incitatifs à la confiance, voire au dynamisme. Cela suppose que nos chers dirigeants sachent qui nous sommes, plutôt que de nous considérer comme des abstractions inquiétantes pour leur carrière et tout juste bonnes à glisser dans les urnes électorales le nom qu'ils souhaitent -le leur-, après quoi ils recommenceront la course électoraliste, seulement soucieux de ne pas nous voir faire de vagues.
J'ai une bonne idée pour mettre leurs pendules à l'heure. Supposons qu'au programme des Grandes Ecoles d'où sort la classe politique en place, dans sa large majorité de tous bords, on inscrive, comme matière obligatoire et déterminante, un stage dans la vie de tous les jours, avec analyse, synthèse, et même suggestions devant mener à des solutions pour faire avancer la machine.
Imaginons qu'on assortisse cette " matière obligatoire " d'un salaire du montant du SMIC, et que les chères têtes pensantes soient tenues de vivre, sans aide extérieure ni parentale, avec ce salaire, ce qui induit la course au logement, la course à l'alimentation, la course aux moyens de transport et la course aux loisirs si ce qui précède permet d'y faire place... Nous imaginons à long terme, certes, mais on peut espérer qu'une telle expérience formerait des hommes et des femmes plus aptes à rentrer dans le concret et susceptibles de réduire utilement la distance actuelle des grands décisionnaires de l'état avec " les durs pépins de la réalité ", comme les nommait Prévert.
Est-ce que, pour un court moment, cette idée vous a rendu le sourire ? Oui? Alors tout n'est pas perdu tant que l'humour garde ses bastions.
FAIRE SA VOIR FAIRE - N° 261 du 20.09.96
PERSONNE N'ECOUTE PERSONNE
■ Personne n'écoute personne... et réciproquement. Et ceux qui entendent font semblant de ne pas avoir entendu ou comprennent autre chose. Cela nous fait vivre dans un monde d'à-peu près et de laisser-aller où nul ne sursaute en entendant radio ou télévision parler de "fractions" pour "factions" armées ou tel orateur bien installé dans ses diplômes se réjouir de s'adresser à un "aéropage ", pourquoi pas dans un "aréodrome " ?
Comme les animaux malades de la peste, nous ne mourons pas tous, mais nous sommes tous atteints. Notre état est cependant plus grave qu 'on ne veut bien le diagnostiquer, car l'approximation et le monologue en vase clos font des dégâts considérables. Chacun, notamment dans la classe (j'allais écrire caste) dirigeante, poursuit sa petite idée et décide pour les autres en dépit du bon sens. Récemment, j'entendais le PDG d'une entreprise de production agro-alimentaire de taille moyenne, se plaindre de la façon dont le législateur maltraite les grandes surfaces. "Ne vous trompez pas d'ennemi, disait-il, pénaliser la grande distribution, c'est condamner les PME de la production à disparaître ". Cette opinion, largement répandue et exprimée auprès des Ministères concernés, n'est, semble-t-il, pas écoutée, pas entendue ou mal interprétée, si l'on en juge par l'acharnement avec lequel le pouvoir poursuit sa chasse aux GMS.
Philippe Mothe, PDG de BCMW, qui vient de réaliser "L'opérationnel des grandes enseignes alimentaires 96/97", étude dont nous aurons l'occasion prochaine de vous présenter les grandes lignes, fait clairement allusion à cet état défait, dans l'avertissement qui préface son étude "... le législateur est intervenu, d'une façon que l'on peut juger intempestive et malhabile, pour accélérer un mouvement de concentration inéluctable. En effet, plusieurs distributeurs français plus ou moins performants restent d'une taille limitée face à une européanisation, si ce n'est une mondialisation, en liaison avec l'évolution parallèle des grands fabricants... La loi sur le blocage des ouvertures aura aussi pour conséquence une certaine rupture entre un équilibre très particulier à la France entre les grands distributeurs capitalistes et les indépendants au détriment de ces derniers... La loi sur la vente à perte, avec les difficultés qu'elle va générer lors des prochaines négociations, entraîne une volonté supplémentaire de chaque distributeur de développer sa MDD... ". Deux notes avaient été adressées sur le sujet, d'une part aux fabricants, d'autre part à un responsable politique, mais Philippe Mothe trouvera-t-il un écho suivi d'effets à son analyse ?
Pourquoi ne prête-t-on pas l'oreille à ces propos fondés dans une connaissance des rapports entre producteurs, enseignes, consommateurs acquise "sur le terrain " ?
Faute de pouvoir élucider ces mystères et faute d'être entendus par ceux qui mènent nos destinées, essayons au moins d'établir entre nous un dialogue qui ne soit pas "de sourds" et qui, peut-être, nous aide à remettre en état ce qui se détériore, à commencer par le parler vrai.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 262/263 des 27/09 et 04/10.96
LE BLUES DE L'ENTREPRISE
■ Paradoxalement, l'entreprise française, qui ne manque ni d'idées ni de ténacité pour les mettre en oeuvre et les faire aboutir, se trouve freinée dans ses enthousiasmes à la fois par une pression étatique et par une difficulté interne à créer, recréer ou transmettre "sa" culture. Les Français, qui ne sont pas à une contradiction près, se soumettent aux cultures, souvent peu épanouissantes pour l'individu, des entreprises "venues d'ailleurs", dans lesquelles il leur est donné de trouver un emploi.
Ils en assimilent les chartes et les comportements et finissent même par s'y identifier -ce qui est le but du jeu-, tandis qu'ils résistent à la culture de l'entreprise française, la contestent et la défient, particulièrement quand elle va précisément dans le sens d'une reconnaissance de l'individualisme qui leur est si cher. Ils vont parfois jusqu'à tuer l'entreprise qui les emploie, quitte à pleurer sur ses cendres, en regrettant le bon temps de tel ou tel patron devenu mythique après avoir été déboulonné. La convention du cinquantenaire du CNPF va-t-elle enfin rompre le maléfice ? Les entrepreneurs français semblent en avoir fait le pari. Espérons qu'ils pourront le tenir.
Car les nouvelles générations de salariés, à quelque niveau que se situe leur embauche, sont difficiles à saisir. Les motiver et les mobiliser pour réaliser un projet collectif n'est pas une sinécure. Peut-on créer un esprit d'équipe dans l'entreprise , alors que certains aspects pervers de la législation sur l'emploi la poussent à embaucher des stagiaires qui se suivent sans réel espoir d'intégration ? Peut-on créer une solidarité dans et avec l'entreprise, sous l'ombre planante de la retraite anticipée, du chômage technique ou du chômage économique ? Peut-on parler de culture d'entreprise, face à une automatisation galopante, face à la transformation du travail lui-même ? Peut-on compter sur la confiance dans l'emploi, quand le chef d'entreprise lui-même n'est pas assuré de garder le sien et quand on sent, derrière la porte de la firme, se presser une foule inquiète de potentiels remplaçants ?
Enfin, comment l'entreprise elle-même, à tous niveaux, n'aurait-elle pas le blues, face aux pans entiers de secteurs économiques en train de s'écrouler sans reconversion envisagée ? Si l'industrie de l'armement s'écroule, comment n'avons-nous pas pu, comme les USA après la seconde guerre mondiale, établir un transfert de savoir-faire et de technologie vers des produits différents ? Certes, nous ne sommes plus avides de machines à laver ni de réfrigérateurs, mais nous avons d'autres besoins, et tous les "pays en voie de développement" aussi.
La consommation ne reprend pas. C'est que le blues des entreprises n'est pas le seul blues français. Finalement, nous sommes nombreux à l'avoir. Dommage que nos musiques et nos voix ne portent guère au-delà de la francophonie, présentant elle-même le syndrome de la peau de chagrin, sinon, quel succès remporteraient nos chorales !
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 264 du 11.10.96
EN EFFEUILLANT LA MARGUERITE
■ Je t'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie... pas du tout. En effeuillant la marguerite, on se prend à penser au jeu des signes officiels de qualité, ceux de l'Hexagone, ceux de l'Europe.
Tout le monde se penche sur nos assiettes et sur nos verres et dépose son imprimatur sur notre nourriture et sur nos boissons. Un peu, c'est bien, beaucoup, c'est très bien, passionnément, c'est trop, à la folie, cela dépasse la mesure de nos petits esprits de consommateurs "comme tout le monde" et risque de nous inciter à répondre "PAS DU TOUT " quand un signe de qualité, au hasard, nous demandera "TU M'AIMES ?"...
Pour commencer -excusez-nous de reprendre à Le Pen ce qui appartient à Coluche-, dans la politique des signes de qualité, il y a des produits qui sont plus égaux que d'autres. Ce n'est pas le CNAOC qui me contredira, lui qui resserre les boulons des procédures d'attribution de l'AOC dans le secteur vino-viticole ; le SYNALAF non plus, lui aussi tenu à la vigilance sur le Label Rouge/Volailles. Quant aux producteurs opérant dans des secteurs où les signes officiels ne jouissent pas d'une notoriété suffisante auprès du public, ils savent à quoi s'en tenir.
Et tandis que les signes officiels en vigueur dans l'Hexagone, AOC, Label Rouge, Labels Régionaux, AB, Certification de Conformité, (sans compter le Label Montagne), ont bien du mal à accorder leurs violons et à se faire entendre, tandis que, par ailleurs, l'alternative de ne pas entrer dans la démarche officielle de qualité ne signifie pas que l'on produise de la "non-qualité", le consommateur passe devant les vitrines et dans les rayons des magasins, nanti de quelques notions sommaires sur le sujet, le plus souvent erronées.
Faisons l'impasse sur les "intégristes" de tel ou tel signe : qu'ils fassent leurs guerres saintes entre eux, les rescapés suffiront à notre bonheur.
Mais nous voici Européens. La conversion de "nos" signes hexagonaux a commencé, comme elle a commencé chez nos voisins. L'AOP couvre ce que nous appelons AOC, ce que les Italiens appellent DOC (sans que les exigences de l'une et l'autre soient identiques). Pour l TGP, c 'est déjà plus complexe, même si globalement, les produits Label Rouge peuvent y prétendre. Quant à la STG, elle est pour le moins ambiguë. N'a-t-elle pas introduit dans "l'ATG" (Attestation de spécificité) une notion de "spécificité traditionnelle " confusante, au terme de laquelle un produit tel que la mozzarella pourra être fabriqué partout dans la communauté et s'en prévaloir, pourvu qu'il soit composé et élaboré suivant un mode de production "traditionnel". Même traitement pour le "jamon Serrano ", exemple cité par la Commission européenne elle-même, qui pourra arborer sans vergogne les étoiles or sur fond bleu du logo STG, qu'il provienne du Danemark, de Bretagne ou de Belgique.
De quel consommateur prend-on l'intérêt en compte, dans cet amalgame ?
Un sursaut urgent n'est-il pas nécessaire, si l'on ne veut pas que les défenseurs et détenteurs légitimes de signes de qualité ne finissent par regretter de les porter, comme certains médaillés de la Légion d'Honneur ont envie de la cacher face au galvaudage d'attribution dont elle est devenue l'objet.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 265 du 18.10.96
L'ALIMENT DE DEMAIN
■ Quand on entend le mot "colloque ", la première réaction c 'est de se dire "Courage, fuyons ", une certaine pratique du genre nous ayant habitués à n'y rencontrer que des soliloqueurs qui ne voient midi qu'à leur porte. Bien nous a pris de ne pas céder à la première impulsion et de suivre les travaux de World Med 96, deuxième manifestation pluridisciplinaire,désormais triennale, créée à l'initiative de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Marseille-Provence.
Le colloque agro-alimentaire, sur le thème de l'aliment de demain, a fait apparaître une convergence de vues des intervenants, assez inhabituelle pour être notée, sachant qu'ils venaient du monde agricole, du secteur des industries agro-alimentaires, de l'INSERM, de l'INRA, du COSSE (Comité d'Orientation Scientifique et Stratégique Européen) et du CNAC (Conseil National des Arts Culinaires).
Que sera l'aliment de demain ? Sur les grandes lignes, aucune fausse note, tous les intervenants s'accordent sur les points suivants :
Il sera savoureux, avec une forte tendance à l'enracinement dans un terroir, même si celui- ci est éloigné, car le goût de l'exotisme cohabite et continuera de cohabiter avec celui du terroir proche.
Il sera bon pour la santé, cette tendance mondiale, qui a notamment donné naissance au "functional food" lancé par le Japon, est cependant, dans notre Europe, assujettie à la notion de plaisir, comme en témoignent les réussites de nombreux produits ultra-frais laitiers (B'A, Bio, LCI en France), marché sur lequel la croissance de nombreuses marques paneuropéennes se poursuit.
L'aliment de demain sera sécurisant. L'attente d'assurance et de réassurance, récemment mise en lumière par la crise de la vache folle, n 'est pas une tendance conjoncturelle, elle est entrée dans la mentalité d'un consommateur désormais mature, ce qui induit la nécessité d'une traçabilité totale, de l'amont vers le point de vente et vers l'assiette du consommateur lui-même.
L'aliment de demain sera pratique. Les déclinaisons de la praticité sont nombreuses, on pense en premier lieu au conditionnement, mais il ne faut pas oublier d'en lier l'évolution aux évolutions technologiques de la production alimentaire elle-même, arrivée de l'IQF en surgelé, sophistication des systèmes de cuisson et conservation, de l'appertisé au frais, avec, notamment, la généralisation de l'utilisation de l'U.H.T. et de la cuisson sous vide.
Au vu des recherches en cours et des réalisations déjà mises en marché par l'industrie agro-alimentaire, on peut constater que l'aliment de demain est là. Appelons ses manifestations récentes "innovation", si l'on veut, mais nous préférons le terme "évolution ", pour ce qu'il suppose de pérennité et de relation avec l'existant et le passé.
Reste à le vendre, à un consommateur qui, aux notions de saveur, santé, sécurité et service, ajoute une notion de prix sur laquelle il ne faut pas se tromper. A la distribution, dès lors, d'évaluer le juste prix de la sécurité alliée au plaisir et au service, et de savoir si elle souhaite, en poursuivant une politique de prix écrasés, accentuer la dérive des dépenses des ménages de l'alimentaire vers les dépenses de santé, ou si elle préfère, en pratiquant une politique de valorisation justifiée des produits alimentaires, les vendre au prix psychologique en cohérence avec cette valorisation.
A vous de jouer.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 266 du 31.10.96
LA POMME DE DISCORDE
■ Certaines lois ne se révèlent perverses qu'à l'usage, parfois longtemps après leur mise en application, éventuellement parce que le contexte dans lequel elles poursuivent leur carrière a fortement évolué.
La nouvelle taxation sur les spiritueux, qui devrait prendre effet en début d'année 97, en revanche, dans toute son hypocrisie, annonce d'emblée la couleur : ses effets "pervers" seront immédiats. Une augmentation de 17,1 % de la fiscalité sur les seuls spiritueux, destinée à assurer à l'Etat un supplément de recettes d'1,5 milliard de francs, sous couvert de la bonne conscience liée à la lutte contre l'alcoolisme, apparaît comme une mesure à la fois discriminatoire et destructrice, destinée, outre le colmatage d'un seul des trous de la passoire "sécu ", à entretenir et aggraver la division entre les principaux secteurs de production des boissons alcoolisées. Diviser pour régner n'est pas nouveau, désigner à l'opprobre des médias et du public tel ou tel bouc émissaire, non plus.
C'est devenu un truisme de faire remarquer que les dispositions prohibitives, tant morales que financières, engendraient un effet contraire à celui "espéré", à savoir réduire les consommations excessives de substances dont l'usage modéré est parfaitement légitime, aussi ne reviendrons-nous pas sur le sujet. En revanche, il n'est pas inutile de mettre l'accent sur quelques conséquences économiques et sociales négatives et inquiétantes que la nouvelle fiscalité va entraîner. Sur les quelque 12 000 emplois directs du secteur, on prévoit une perte de 2 000 emplois en 97, sans compter la mise en difficulté grave des entreprises (500, dont 80 % emploient moins de 10 salariés), face à une réduction d'activité de l'ordre de 8 %. A l'égard du rhum, produit dans les départements d'Outre-Mer, on imagine le même scénario. Que dire de produits aussi franco-français que les anisés qui, comme les eaux-de-vies et liqueurs vont subir une hausse déplus de 8 F par col ?
N'entrons pas dans le discours selon lequel il y va de la santé publique. La consommation d'alcool baisse tout naturellement depuis de nombreuses années, elle est passée de 17,7 litres d'alcool pur per capita en 1960 à 12,6 l en 90 et 11,4 l en 94. Exprimée en litres d'alcool pur, elle se répartit entre les vins (59 %), les spiritueux (19 %), la bière (18 %), les produits intermédiaires (3,3 %) et le cidre (1,1 %). La fiscalité, elle, se comporte avec une iniquité insolente. Actuellement, à quantité d'alcool équivalente, un verre d'anisé, par exemple, est 32 fois plus taxé qu'un verre de vin, et 5 fois plus qu'un verre de bière. Les spiritueux, qui auront subi, après nouvelle taxation, 36 % de hausse fiscale en 4 ans, fournissent déjà 79 % des recettes fiscales des boissons alcoolisées, alors qu'ils ne représentent que 19 % de la consommation...
Imaginons que la pomme de discorde que constitue l'inégalité fiscale des boissons alcoolisées n'ait pas été jetée et ne soit pas remise enjeu d'une façon perverse, et quelque peu électoraliste, soit dit en passant. Imaginons que les opérateurs des différents secteurs d'activité soient, de préférence, incités par les Pouvoirs Publics à se rapprocher, à se concerter, à mettre eux-mêmes en oeuvre, comme les adultes qu'ils sont, une politique réelle de lutte contre la consommation excessive d'alcool. Impossible ? Certainement pas. N'existe-t-il pas, depuis 5 ans déjà, "Entreprise et Prévention ", entité appliquée, par la seule volonté des industriels du secteur, à la lutte contre l'alcoolisme ? Sur le plan de la fiscalité elle-même, n'arriverait-on pas à un consensus ? La Fédération Française des Spiritueux propose une répartition du fameux 1,5 milliard de francs attendu, sur toutes les boissons alcoolisées, au prorata de leur poids dans la consommation d'alcool, est-ce irréaliste, sachant que l'incidence, pour le consommateur, serait de l'ordre de 0 centimes sur une bouteille de vin ou de Champagne, de 4 centimes sur une boîte de 33 cl de bière, et d'1 franc sur une bouteille d'anisé ?
Quant à la destination de la taxe, ne pourrait-elle pas, équitablement, être affectée au budget de la Santé Publique au lieu d'être incorporée au financement du "replâtrage " de la Sécurité Sociale ?
Est-il normal que le législateur prenne systématiquement les entrepreneurs et entreprises privées pour des irresponsables tout juste bons à être pressés, vidés de leur substance et mis au rebut ?
Si vous avez des réponses, n'hésitez pas à nous en faire part.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 267/268 des 08 et 15.11.96
QUAND LA COMMUNICATION… S'EMMELE
■ C'est lundi. Vous abordez la semaine avec, en tête, un certain nombre d'obligations à remplir, de celles que vous considérez comme impossibles à différer. Il est impératif de joindre un interlocuteur, pour obtenir un rendez- vous, voire, au moins un entretien téléphonique. Que faites-vous ? Vous prenez votre plus beau téléphone, celui qu 'on peut utiliser sans le mains, qui peut réitérer la demande, qui permet de "se " parler à plusieurs (éventuellement d'entendre des conversations étrangères, mais ça, c'est accidentel et indépendant de toute volonté), et vous vous armez de patience, car, en début de semaine, vous avez fait des réserves.
Qu'arrive-t-il ? Une musique particulièrement énervante ou lénifiante, entrecoupée d'une voix de standardiste qui vous demande de ne pas quitter, et d'une autre voix, enregistrée, celle d'une d'hôtesse intemporelle qui vous susurre qu'une sorte de providence invisible "s'efforce d'écourter votre attente", commence à mettre votre système nerveux à l'épreuve. Enfin, la standardiste s'adresse à vous. En principe, votre interlocuteur souhaité est en réunion, ou pas encore arrivé, ou parti chasser la grouse en Ecosse, à moins qu'il ne fasse "pas" ou "plus" partie de la société, ce que vous savez pertinemment être faux, auquel cas vous reprenez patiemment l'énoncé de votre demande, en insistant. La standardiste vous remet en attente, pour vérifier. Enquête faite, elle vous propose de vous "passer une assistante". Vous n'avez pas le temps d'articuler un oui ou un non, le mal est fait.
L'assistante n'est pas à son poste, ou elle est débordée, ou c 'est une stagiaire et elle ne peut rien vous dire, ni prendre un message, parce que c'est trop compliqué, ou parce qu'elle n'est pas habilitée à, ou parce qu'elle ne sait pas "si" ni "quand" elle verra le Monsieur Chose qu'elle est supposée assister. En rechignant, elle accepte de noter votre nom, mais vous conseille plutôt d'envoyer un fax, ou de laisser un message sur le répondeur relié à la ligne directe de son "supérieur hiérarchique".
Quelle option choisissez-vous ? Les deux, Mon Capitaine. Vous laissez un message dans la boîte et vous faxez le même, sans crainte de vous répéter : en principe ni le message vocal ni le message écrit n'atteindront leur objectif, à savoir vous permettre d'entrer en contac avec une personne humaine, comme vous et moi, qui, peut-être se trouve à quelques centaines de mètres de vous, mais qu'on ne peut atteindre qu'à travers les arcanes de la télécommunication. En fin de semaine, résigné, après répétition avec variantes du même parcours du combattant, vous constatez que le caractère d'urgence n'a pas disparu, mais que la situation est devenue critique. Alors, fichu pour fichu, vous perdez patience, vous changez de ton avec tout le monde, même votre "fax" ose à peine transmettre la copie de vos messages, le téléphone est prêt à exploser et les standardistes, assistantes, sous-adjoints, secrétaires, voire le pompier de service qui passait par là, commencent à se demander si vous n'allez pas poser une bombe dans leur honorable entreprise.
En principe, miraculeusement, Votre Interlocuteur vous appelle de lui-même, en toute innocence: "je n'ai pas été informé de vos appels... je n'ai pas pris connaissance de mes messages... le fax est en panne... ma vieille tante a eu un infarctus... ". Outre le temps gaspillé, l'état hors nerfs où vous vous trouvez, il y a tout de même un gagnant dans l'affaire : le tiroir-caisse des Télécoms, car, mine de rien, vous avez, en moyenne passé près d'une demi-heure à vouloir "télécommuniquer", et nous n'avons parlé que "d'un" cas dans la semaine...
Bon. Je ne vous dérange pas plus longtemps : votre téléphone est en train de sonner.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 269 du 22.11.96
IL Y A ERREUR SUR LE SCANDALE
■ L'ouverture de CRAZY GEORGE'S (groupe Thorn), premier magasin d'électro-ménager, hi-fi, TV, vidéo, informatique, adressé aux plus démunis, n 'a pas fini de susciter les commentaires diversement scandalisés des média à la pensée unique, quelle que soit leur couleur d'opinion ou leur cible de lectorat. Cette vertueuse indignation face à une proposition de vente " à la semaine ", qui, naturellement, s'avère fort coûteuse enfin d'achat, nous semble pour le moins hors de propos. Elle semble faire un amalgame bien réducteur entre pauvreté et misère, et passer sous silence le coût et la lourdeur des démarches engendrés par une demande classique de crédit, réservé, celui-là, aux " moins pauvres ". Ne pourrait-on pas imaginer un instant que le fait de ne pas pouvoir se procurer les " biens de consommation " qui sont usuels pour les autres constitue plus qu'une frustration, une exclusion et une perte de dignité, pour les démunis auxquels s'adresse Crazy George's, qui, soit dit en passant, ne se présente pas comme une entreprise de charité mais comme une entreprise de commerce ?
Ce n'est pas parce qu'on est démuni qu'on est imbécile. Les exclus de la croissance n'ont-ils pas le droit, à la petite semaine, en toute connaissance du coût de l'opération, de vouloir disposer des quelques biens qui rendront leur vie quotidienne un peu plus " normale " et un peu moins désespérante ?
Hors de ces considérations, rappelons-nous l'époque où l'Espagne de Franco, en faillite économique, affichait les prix des chaussures ou costumes " au mois ", payables en 1 an...
Cela en a choqué plus d'un, ajuste titre, d'ailleurs. Mais nul ne songeait à accuser le commerce. C'était un système économico-politico-social qui était montré du doigt.
Cela ne vous indigne-t-il pas qu'on se trompe toujours de scandale ?
Dans le cas présent, le scandale n'est-il pas dans l'institutionnalisation de la précarité ? Si nous n 'acceptions pas la précarité comme une fatalité, si elle ne faisait pas partie de notre société, si nous ne jetions pas un voile pudique sur ce qui nous dérange et si nous n 'étions pas aveuglés par l'indifférence et les faux-semblants, si nous n'avions pas laissé glisser notre quart monde de la pauvreté vers la misère, aucun Crazy George 's n 'aurait de raison d'être, donc aucune implantation n'aurait lieu.
Croyez-vous que l'instauration des " systèmes de troc " serait nécessaire et qu'on serait obligé d'échanger des heures de repassage, de garde d'enfants ou de cuisine contre des heures de courses, de réparation de vélo, de coupe de cheveux ou d'aide à " faire les devoirs ", avec une monnaie représentée par des bons, type jeu de Monopoly, si notre société n'était pas gravement atteinte de précarité et de fracture grandissante?
Si l'on était un peu moins hypocrite, ou si l'on s'informait avec sa propre réflexion au lieu de répéter le discours des vendeurs d'idées creuses, on verrait Crazy George's comme un signal d'alarme, non comme le magasin à abattre.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 270 du 29.11.96
L'OEUF DE COLOMB
■ Ça fait sourire ou hausser les épaules, le fil à couper le beurre ou l'oeuf de Colomb. Pourtant, ce sont les idées les plus simples qui font durablement leur chemin et rien n'est plus difficile à constater, à énoncer, à faire reconnaître, qu'une évidence.
Evidence observée, mesurée, largement portée à la connaissance de tous, le vieillissement de la population dans les pays développés semble bien être le cadet des soucis de la plupart de nos jeunes loups du marketing, plus préoccupés de segmenter la couche-culotte que de répondre aux désirs et besoins spécifiques multiples et largement diversifiés qui constituent le marché potentiel des seniors. Seuls les secteurs du tourisme et de la santé semblent avoir saisi la balle au bond.
Animateur, pour la saison 96/97, des réunions du club Faire Savoir Faire, Jean-Paul Tréguer consacre son activité à l'étude de ce marché, au plan national et international. Son dernier ouvrage sur le sujet " 18 Règles d'Or pour Séduire les Seniors " apparaît comme une évidence... une fois lu. Sans doute ne sommes-nous pas encore assez nombreux à en avoir pris connaissance, sinon nous verrions naître et croître produits et services adaptés à une population sur laquelle les idées reçues -très réductrices- auraient fait long feu, ce qui est loin d'être la réalité. Quant à la partie amont des entreprises, n'aurait-elle pas massivement intégré ce que Tréguer intitule une " task force senior " au lieu de pousser à la pré-retraite ou à la retraite tout individu hors d'âge, c'est-à-dire aux abords de la cinquantaine, au mépris d'un constat irréfutable : la génération du Baby-Boom est devenue celle du Papy-Boom... et sa longévité est assurée.
Les seniors, qu'on s'en inquiète, qu'on s'en soucie comme de sa première layette ou qu'on le déplore, sont et seront la forte majorité de nos populations. Leur mentalité, leurs aspirations, leurs comportements, leurs besoins sont aussi inconnus à la plupart des " jeunes cadres dynamiques " que les particularités de la traite des vaches de Salers (1) à un fonctionnaire européen. Est-ce bien raisonnable ? Certainement pas. Et au-delà du débat commercial que cela devrait nourrir, cela ne devrait-il pas être le coeur d'un débat plus fondamental celui-là, qui touche à l'une des multiples fractures de notre société ?
Ne mettez pas tous les seniors dans le panier des grabataires. Cessez de les considérer comme en attente dans l'antichambre des cimetières, ça pourrait vous aider dans votre démarche professionnelle, certes, mais aussi vous inciter à penser différemment et, pourquoi pas, à mieux vivre.
Si vous n 'êtes pas convaincus, lisez Tréguer, pour commencer.
(1) La vache de race Salers refuse d'être traite si son veau n'est pas là.
FAIRE SAVOIR FAIRE- P 03 - N° 271 du 06.12.96
FACE AU DESORDRE ETABLI
■ Qui sommes-nous et que sommes-nous, dans la France d'aujourd'hui, nous, l'énorme majorité des citoyens de bonne volonté qui voudraient que la vie ait un sens ?
Qui sommes-nous, dans la cité, nous qui vivons avec une civilisation dans le sang, nous qui ne voulons être ni passifs ni immobiles, nous qui cherchons des voies de devenir dans lesquelles "argent" et "pouvoir" ne soient pas autre chose que des moyens, utilisés d'une façon qui ne soit pas perverse ?
Nous ne sommes personne. Nous ne sommes que l'objet d'un "foutage de gueule" permanent. Excusez-moi d'avoir emprunté l'expression aux Guignols de l'Info, je n'en ai pas trouvé de moins triviale qui fût pertinente.
Vous avez besoin d'exemples ? Au-dessus de nos têtes, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire règlent leurs comptes en se balançant des peaux de bananes, au risque d'attiser tous les extrémismes et de dresser des parties de la population les unes contre les autres, le maire de Nice parle de légitimité et de majorité, avec 15% d'agrément de ses administrés, le Premier Ministre nous regarde avec dédain, du haut de ses 79% de mécontents officiels (sans parler des officieux), et il reste en place, 116 professions perdent des avantages fiscaux légitimes et justifiés, acquis comme un complément salarial, comme s'il s'agissait d'une abolition de privilèges et personne ne bouge...
Les Français sont-ils les veaux qu'on voudrait bien qu'ils soient ?
Pas tout à fait. Les routiers manifestent, avec 79% d'opinions favorables, en dépit des difficultés qu'engendre leur mobilisation pour les individus et les entreprises. Le référendum de Dreux, celui de Nice, ont été boudé pour l'un, boycotté pour l'autre, comme si les Français n'avaient plus aucune confiance dans ce qui peut sortir des urnes... Le pouvoir désordonné en place n 'y voit-il pas le signe d'un déclin de son omnipotence ?
Si les sphères énarchiques les ignorent, les Droits de l'Homme nous appartiennent, à nous, la majorité silencieuse : "Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits...", "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions...", "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration... ", "Toute société dans laquelle la garantie des droits n 'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a pas de constitution ...".
Si vous les avez oubliés, relisez-les, les Droits de l'Homme vous donneront peut-être des idées. Et cherchez bien autour de vous, il y a peut-être un André Malraux en train de naître, un homme totalement engagé, dans la pensée et dans l'action, avec le droit de se tromper, le droit de se contredire, autrement dit le droit d'évoluer, pourvu qu'il "fasse de la conscience, avec une expérience aussi large que possible ".
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 273/274 des 10 et 17.01.97
L'INCOMPETENCE DES UNS...
■ Présentateurs et animateurs, toutes chaines de télévision confondues, a commencer par celles du service public, se sont obstinés, pour la plupart, à nous " souhaiter " leurs "voeux ", au seuil de la nouvelle année, alors qu'il eût été si simple et plus grammaticalement correct de nous " présenter " leurs voeux, voire d'en "formuler " à notre intention, bref, de nous " souhaiter une bonne année ".
Sans être pointilleux ni puriste, téléspectateurs agressés en permanence par l'inculture crasse de nombre des teneurs de parole du petit écran, nous sommes nombreux à penser que la moindre des obligations professionnelles, pour des responsables de " communication " (quelle qu 'elle soit), consiste à s'appliquer à parler un français correct. Simple erreur pour le commun des mortels, un manquement à la grammaire la plus élémentaire devient une marque d'incompétence quand il est commis par un "professionnel de la communication ". (Et que l'on ne vienne pas nous dire, qu'au nom de la " démocratisation ", il faut s'aligner sur le niveau le plus bas du téléspectateur abêti, cet argument nous vaut déjà des carences souvent irréversibles dans le secteur de l'éducation, de la maternelle à l'enseignement supérieur, aussi est-il irrecevable.)
Cette innocente remarque relative au langage nous amène à constater la généralisation, tous secteurs d'activité confondus, de l'incompétence et d'un laisser-aller, dont nou sommes à la fois les témoins, les victimes, et, reconnaissons-le, les complices. Car rien ne nous oblige à subir sans broncher les méfaits de l'incompétence, sauf, précisément, une attitude désabusée qui engendre et cautionne le laisser-aller.
L'incompétence des uns ne saurait en aucun cas servir d'excuse à celle des autres. Qu'un responsable de communication s'exprime comme un analphabète ne saurait justifier qu'une caissière soit infoutue d'additionner 2 et 2. Qu'une standardiste soit incapable de se remémorer vos nom et fonction, après plusieurs appels successifs dans la même journée, ne peut être invoqué par un coursier dyslexique comme une bonne raison pour ne pas savoir établir un rapprochement entre un nom inscrit sur une boîte à lettres et le même écrit sur un pli.
Amusez-vous à décliner la proposition : un architecte oublie, par exemple, de prévoir une bibliothèque, sur les plans d'une université, est-ce qu'un maître d'oeuvre peut citer cet exemple pour ouvrir son parapluie quand il a fait un mauvais choix d'entreprises ou de matériaux pour construire un ensemble immobilier... qui prend l'eau à peine sorti du sol ?
Chacun de nous peut citer des cas diversement amusants. Ne manquez pas de nous faire connaître les vôtres, cela permettra à Faire Savoir Faire d'émailler son propos rédactionnel d'anecdotes jubilatoires... et de nous amener, de fil en aiguille, du sujet de l'incompétence à celui de la conscience (ou de l'inconscience) professionnelle, puis à celui de l'honnêteté (ou de la malhonnêteté).
Allons, ce ne sont pas les sujets de réflexion qui risquent de nous manquer en 97.
Que cela ne nous empêche pas de former des voeux pour que l'année nouvelle voie récompensés les efforts et les initiatives des " hommes de bonne volonté " que nous sommes. Que cela ne nous empêche pas, non plus, de sourire de nos petites misères, voire d'en rire : un exutoire est nécessaire à notre bonne santé.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 275 du 24.01.97
LA CIGARETTE DE MALRAUX
■ Elle a disparu du portrait officiel de Malraux, lors de l'entrée de celui-ci au Panthéon. La cigarette est décidément mal vue. Déjà, sans vouloir établir de parallèle entre les deux fumeurs, elle avait été proscrite de la bande dessinée Lucky Luke, en même temps que les petites femmes qui levaient la jambe pourtant bien pudiquement dans les saloons où le héros traquait les vilains Dalton. Maigret va-t-il être privé de pipe, et verra-t-on les compilations de Gainsbourg présenter le noctambule fumeur de Gitanes fraîchement rasé, en train de siroter une eau de source en croquant une pomme ?
Jean-Edern Hallier avait été, à juste titre, très virulent à l'égard de l 'édulcoration officielle de l'image de Malraux. Si nous n'étions ,certes, pas toujours d'accord avec le polémiste, au moins partagions-nous son goût de la pluralité de pensée et de l'opinion volontiers dérangeante, pourvu qu'elle fasse bouger les esprits. Pourquoi veut-on, au prix même de la vérité historique, aseptiser les héros, qu'ils appartiennent à la réalité ou à la fiction ? Nous aurions aimé poser la question avant la disparition de Jean-Edern Hallier, sa mort nous a pris de court.
Il y a de moins en moins de voix disposant de moyens suffisants de diffusion pour s'élever contre le gommage des différences. Personne ne prête-t-il attention à la gravité du danger d'uniformisation qui nous menace et dont les effets déjà omniprésents nous amènent à un ennui social incurable ? Heureusement, parmi les irréductibles anti manichéens, Jean-François Kahn va-t-il reprendre le chemin de la presse écrite, et nous promet pour avril prochain un hebdomadaire " Marianne " à vocation de nous mobiliser autour des valeurs de la démocratie.
Fasse la Providence des média, s'il en existe une, que sa voix ne soit pas étouffée, et, tiens, pendant qu'elle y serait, ne pourrait-elle pas proposer à Philippe Aubert, par exemple, des lieux et horaires d'expression élargis ?
La morosité des Français, qui semble devenir un mal chronique, n 'a-t-elle pas ses racines dans une uniformisation voulue et accélérée par l'autocensure frileuse des média, plutôt que dans leurs inquiétudes d'ordre économique ou social, amplifiées par les mêmes ? Si l'on n'y prend pas garde, on finira tous par se ressembler, comme se ressemblent les villes-dortoirs, les Sociétés
Anonymes, les automobiles, les couloirs de métro, les hamburgers et les émissions " prime time " de la télévision. On finira tous par s'enfourner dans les mêmes clubs de vacances, par visiter les mêmes quartiers sans risques et sans âmes des mêmes villes du même bout du monde, guidés, dans le même espéranto, par les mêmes robots dérouleurs du même discours pseudo-culturel, récupéré à des fins que nous feignons d'ignorer. On finira tous dans les mêmes hôpitaux, loin de notre propre face à face avec la mort, comme nous aurons été éloignés de notre propre face à face avec la vie, entourés par les mêmes soins palliatifs comme les endives sont entourées de papier bleu pour que la lumière du jour ne leur donne pas de couleur, après avoir été protégés par les mêmes assurances contre le goût du risque, de la responsabilité, de l'amour qui fait mal et de l'engagement qui, parfois, vous amène au-delà de vos propres limites. Il est à craindre que le conformisme établi ne nous pousse, comme dans le visionnaire roman de Boris Vian, à l'époque où il signait Vernon Sullivan, " Et on tuera tous les affreux ", à nous suicider faute de " conformité ".
Rendons à Malraux sa cigarette, à Balzac ses excès de café (et autres), à Baudelaire ses paradis artificiels, à Hemingway le fusil de son dernier voyage, rendons leur folie, leurs excès, leurs passions à ceux qui ont brûlé leur vie pour le plus grand bénéfice des Arts, des Sciences, des Lettres, de l'Histoire, ou tout simplement pour l'amour des autres ou de leur propre dignité d'hommes, et tâchons de voir " leur " vérité en face, sans nous brûler les yeux.
Quant à nous, si nos destinées sont plus modestes, tâchons de les mener à bien sans pusillanimité, ayons l'audace et le courage d'avoir des opinions, des options, des passions, des besoins irrépressibles d'aller plus loin. Et disons-nous qu'il n'est jamais trop tard pour lutter contre la réduction à la pensée unique, que l'alternative est toujours là, que nos actions et gestes quotidiens ne sont pas innocents et ne doivent pas devenir routiniers, et, qu 'enfin, aimer BIG BROTHER n'est pas une fatalité.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 276 du 07.02.97
IMPOSSIBLE N'EST PAS FRANÇAIS, ABSURDE L'EST
■ Pourquoi les humoristes trouvent-ils en France un terrain d'observation privilégié ? Parce que les Français, dans l'absurdité, vont sans doute plus loin, plus durablement et toutes activités confondues, que tout autre peuple de la planète. Patrie des Shadocks, de Gribouille, de l'adjudant Flick, de Messieurs les Rond-de-Cuir et bien d'autres, pas étonnant que Raymond Devos y ait trouvé une mine à creuser pour en extraire un musée vivant de situations loufoques, ridicules ou grotesques. Déjà, ses illustres prédécesseurs Pierre Dac et Francis Blanche avaient passé une vie à défricher le sujet, sans risquer de le défraîchir ni d'en faire le tour.
Entre autres travers permanents, nous affichons une passion pour la réglementation outrancière qui fait de tous nos codes -y compris celui de la route- des ouvrages compacts et copieux, certes, mais illisibles, incompréhensibles, enchevêtrés et filandreux comme les écrits de la Comtesse de Noailles, mais ceux-ci n 'entendaient pas édicter des règles auxquelles tout un chacun aurait été soumis. Réglementer nous tient tellement à coeur que nous commençons par créer des règles avant d'avoir étudié le terrain auquel elles doivent s'appliquer. D'ailleurs, une fois les règles établies, leur mise en application exige des aménagements, alors surviennent des amendements, puis les amendements des amendements, jusqu'à vous donner le vertige. Enfin, quelques petits ou gros malins décèlent de nouvelles failles dans les modalités d'application, ainsi que certaines contradictions dans le dédale des amendements, à telle enseigne qu'en fin de compte, la réglementation ne s'avère profitable qu'aux exécutants administratifs chargés du respect de son application. Les faiseurs de règles et de règlements, comme les autorités vouées au contrôle de leur respect, sont, bien entendu, des " professionnels ". La question qui se pose est de savoir des " professionnels " de quoi ?
La réponse coule de source : des professionnels de la réglementation.
Venons-en à nos petites activités, si tant est que nous ne soyons pas découragés par avance de vouloir nous y livrer. Un agriculteur, tenu par la réglementation d'avoir une cabine sur son tracteur, partage sa journée entre plein champ et travail sous tunnel. Comment faire ?
Rien de plus simple : ôter la cabine pour entrer dans le tunnel, la remettre en sortant (professionnel de la réglementation dixit). Un homme de produit de l'activité fromagère constate qu'il est vain de parler de fromage " au lait cru " à partir du moment où il est issu de la collecte laitière, celle-ci exigeant le maintien du lait au-dessous de 6°, alors que les bactéries, innocentes mais nécessaires au développement des caractéristiques organoleptiques des plus fameux fromages au lait cru, ne peuvent vivre que si on leur accorde de 6 à 10° de température. En revanche, certaines bactéries dangereuses se portent très bien au-dessous de 6°...
La fiction, décidément, ne dépasse pas la réalité, et, pour revenir aux humoristes, quand Jango Edwards imagine une hôtesse de l'air expliquant à ses passagers que la ceinture de sécurité qu'ils viennent de boucler ne s'ouvre qu'avec un code... à leur disposition " au sol ", on se trouve dans un univers familier : celui du quotidien.
Nous sommes bien d'accord : on ne peut pas vivre sans règles, mais peut-être serait-il sensé de les établir en fonction de l'observation de ce qui se fait de mieux, plutôt qu'en fonction d'une pénalité à appliquer à ceux qui " ne font pas bien " ? Ce qui reviendrait à dire que nous entrerions dans une logique positive au lieu de vivre dans une logique négative. Ce qui reviendrait également à prendre comme point de repère le meilleur plutôt que le moyen standardisé. Ce qui reviendrait à réviser nos hiérarchies, à ne pas considérer les moyens comme des fins, mais ceci est un autre débat.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 277 du 14.02.97
BONNES QUESTIONS
■ Le nez collé sur la copie, les gens actifs et responsables passent le plus clair de leur temps à chercher des solutions à des problèmes. Pressés par l'urgence ; poussés en avant par les lois des marchés, et par celles de la vie, ils entrent dans le rythme infernal du court terme, voire du moyen terme, quant à la vision à long terme des plus audacieux et des plus motivés, elle est le plus fréquemment réduite par les exigences du quotidien.
Au terme d'une semaine dont les heures de stress, ouvrables ou non, sont de plus en plus pesantes, nous n'avons, pour la plupart d'entre nous, que le désir d'assouvir un animal besoin de nous réparer, lors d'un week-end ou de vacances.
Bercés par le chant des sirènes qui nous lavent le cerveau en nous assurant sur tous les tons que nous n 'avons qu'à nous glisser dans une vie où " l'on " a pensé pour nous, nourris et abreuvés de sons et d'images prédigérés, de sentiments standardisés, pour ne pas dire pire, nous accomplissons des gestes prévus, sans avoir le loisir de réagir en nous posant les bonnes questions, d'autant plus découragés de le faire que nous savons, par expérience ou par intuition, que nous ne trouverons pas les bonnes réponses.
Les journalistes, par nature et par fonction, sont curieux. Aussi leur arrive-t-il de poser, sous les questions épisodiques, circonstancielles ou tout simplement inutiles, " La bonne question ", voire de se la poser à eux-mêmes.
Dans une période socio-économiquement tumultueuse, devant des revendications irréalistes et souvent aberrantes, on est fondé à se demander qui revendique quoi, au nom de qui, et dans quel but réel non avoué.
Appartenant à la France de Montaigne, Voltaire et Beaumarchais, au Paris de Jules Vallès, Gavroche et Mimi Pinson, je pense avoir la pensée droite, le coeur bien à gauche, avec, consubstantiellement, l'amour de la liberté, des petites gens et des grands esprits généreux.
Je ne hante jamais les ruelles de la Butte Montmartre sans m'émouvoir sur la Commune, ni sur Le Temps des Cerises. Cela établi, je m'interroge avec une perplexité grandissante sur la légitimité de la représentativité des syndicats français. Quelle proportion des 22 493 000 individus " actifs occupés " et des 25 591 000 individus " actifs, y compris sans emploi ", les syndicats représentent-ils effectivement ? Dans quelles catégories professionnelles se trouvent les syndiqués les plus nombreux, les plus désintéressés et les plus convaincus du civisme et de l'utilité de leur engagement ? Bête et disciplinée, j'ai frappé aux portes de l'INSEE, de la Documentation Française, du Ministère du Travail, dans le seul but d'obtenir des chiffres, afin d'approfondir à partir de cette donnée. Personne n'a pu répondre à ma demande. On m'a conseillé de m'en remettre au " déclaratif " des centrales syndicales qui, comme chacun sait, avancent les chiffres qu'elles veulent, à qui elles veulent, quand elles veulent. Nous sommes loin des syndicats britanniques, américains ou allemands, qui, non seulement déclarent leurs adhérents, mais encore se mettent au travail avec le patronat et le gouvernement pour faire " avancer la machine ". En France, on se contente d'estimations et on ne remet rien en cause. " On " estime donc que les actifs salariés -sans compter les actifs non-salariés- représentent, au mieux, 10%, au pire, 5% de cette catégorie de travailleurs. Alors, pour bête et méchante qu'elle soit, ne peut-on pas se poser la question : les syndicats représentent-ils la volonté des travailleurs ?
Sans être sectaire, et sur des bases de déductions aussi naïves, certes, mais imparables, n'en arrive-t-on pas également à se demander si les élus de la 5ème République représentent bien la volonté des citoyens ? En France, on vote " contre ", pour éviter le pire, ou l'on ne vote pas du tout, au lieu de prendre la peine et le risque de déposer dans l'urne un bulletin blanc, qui, au moins, serait le signe d'un désaccord avoué. Ensuite, on se plaint. Alors, une troisième bonne question se pose : y a-t-il encore des citoyens dignes de cette qualité, au pays des Droits de l'Homme ... et du Citoyen ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 278 du 21.02.97
UN MINISTRE AU TERRAIN
■ Lors de la conférence de presse donnant le coup d'envoi du Salon International de l'Agriculture 97, Philippe Vasseur nous a annoncé qu'il transférait son bureau à la Porte de Versailles pour la durée de la manifestation. " Démagogie ", " démarche inutile ", ont qualifié cette déclaration, à peine était-elle prononcée. Tout bas, s'entend. Nos confrères journalistes n'ont-ils pas la désapprobation un peu systématique et un peu hâtive ? Si notre Ministre de l'Agriculture s'était contenté, comme ses prédécesseurs, d'une tournée de poignées de mains, n'aurait-il pas été désigné comme un simple coupeur de rubans ? Sans considérer comme un acte d'héroïsme la présence d'un responsable politique sur le terrain généralement agité du monde agricole, au moins peut-on y voir un signe de réel intérêt doublé d'un sens de la communication qui manque furieusement à notre ENArchie en place.
Philippe Vasseur n'en est pas, d'ailleurs, à son coup d'essai. Il sait être où il convient d'être et il sait se faire comprendre. " C'est la moindre des choses, pour un ancien journaliste ", entonne le choeur de ses anciens confrères. Au risque de leur faire de la peine, permettons-nous de leur faire remarquer que c'est loin d'être le cas pour certains d'entre eux, d'une part, et, d'autre part, qu'ils ne sont pas légion à " aller au charbon " ni à se bousculer pour prendre des responsabilités, jusqu'à une fonction politique de haut niveau.
Si Philippe Vasseur n'est pas, à lui seul, la Providence et un Faiseur de Miracles, au moins se comporte-t-il en homme responsable. Dès le début de la crise de la vache folle on l'a vu au terrain, il a su se faire entendre, il a pris des mesures rapides et efficaces, ne doit-on pas le reconnaître ? Dans le cadre de son action en faveur de la sécurité alimentaire dans la restauration collective et les cantines scolaires, n'a-t-il pas eu raison de se rendre à la cuisine centrale de Rueil Malmaison et à l'école primaire Claude Monet pour y évoquer la mission de contrôle des services vétérinaires ? Ne pouvons-nous pas éviter de faire des procès d'intention à ceux qui ne les méritent pas ?
Nous nous plaignons de ne jamais être informés de ce qui se concocte à Matignon, eh bien, si nous voulons savoir, de près, de quoi est faite la future loi d'orientation pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, si l'installation des jeunes agriculteurs nous intéresse, si la pêche et la culture marine ne nous laissent pas indifférents, entre autres sujets brûlants sur lesquels le Ministère planche activement, qu'attendons-nous pour aller, nous aussi, au Salon de l'Agriculture, à la pêche aux informations ? Pour une fois, nous ne nous heurterons pas à la " vitrine " des stands ministériels. Le Ministre sera là, qu'attendons-nous pour le voir en action ? Nous aussi, nous avons une responsabilité d'information auprès de nos lecteurs, autant qu'elle soit " de premières mains " et, si possible, impartiale.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 279 du 28.02.97
CONVULSIONS OU REVEIL?
■ Plus modéré dans ses propos que le Général de Gaulle qui les traitait de veaux, Chirac les dit conservateurs : les Français ne sont-ils pas plutôt vieux ? Ou plutôt, les Français qui détiennent encore les divers types de pouvoirs ne font-ils pas obstacle à la circulation d'un sang neuf?
Nous avions évoqué, il y a quelques mois, tout ce qu'il y aurait à gagner à métisser nos cultures, tandis que la sclérose nous guette si nous nous refermons sur un passé à jamais disparu, et que la réduction à l'état de zombie nous menace si nous nous laissons absorber par une mondialisation émasculante de tout ce qui fait notre vie, du geste le plus quotidien à la pensée la plus visionnaire. Si ce métissage ne peut se réaliser, harmonieusement et profitablement, qu'avec le temps, dans le respect des différences, et la curiosité à l'égard des valeurs d'autrui, s'il doit éviter les écueils de toutes les démagogies, de toutes les idéologies dangereuses, de tous les systèmes maffieux, il ne peut commencer à se mettre en oeuvre qu'en sachant ce qu'il " ne veut pas ", premier pas dans la connaissance de soi, avant de devenir tel qu'en lui-même " l'éternité le changera ".
Comme chaque individu a ses rendez-vous avec la chance, l'intelligence et la conscience collectives ont aussi les leurs. Ces rendez-vous sont rarement des parties de plaisir, encore faut-il s'y rendre, le coeur, les mains et la tête prêts à recevoir et à donner.
La " conjoncture ", cette pythie moderne dont, tel celui de Cassandre, le message n 'est jamais entendu, nous donne, actuellement, l'un de ces rendez-vous. La Mairie de Vitrolles est tombée " aux mains du Front National ", faute de réponses de la politique en place à des questions existentielles d'hommes de tous les jours, le Maire de Toulon veut éteindre l'expression des différences culturelles, par crainte de ce qu'elles peuvent faire naître dans la conscience et dans l'intelligence, Matignon cherche, à travers une loi maladroite, dangereuse et révoltante pour l'éthique individuelle, à colmater les trous de la passoire d'une Europe sans frontières, en punissant les Français d'une ouverture de portes dont ils ne sont pas responsables, et légifère incomplètement sur le mais transgénique, en l'interdisant à la culture mais pas à l'alimentation. Nous sommes tentés d'applaudir devant une telle accumulation de bavures, d'erreurs, de provocations involontaires et souvent bassement électoralistes.
Il n'aura cependant pas fallu moins de quatre occasions concomitantes pour que les artistes, les intellectuels et quelques responsables de secteurs professionnels ne prennent le chemin de la protestation, de la contestation, et ne remettent en vigueur le mot Désobéir, qui était, rappelons-le, le titre d'un ouvrage du peintre Maurice Vlaminck, au sortir de la seconde guerre mondiale. Ajoutons, au passage, que la question de la désobéissance était dans l'air, depuis la reprise du procès Papon. Et puisqu'il s'agit de désobéir, réjouissons-nous de voir s'inquiéter, confrontés à ce seul mot, tous ceux que l'ordre établi conforte dans des positions légitimement réfutables : hommes de paille des systèmes politiques, économiques et sociaux en tête. Si nous commençons à mettre en question le bien-fondé des systèmes, nous allons peut-être découvrir, sinon la plage sous les pavés, plutôt le sens de la vie sous son faux-semblant.
A moins que le mouvement de conscience auquel nous assistons ou auquel nous participons ne soit que convulsif et annonciateur de la fin d'une résistance de l'organisme malade qu'est notre société, on peut imaginer un réveil de la Belle au Bois Dormant, qui nous mettrait en route du bon pied pour affronter le troisième millénaire. Prenons ce parti, au moins entrerons-nous de bonne humeur dans le Printemps tout proche.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 280 du 07.03.97
CONCURRENCE DELOYALE, LOBBYING ET LAVAGE DE CERVEAU
■ Vous les connaissez tous, même si vous n 'y avez jamais répondu, ces questionnaires aux conclusions biaisées qui vous sont adressés par la presse, par les emballages des produits de consommation courante, ou directement dans votre boîte à lettres. Leur objectif avoué : vous éclairer sur vous-mêmes, vos goûts, vos besoins, vos envies... Leur objectif réel : finir par établir et par faire entrer, dans un coin de votre conscient ou de votre inconscient, qu'à votre profil, déterminé " par vos propres réponses ", correspond telle ou telle marque de cigarettes, de boisson, de voiture, de vêtements... voire tel parti politique.
Vous les connaissez tous aussi, même s'ils ne se sont jamais adressés directement à vous, ces " envahisseurs " qui nous ressemblent comme des frères, mais appartiennent à un autre monde. S'ils n'ont pas, comme ceux d'une célèbre série télévisée, un petit doigt raide, qui les signale à l'attention des plus perspicaces, en revanche, ils ont le bras long.
Ils sont près de tous les pouvoirs décisionnaires, politiques ou civils, rodés à l'intervention pour infléchir la balance dans le sens des entreprises ou institutions qui les emploient en qualité de " chevaliers (pas blancs) ", et emporter les consciences et les marchés au bénéfice de quelque supra-nationale hors d'atteinte.
Si ces contre-pouvoirs existent, c'est, de la même façon que les sectes, à cause de l'affaiblissement des pouvoirs en place, religieux inclus, face à la seule morale qui se soit mise à régir nos rapports, la toute-puissante morale -ou anti-morale- de l'économie de marché.
Outre les moyens d'action occultes dont disposent supra-nationales et autres (et nous sommes bien heureux que toutes n'y aient pas recours d'une façon sauvage), les moyens financiers et la liberté stratégique qui leur sont accordés, dans leurs différents secteurs d'activités et face aux circuits de diffusion de leurs " produits ", les autorisent à des comportements déloyaux en terme de concurrence, face auxquels il faut pouvoir se dresser. Nous avions évoqué, dans notre rubrique " boissons ", l'affaire Orangina/Coca Cola Beverages. Non seulement les lenteurs de la justice auraient fait baisser les bras à plus d'un, mais encore, le coût des actions engagées était de nature à donner le vertige.
Enfin, le sentiment d'avoir donné un coup d'épée dans l'eau, même pour ceux qui obtiennent satisfaction morale (ce qui est très différent de la réparation des préjudices subis), n'est-il pas plus dissuasif que tout autre ?
Faut-il pour autant baisser les bras ? Ce n'est certainement pas nous qui allons vous le conseiller. Faire ce qu'on estime être juste, quitte à y laisser des plumes, c 'est encore une satisfaction permise, quoique de plus en plus chère, mais enfin, quand on aime, on ne compte pas, c'est bien connu, et on est en droit d'aimer les comportements loyaux et de tenter de les faire respecter pour la simple beauté du geste. Si vous avez besoin de vous conforter dans cette façon de penser, relisez ce bon Rostand et faites un clin d'oeil à Cyrano de notre part.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 281 du 14.03.97
CITOYENNE, L'ENTREPRISE ?
■ A l'heure où les entreprises supranationales, multinationales, voire nationales, ont un pouvoir supérieur à celui des états, on est en droit de se poser des questions sur leur citoyenneté. Il s'agit bien évidemment d'une citoyenneté élargie aux dimensions internationales qui sont devenues les nôtres. L'éthique, la morale, les grands projets de société, la condition sociale de tous nos contemporains, passent par la qualité et la responsabilité de l'entreprise, qu'on le veuille ou non.
Il serait vain d'épiloguer sur les circonstances économiques qui ont amené Renault à l'annonce de ses licenciements qu'on peut qualifier de sauvages. Cependant, on peut s'interroger sur la question des fameux gains de productivité. Si l'entreprise de production a pour objet et pour objectif la création de richesses, peut-on considérer comme telle la course à la compétitivité qui mène, chaque année, des milliers, voire des millions d'individus, au chômage et à la perte de dignité ? Sur certains marchés, dont la croissance est inférieure à ces fameux gains de productivité, la course aux parts dudit marché est-elle une fin sensée ?
Peut-on, par ailleurs, admettre l'habitude des sociétés semi-privatisées, en cours de privatisation et autres entreprises liées à l'état, de faire appel aux fonds publics, de compter sur leur obtention, de prendre, éventuellement, l'état en otage ou les citoyens que nous sommes, pour renflouer des pertes qu'une entreprise privée n 'aurait même pas pu imaginer enregistrer, même dans la virtualité du pire des scenarii-catastrophe ?
Les entreprises qui ont perdu leur âme présentent un danger considérable pour la société quel qu'en soit le type. Quand le pur gestionnaire et administrateur s'enferme dans ce qu'on appelle "la réalité des chiffres ", n 'est-il pas amené à ne penser qu'en terme de chiffres ? On soustrait des emplois, on a simplement lâché du lest pour reprendre de la hauteur. La vie, où est-elle, dans ce schéma ?
L'entreprise du 21ème siècle sera citoyenne ou ne sera pas, c'est un espoir dont on voit se profiler la réalité. Mais d'ici-là, quelles crises, quels déchirements, quelles détresses nous attendent ? Réconfortons-nous en regardant les exemples de courage industriel que le paysage actuel nous propose, ça et là. Pierre Blayau, dans le plan de réindustrialisation de Moulinex, ne fait-il pas preuve à la fois de réalisme et de respect des valeurs humaines ? Certes, la création de quelques centaines d'emplois peut paraître dérisoire dans le moment de choc créé par l'annonce de la perte de plusieurs milliers d'emplois chez Renault, mais, au-delà des chiffres, c'est une question d'attitude qui nous intéresse. Moulinex ne sera pas racheté, les fonds publics seront utilisés d'une façon positive et non jetés dans quelque tonneau des Danaïdes ; plus on médiatisera ce type d'information, plus on ira dans le sens de l'entreprise citoyenne et plus on suscitera (qui sait) de vocations d'entrepreneurs responsables. Soyons donc raisonnablement optimistes, plutôt que systématiquement pessimistes, ça nous fera, au moins, la journée plus gaie.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 282/283 des 21 et 28.03.97
"AU ROYAUME DES FEIGNANTS"
■ Volontairement péjoratif, "Au royaume de feignants" est le titre d'un roman de Pierre Very commencé en 1920 et fini d'écrire en 1945. Pourquoi cet ouvrage n 'a-t-il pas été réédité ? On pourrait penser que la fiction, rattrapée par la réalité, est caduque, à moins qu'il ne soit dangereux d'amener le lecteur à établir de fâcheuses corrélations avec le présent. Au royaume des feignants, l'ultime ambition, la paralysie totale, s'appuie sur la mise en dépendance absolue des individus. Un catéchisme "feignant" leur est imprimé dans la conscience, reposant sur d'édifiants préceptes tels les suivants "Ne pas bouger quand il est si simple de rester immobile, ne pas parler quand il est si simple de rester muet, ne pas s'imaginer que la soupe a meilleur goût dans les planètes étrangères, ne pas se laisser aller à penser quand on est éveillé, ne pas se laisser aller à rêver quand on dort, NE PAS FAIRE LE MOINDRE EFFORT... ". Je dois à un ami et à la richesse d'une bibliothèque municipale de province, d'avoir eu le plaisir fugace, et quelque peu teinté d'inquiétude, de replonger dans cette lecture.
Disons-le tout net, il y a des similitudes qui font froid dans le dos. Froid dans le dos, le recours aux médicaments de confort pour éviter les chagrins, froid dans le dos l'illettrisme et l'analphabétisme, froid dans le dos le refus de voir, de savoir, d'être responsable, l'habitude de l'assistanat, la montée galopante de l'esprit procédurier à but lucratif, des extrémismes aveugles et des sectes dangereuses. L'obscurantisme, comme le ver, est dans le fruit de nos civilisations. Cela se révèle dans des faits qui font sourire à tort, telle l'étude menée aux USA qui révèle que les consommateurs -nombreux- qui ne se lavent pas les mains avant de "manger avec les doigts " leurs "snacks " favoris, ont plus de chances d'attraper des maladies considérées comme des risques alimentaires que ceux qui se lavent les mains. Vous voyez bien que vous n 'auriez pas dû rire, puisqu'une étude révèle qu'en France 80% de la population ne se lave pas les mains avant les repas pris, de plus en plus souvent, avec les doigts.
Nous tombons de haut à chaque révélation déplaisante sur nous-mêmes. Eh bien, nous n'avons pas fini de tomber du haut de nos illusions, s'il nous en reste encore. Nous ne respectons pas spontanément des règles d'hygiène élémentaire, nous sommes de plus en plus dénués de sens civique, nous ne savons pas faire cuire un oeuf, et si l'on nous parle de morale, nous sommes tentés de dire "morale ? Connais pas". Faut-il s'en étonner ?
Nous avons renoncé à l'enseignement de l'hygiène, du civisme, des savoir-faire ménagers, de la morale, sans compter l'apprentissage de la mémoire, calcul mental en tête, sans parler de tout ce qui concourt à nous donner le sens minimum de l'orientation, dans la ville et dans la vie. Si nous pensons que les petits d'hommes ont la science infuse, nous sommes dans l'erreur, tout s'apprend, même le plaisir, même l'idée du bonheur, c'est ce qu'une certaine idée de la civilisation devrait contenir, à moins que l'assistanat élevé au rang d'institution ne fasse partie du plan d'un capitalisme sauvage qui ne veut pas savoir s'il nous jette dans le mur.
Agir, réagir, ça commence tout simplement : en apprenant à se laver les mains, à respecter les autres et soi-même, à savoir se situer et s'orienter, à se fixer des buts et des défis, en apprenant aussi à ne pas mettre l'accessoire avant l'essentiel, le paraître avant l'être, en sachant que cette chose qui semble d'un passéisme réactionnaire et qui s'appelle le sens de l'effort est la condition sine qua non du plaisir et du bonheur s'il en reste.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 284 du 04.04.97
CREER DE LA RICHESSE
■ Plus qu'un credo, "Créer de la richesse" est devenu, pour l'entreprise, une obsession allant jusqu'à la névrose.
Quelle richesse et pour qui, là est toute la question. A constater l'effet des gains de productivité sur les salariés et sur l'entreprise elle-même, chômage pour les uns, entrée dans le cycle infernal du monde de la finance et de la Bourse, avec, à terme, concentration et perte d'indépendance, pour l'autre, on est conduit à s'interroger sur le bien-fondé du libéralisme sauvage.
Plus la Bourse est florissante, moins les hommes le sont, si l'on excepte la volatile poignée de ceux qui tiennent... les cordons de la Bourse. Et plus la faille se creuse entre l'économique, le social, et la finance, plus on nous berne avec des hochets, des boucs- émissaires, et des théories biaisées qui détournent notre attention des vraies interrogations que méritent notre présent et notre avenir, à nous qui sommes des gens de tous les jours.
Ne me dites pas, par exemple, qu'il ne se trouve plus de gogos pour avaler la couleuvre de l'immigration-Mère de tous nos maux. Soit dit en passant, qu'est-ce qu'une poignée de siècles, au regard de l'histoire de l'humanité ? Au cours de la poignée de siècles qui a vu se construire l'histoire de nos civilisations occidentales, n'est-ce pas aux migrations, immigrations, métissages de peuples aussi différents que les Ostrogoths, Wisigoths, Burgondes, Saxons, Francs, Romains, Sarrasins, et autres Gaulois, Celtes ou Germains, que nous avons dû de naître et de nous trouver une identité ? Mais, pour en venir à des préoccupations plus contemporaines, exclusion, chômage, perte de valeurs de référence, peut-on sérieusement focaliser sur les ateliers turcs du quartier du Sentier même si nous en réprouvons sans réserve l'existence, quand nous savons, ou devrions savoir, que la délocalisation d'activités industrielles de toutes sortes alimente une concurrence tiers-mondiste ou quart-mondiste qui fait enfler la panse de nos marchés boursiers et nous met à la rue ? Tirer des gains de productivité de l'emploi des prisonniers chinois du lao-gaï, des populations exploitées, affamées, réduites en esclavage parmi lesquelles on compte des enfants, un peu partout sur la planète, n 'est-ce pas révoltant, barbare et suicidaire ?
Pourtant ce n 'est pas à la une des propos économico-politico-financiers que l'on nous tient.
Dans un registre un peu différent mais non moins inquiétant, est-ce normal de revendre nos sites, nos usines, voire notre patrimoine industriel (entre autres), après les avoir vidés de leur main d'oeuvre, à des concurrents de toutes parties du monde, pour qu'une entreprise européenne en cours de privatisation baisse ses coûts de productivité et voie monter son titre en bourse ?
Le monde marche sur la tête et la religion CAC 40 nous a tous contaminés comme un monstrueux cancer. L'Europe n'est pas une entité respectable, c'est un souk où tout se vend et tout s'achète sans autre projet que la loi du Profit. Et pourtant, que l'Europe était belle quand elle était rêvée par de Grands Hommes... dans un passé pas si ancien que ça.
Seulement voilà, il n'y a plus de grands hommes, ou alors, ils se sont bien cachés.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 285 du 11.04.97
CIVIQUE, LE MONDE DU TRAVAIL ? OUI
■ Qu'on se le dise, pourvu qu'on regarde ce qui se passe au terrain plutôt que de s'en tenir aux discours centralisateurs de ceux qui sont supposés - ou plutôt prétendus - représenter les entreprises "citoyennes" et les travailleurs "citoyens", le monde du travail est civique.
Mal comprise, y compris au sein de la majorité parlementaire dont elle est issue, mal communiquée, et pour cause, insuffisamment reçue ou pas reçue du tout par les entreprises destinataires, la loi de Robien, quand elle est mise en application, permet de mesurer le degré de civisme des Français plus sûrement, plus concrètement et plus impartialement que tous les sondages commandés par des organismes d'obédience diverse.
Pdg de CSR/Pampryl, Alain Chamla a bien voulu nous faire part de quelques réflexions relatives à la mise en oeuvre du volet offensif de la loi de Robien dans son entreprise qui, aujourd'hui, compte 840 salariés directs. Situons le propos : en contrepartie de la réduction de 10% du temps de travail de l'ensemble des salariés et de l'embauche concomitante de 10% de salariés supplémentaires, les cotisations patronales de Sécurité Sociale (toutes caisses confondues) sont allégées pendant 7ans, - 40% la première année, - 30% les 6 années suivantes.
Concrètement, chez CSR/Pampryl, cela signifiait le gel des plus bas salaires sur 2 ans, la réduction des salaires les plus élevés et des aménagements du temps "récupéré", notamment pour les cadres supérieurs, dont on sait que les semaines de travail sont difficiles à "évaluer" sur le plan des horaires... Utopie, direz-vous, que de vouloir obtenir un consensus sur un tel projet ? Détrompez vous. Alain Chamla, site par site, est allé expliquer la démarche. Bretagne, Normandie, Bourgogne, Provence et Région Parisienne, loin des clivages sociaux, sectoriels, politiques, ont signé la convention, syndicats en tête. Ils ont dit oui à l'emploi et à la solidarité, manifestant un sens de la responsabilité collective et individuelle, en adhérant à une loi visant à créer des emplois.
Bilan : 84 emplois créés.
L'entreprise et les salariés donnent le ton sur le plan du civisme, ce qui n 'est pas le moindre des paradoxes, face à l'administration qui traine les pieds et fait la moue devant le législateur. On n'est jamais si bien trahi que par les siens, l'Etat, à travers ses grands, moyens et petits chefs, n 'est pas près de résoudre ses contradictions internes, tandis que l'entreprise privée, si elle veut durer, n'a pas le choix. Gilles de Robien, quels que soient sa personnalité et son cursus, est sans doute un "honnête homme du vingtième siècle" qui remplit bien sa fonction d'élu. Quant à la courroie de transmission qui s'appelle l'Administration, libre à chacun d'en apprécier la qualité. Espérons qu'elle ne fera pas obstacle à la multiplication d'expériences semblables à celle de CSR/Pampryl.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 286 du 18.04.97
C... COMME COMMUNIQUER
■ " Bonjour, C... Il est sept heures, nous sommes lundi, semaine 5. Bonjour, C..., il est sept heures, nous sommes lundi, semaine 5. Bonjour, C... Il est... " C. venait de passer la main devant son réveil, immédiatement celui-ci s'était tu, tandis que s'enclenchait le CD. programmé la veille. Le " hit "favori de C. remplit son duplex de décibels. Dans la cafetière, le café était chaud.
Prêt à affronter la longue journée dédiée à la Communication qui l'attendait, C. consulta son agenda électronique, mit son répondeur téléphonique en marche, et, téléphone portable en poche, prit sa place dans le trafic.
Les métiers de la Communication sont contraignants. Une téléconférence, un brain storming probable à la suite de celle-ci, les visuels du story-board d'une campagne à finaliser pour un " gros annonceur " : il était hors de question de se laisser distraire par quelque autre affaire courante, aussi, C. renvoya-t-il ses lignes téléphoniques, laissant à diverses messageries vocales et à une standardiste désabusée par une communication personnelle apparemment contrariante, le soin de les expédier. Les importuns furent donc éconduits, voire découragés au-delà des espoirs de C.
La téléconférence s'éternisa. Quelques perturbations techniques, l'indisponibilité d'un intervenant, remplacé au pied levé par un homologue qu 'il fallut " briefer " sur un dossier dont il ne possédait pas toutes les composantes, le retard d'un autre, engendré par la grève surprise des personnels au sol d'un quelconque aéroport, en furent les causes, somme toute banales. C. mit à profit les temps morts pour faire faxer quelques messages à des destinataires avec lesquels il éviterait ainsi de perdre le temps d'une conversation, puis, soucieux de reconstituer son capital en protéines, sucres lents et autres éléments vitaux, entamé par une activité cérébrale intense, il renonça au restaurant le plus proche dont le Patron n'acceptait pas les téléphones portables pour cause de nuisance sonore. " Passéiste ", jugea C, qui se fit livrer un plateau-repas dans son bureau.
L'après-midi fut un long face à face avec son ordinateur ultra sophistiqué, capable de créer du virtuel plus vrai que nature. Il ne s'interrompit que pour laisser deux messages à deux messageries vocales familières dont les détenteurs devaient être, eux aussi, débordés, puis il prit conscience d'avoir largement dépassé son horaire de travail prévu, et prit le chemin du retour. En voiture, il prit connaissance des messages enregistrés sur son portable, ce qui lui apprit qu'il dînerait seul, la personne prévue pour partager son repas étant indisponible.
Pompiers et voiture de police créaient, à l'entrée de sa résidence, une animation inusitée.
Dans l'ascenseur, la gardienne de l'immeuble le renseigna : " C'est votre voisin de palier, un Monsieur seul, il s'est suicidé ".
C. reçut la double information en une seule phrase : il avait eu un voisin de palier, et il n'en avait plus.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 287 du 25.04.97
VIVE LA DIFFERENCE
■ Au nom de l'hygiène, d'une certaine conception de la "qualité", du besoin de tout mettre "au carré" dans la grille d'une réglementation qui ne saurait tolérer qu'une tête dépasse du rang, l'Europe aseptise la production agro-alimentaire, dans un esprit qui n 'est pas sans rappeler une idée de la nourriture venue d'Outre-Atlantique.
En se tenant à un discours politiquement correct, on est convenu de se contenter du constat d'un "écart philosophique très net entre l'Europe du Sud et l'Europe du Nord" ; l'une, constituée par la France, le Portugal, l'Italie, l'Espagne et la Grèce, ayant mis en oeuvre depuis longtemps une politique de promotion de la qualité, dont les AOC représentent l'un des outils parmi d'autres aux notoriétés disparates, destinés au maintien d'une population active dans les zones rurales fragiles, à la valorisation des PME, à l'entretien de la diversité de produits liés à un terroir -à un savoir faire- à un patrimoine cultural et culturel. L'autre, tournée vers les grandes unités de production et la politique de marques internationales.
La politique de qualité de l'Europe du Sud s'est établie à travers la mise en place de procédures longues et coûteuses et les "signes officiels" de cette qualité sont encore loin d'être connus et reconnus par l'ensemble des consommateurs. Et voilà que l'Europe ajoute de nouvelles contraintes, de nouveaux signes, de nouvelles normes, derrière lesquels, si l'on veut bien ne pas être hypocrite, on voit se profiler la Loi du Profit plus que celle de la Qualité. Le profit de qui ? A vous de deviner.
Ce qui est le plus détestable, c'est cette manie qu'ont certains pays à s'ingénier à nous culpabiliser et à nous donner des leçons : leçon de fromages, leçon de tomates, leçon de jus de fruits, leçon de jambon et j'en passe. Que la culture des produits fermentes, par exemple, ne soit pas la leur, soit. Qu 'ils nous considèrent comme de potentiels empoisonneurs de la planète, non. Il est d'ailleurs assez paradoxal que les champions de "l'hygiène alimentaire" soient, en Europe et Outre-Atlantique, moins regardants en ce qui concerne l'hygiène morale et la qualité de vie de nos contemporains, quel que soit le point de la planète où ils se trouvent. Que ceux qui ne font pas de la drogue un revenu national ou qui ne rendent pas stériles des populations entières de travailleurs agricoles en leur faisant manipuler des pesticides dangereux, se permettent de vouer aux gémonies nos fromages au lait cru ou de vilipender nos foies gras, pourquoi pas, encore faudrait-il également condamner au silence ceux qui fabriquent à vil prix des produits de charcuterie, ersatz des nôtres, par exemple, uniquement destinés à l'exportation, et qui détruisent un marché en quelques années, par manque d'éthique.
Les donneurs de leçons, non seulement n'ont pas l'intention de balayer devant leur porte, mais encore tiennent-ils à se poser en modèles de la qualité de vie.
Faisons une pose. Fermons les yeux et évoquons les paysages de nos régions -ou ce qu'il en reste, dans certains cas-, la France est un verger, un vignoble, un jardin, un vivier, une pâture... et un plateau de fromages parmi les plus riches du monde où les plus grands artistes en matière de gastronomie ne se trouvent pas seulement parmi les professionnels du secteur, mais aussi à la maison, et nous possédons avec assez d'expertise tous les savoir-faire "de la fourche à la fourchette" pour ne pas nous en laisser conter. En revanche, nous ne sommes pas assez vigilants à transmettre nos savoir-faire, certes, mais surtout nos savoir-être.
Qu'attendons-nous pour nous défendre nous-mêmes, individuellement, sans nous en remettre à quelque autorité de tutelle que ce soit ? Qu'attendons-nous pour faire passer avant notre esprit critique notre esprit d'entreprise, notre enthousiasme et notre goût de la vie ?
Qu'attendons-nous pour être généreux, communicatifs, offensifs, et pour ne pas devenir des zombies seulement capables de se nourrir de viande hachée et de s'abreuver de boissons carbonatées ?
Au nom du goût, de la santé, du plaisir et de la joie de vivre, nous aussi, nous avons des leçons à donner.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 288 des 02/09.05.97
L'HOMME VIRTUEL
■ On le constate ou on le projette au terme d'études à moyen et long terme, l'homme devient virtuel. C'est d'ores et déjà à cette apparence dénuée d'existence matérielle que s'adressent les techniques émergentes de la publicité, aux noms dont le néologisme le dispute à la barbarie, le Programming et l'infomerciale. Jacques Séguéla, lors de l'annonce faite aux média de la naissance de Connect World, enseigne multimédia d'Havas Advertising, en a brossé le tableau, et on ne voit pas comment on pourrait y échapper. Le groupe le plus "cyber du monde " sait de quoi il parle.
Devant la lassitude manifestée par les téléspectateurs à l'égard de la multiplication des spots publicitaires, et dans l'obligation d'intégrer dans leurs stratégies de communication l'éclatement du paysage multi-média, et celle de se constituer un "capital client", avatar de la société à "capital financier", les "marques" ont déjà pris l'initiative des nouvelles techniques du bourrage de crâne. Si les Français ne sont pas encore totalement intoxiqués par un système réservé, par son coût, à de richissimes "multi " ou "supra " nationales, on en voit apparaître, ça et là, les premières manifestations. L'infomerciale, vous connaissez, c'est, par exemple, ce petit film, à l'apparence de documentaire, qui vous prend pour quelqu'un d'intelligent et vous explique tous les avantages objectifs présentés par une assurance, une banque, une marque d'électronique, d'automobile ou encore un pays, sous l'angle touristique (1).
Le programming, c'est la co-production d'une série TV, par exemple, entre une chaîne et un annonceur. L'annonceur, en contrepartie de son onéreuse participation, verra sa marque faire partie du mode de vie du héros récurrent (2). Quand la Twingo est née, elle nous a invités à "inventer la vie qui va avec", propos déjà dépassé, car il s'agit, maintenant et demain, d'entrer dans la monde de la fiction, pour ressembler à nos héros. Ce joli monde virtuel est déjà là, nous enfermant entre nos quatre murs, nous inféodant au "service" dont le besoin nous devient accoutumance. Dans 20 ans, 1 achat sur 2 se fera à domicile, via le magasin- écran, le téléphone mobile et tutti quanti, nous serons des lobotomisés du libre-choix et, ce qui peut nous faire sourire, nous évoquerons peut-être, comme un club de vieux de la vieille, la convivialité perdue de nos chères Grandes Surfaces, avec la caissière qui nous demandait des nouvelles du chat ou du petit dernier.
Dans cette morne perspective, notre rayon de soleil de la semaine aura été le grand retour de Jean-François Kahn, éminent pourfendeur de pensée unique, d'idées reçues et de clivage gauche/droite, avec un livre sur lequel nous nous sommes jetés avec gourmandise, "Le retour de terre de Djid Andrew" et l'hebdo "Marianne", qui promet de faire bouger un peu notre matière grise et de nous faire battre le coeur. Mais ceci est un autre propos destiné, qui sait, à teindre aux couleurs de l'optimisme notre prochain éditorial.
(1) voir Philips/Daniel Gélin ou le film réalisé par l'ONIT (Office du Tourisme Israélien)
(2) voir VOLVO/LE SAINT
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 289 du 16.05.97
LA BANANE SUR LE SENTIER DE LA GUERRE
■ Que ceux qui n 'en étaient pas encore totalement persuadés le soient : la guerre économique fait des ravages plus profonds, plus définitifs, plus fondamentaux que les guerres "traditionnelles" et les règles du jeu apparentes cachent, à ceux qui ne veulent pas les voir, les iniquités du combat.
La guerre de la banane, même si elle n 'est pas au coeur de vos préoccupations personnelles ou professionnelles, devrait vous donner matière à réflexion, et pas nécessairement à réflexion optimiste. Comme vous le savez, les Américains ont saisi l'Organisation Mondiale du Commerce pour lui demander de taper sur les doigts de l'Europe qui protège, autant que faire se peut, ses importations de bananes et favorise les régions productrices communautaires des pays ACP (Afrique-Caraïbe-Pacifique), ainsi que quelques pays d'Amérique latine, face aux 3 multinationales américaines soutenues par les 4 "pays producteurs" (dont la production leur est acquise) qui détiennent 75% des volumes mondiaux de bananes. Dans son rapport final, l'OMC a donné raison aux Américains. Certes, l'Europe peut faire appel, et ne manquera sans doute pas de recourir à cet ultime espoir, mais ses chances d'être entendue sont faibles... d'autant plus faibles que la World Company, une fois de plus, exploite les divergences profondes qui caractérisent la mosaïque européenne. Dans le cas de la banane, on savait que l'Allemagne soutenait du bout des lèvres le système communautaire d'importation, compte tenu de son absence de liens avec les productions ACP, aussi n'était-ce qu'un jeu d'enfant de l'amener à manifester un soutien à la décision de l'OMC, car les Allemands, gros consommateurs de bananes, voient dans les conclusions du rapport l'opportunité d'en voir baisser le prix.
Cette guerre de la banane est exemplaire. On pourrait relever, dans le passé, de nombreuses manoeuvres entreprises par des puissances économiques non-européennes, qui ont révélé, accentué, ou suscité la zizanie dans notre CEE qui n'est pas au bout de ses peines. Il n'est pas difficile d'imaginer comment, dans l'avenir, ce ressort sera encore utilisé pour déstabiliser notre économie, tant l'économie communautaire que celle des pays membres. On ne peut plus guère mettre d'huile sur le feu des idéologies (y a-t-il encore des idéologies en Europe ?), en revanche, rien n 'est plus facile que de faire prévaloir la loi à court terme du porte-monnaie pour diviser ce qui n 'est qu 'une apparence d'union.
A l'égard de la banane, nous éviterons d'insister sur les conditions de production discutables financées par les USA, nous y avons déjà fait allusion dans l'un de nos éditoriaux récents, mais qu'il nous soit cependant permis d'émettre un doute sur le souci d'éthique de nos attaquants. Il est vrai que les lois de la morale et celles du commerce ont de moins en moins de points communs. Y a-t-il encore une morale dans le commerce? A vous de voir.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 290 des 23/30.05.97
HARMONISONS
■ "Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais", de tous temps moralistes et maîtres à penser ont décliné le thème. Pour être philosophe, censeur ou moraliste, on n'en est pas moins homme, aussi n'est-ce pas utile de hurler avec les loups pour stigmatiser cette dérangeante habitude. Cependant, il en va tout autrement quand il s'agit de corps constitués et de grands appareils d'état, par exemple, qui devraient, par définition, être à l'abri des pulsions diverses auxquelles l'organisme humain est soumis.
On nous engage, sur tous les tons, à l'harmonisation : harmonisation européenne, harmonisation des divers services constitutifs de l'entreprise privée, dans un but louable de gains de productivité, entre autres. Bref, on nous culpabilise à longueur de temps pour que nous nous sentions les seuls responsables de tous nos maux, comme si nous étions inaptes à créer la cohésion et l'harmonie nécessaires à mener à bien nos petites entreprises.
Face à l'administration, en premier lieu, nous sommes toujours coupables d'un "manque". Il nous manque la pièce numéro 119 bis, se rapportant à l'article 218 ter que nous ne pouvons ignorer puisque nul n'est censé ignorer la loi, et faute d'avoir acheminé dans des délais, relevant de la plus haute fantaisie, un ensemble de papiers kafkaïen vers diverses et éparses émanations de "l'Administration", nous ne sommes pas habilités à faire valoir tel ou tel avantage ou nous sommes taxés par défaut et surtaxés au terme d'une incompréhensible arithmétique conjuguée avec des aléas calendaires dont l'absurdité le dispute à l'archaïsme.
Outre les diverses réflexions que peuvent nous inspirer, pour ne citer qu 'elles, les "charges sociales ", et sans entrer dans le débat du bien-fondé de leur établissement et de leur mode de calcul, il nous semble pour le moins raisonnable de demander qu'au moins, on simplifie leur mode de règlement. Et puisque l'harmonisation est à l'ordre du jour, parlons-en. Une harmonisation entre les différentes "caisses " de l'administration, celles qui s'ignorent quand elles ne sont pas délibérément hostiles les unes aux autres, n 'est-ce pas un projet réalisable ?
Elle aurait au moins l'avantage de nous libérer d'une paperasserie paralysante et inutile, et les comptables de nos "petites et moyennes " entreprises pourraient peut-être enfin retrouver leurs petits dans la jungle des textes officiels en permanente mutation, plutôt que de se situer dans un cas de figure du niveau Kasparov/Deeper Blue au moment d'établir des bulletins de salaires pour des salariés aux profils variables et de régler à une multiplicité de "caisses", à des échéances diverses, des sommes d'une incroyable hétérogénéité, calculées sur des taux qui paraissent d'une logique pour le moins discutable.
Harmonisons, harmonisons... de préférence à scander ces trois syllabes comme les choeurs de l'Opéra, qui, vissés au sol, s'époumonnent à répéter "Partons, joyeux compagnons..." qu'attendent nos "administrateurs " et "gestionnaires " pour faire enfin entrer dans les faits une harmonisation administrative qui nous simplifierait réellement - et non virtuellement - la vie, et qui, par voie de conséquence, nous rendrait plus compétitifs. S'il est impossible à l'Etat, dans un pays développé, de réaliser cette harmonisation-là, que peut-on en induire de ses capacités à réaliser d'autres "harmonisations"... à niveau européen, par exemple ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 291 du 11.06.97
A CONSOMMER AVEC MODERATION
■ Enclins, par nature, à l'abstraction, les Français ont le travers bien connu de commencer par édicter des principes et des règles pour, ensuite, s'efforcer de les mettre en application. A l'inverse, et c'est l'une des qualités que nous leur envions sans vouloir la développer, nos voisins d'Outre-Manche expérimentent et partent du terrain pour établir principes et règles. Ils gagnent du temps, de l'argent, bref, ils sont efficaces.
Qu'il s'agisse de produire, d'acheter ou de vendre, bien que nous ayons tous en tête des exemples d'échecs dûs à une connaissance abstraite non équilibrée par une pratique attentive du terrain, nous avons encore des réflexes plus intellectuels que pratiques. Nous ne voudrions faire de peine à personne en citant des marques qui se sont gravement et chèrement trompées sur le lancement d'un produit ou sur la création d'une campagne publicitaire, dûs à des "premiers de la classe" qui n'avaient de la vie qu'une représentation virtuelle, mais nous pourrions tous en remplir un bêtisier. De la création à la commercialisation, s'il est évidemment indispensable de s'aider de repères chiffrés et d'études pertinentes, il est nécessaire d'utiliser avec modération, et surtout en les maîtrisant, ces instruments, et d'être particulièrement attentif à ne pas se laisser coloniser par les systèmes informatiques et multimédia dont l'abus de consommation est dangereux. Nous avons déjà vécu, à titre domestique, l'invasion des robots ménagers, dont l'afflux pléthorique a fini par s'endiguer, certes, mais après nous en avoir rendus esclaves. En avons-nous tiré les leçons ?
Puisque nous sommes dans la période où les vins sont au centre de notre actualité dans la mouvance biennale de Vinexpo, nous touchons le coeur d'un sujet qui, précisément, fait apparaître les limites du savoir abstrait. Produit vivant par excellence, le vin qui, à chaque millésime, est différent, échappe à toute logique industrielle pure. Il est jubilatoire de noter qu'il est impossible à délocaliser et qu'on ne peut pas faire grimper les vignes au mur dans des salles blanches comme on le fait pour certains légumes. Il est non moins jubilatoire de savoir que la qualité, qui en est la condition de développement, passe nécessairement par des limitations de rendements satisfaisants sur le plan de l'éthique. L'industrie n'y intervient que pour faire passer à une dimension supérieure le savoir-faire, l'imagination, l'intuition et la passion des viticulteurs, vinificateurs et metteurs en marché. Du côté des acheteurs, chacun sait qu'un carnet d'adresses, des relations d'homme à homme avec les producteurs-metteurs en marché, des coups de chance et des traits d'intuition, sont des atouts sans lesquels la lecture des panels ou de tout autre type d'information rationalisée demeure lettre morte.
Quant à la vente, les chefs de rayon qui sont à la fois proches et passionnés du produit et proches du consommateur s'enorgueillissent d'obtenir des résultats qui font pâlir les "moyennes " nationale ou régionale.
Vive le vin, donc, puisqu'il fait naître et renaître le sens de l'échange, du partage, qu'il donne tout leur sens aux mots "amateur", "plaisir", "bien vivre", et qu'il privilégie le savoir faire face au savoir sans objet. Le vin et les hommes ont fait un bon bout de chemin ensemble, depuis des millénaires, ils continueront d'entretenir des rapports empreints de toutes les valeurs humaines que l'excès d'abstraction pourrait faire disparaître. Avec les métiers du vin et sa consommation, nous sommes dans le réel, l'aimable, le culturel, et dans l'art de vivre, restons-y.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 292 du 20.06.97
HELEN ET DAVE CONTRE McDO
■ Helen et Dave, deux jeunes Anglais plutôt désargentés et, à ce titre, n'ayant rien à perdre, ont pris la liberté d'exprimer leur ras-le-bol de McDo. Ils n 'y sont pas allés par quatre chemins : manifestation à deux devant l'un des restaurants de l'enseigne, dont ils ont à la fois contesté la qualité alimentaire et la politique de bas salaires. Contre-attaque immédiate du géant du fast-food, peut-être un peu hors de proportions, puisque celui-ci ne demande pas moins d'1 million de livres sterling de dommages et intérêts à deux jeunes gens qui n 'ont jamais vu une telle somme, même en rêve, figurer sur leur compte en banque. Sur ce, une association de soutien à Helen et Dave naît spontanément, et une bonne poignée d'Anglais se met à manifester, ce que McDo considère comme une atteinte si grave à son image qu'il infiltre ladite association et lance ses limiers aux trousses des " dangereux contestataires ".
Ce que n'avait pas prévu l'incontournable du hamburger, c'est que l'un de ses agents, une femme, tomberait amoureuse de l'ennemi, et qu'elle trahirait. L'ampleur de la réaction de l'industriel stupéfie, à juste titre, les contestataires, qui se sentent et se savent menacés des pires représailles, fichés qu'ils sont par un pouvoir très largement supérieur à tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires de nos petits Etats, même les plus puissants.
Consternation et casse-tête pour McDo, dans une affaire qui commence à déclencher des commentaires qui ne lui sont pas particulièrement favorables, dans la presse britannique. Il est clair que, même si McDo gagne contre Helen et Dave (qui ne seront jamais en mesure de payer les dommages et intérêts demandés), il aura fait une très mauvaise affaire sur le plan médiatique.
David ne gagne pas toujours contre Goliath, mais il continue d'y croire et de se battre, et c'est rassurant de savoir que, même si globalement nous sommes colonisés par la pression de géants industriels, et ce, de toutes les façons, car ils ne manquent pas de moyens, nous sommes cependant capables, comme ça, pour exprimer simplement notre différence, de nous inscrire en faux contre les discours lénifiants et prescripteurs avec lesquels ils viennent à bout de nos résistances. Que McDo ait été obligé de donner de lui une autre image que celle véhiculée par son omniprésente publicité, n 'est-ce pas amusant?
Que les inconditionnels du hamburger industriel se rassurent, [illisible] préférée ne devrait pas souffrir gravement de ce coup d'épingle dans son armure, mais peut-être cela leur donnera-t-il à penser qu'il n'y a pas que des préoccupations de bienfaiteur de l'humanité sous le couvercle du burger. Peut-être [illisible] étendre la réflexion à d'autres secteurs d'activité où sévissent [illisible] qui nous tiennent sous leur dépendance dans notre vie professionnelle et privée. Cherchez, faites les bons rapprochements, c'est un petit jeu pour occuper vos loisirs d'été, si vous souhaitez attaquer la rentrée non seulement beaux, halés et remis en forme, mais aussi armés moralement, ce dont vous ne manquerez pas d'avoir besoin au retour de vacances.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 295 du 29.08.97
VA-T-ON AU MOINS S'ENTENDRE ?
■ Grande, petite, moyenne coupure, l'été rompt les fus de nos relations usuelles plus ou moins institutionnalisées, à nos niveaux de communication respectifs. L'une des interrogations premières de la reprise de nos activités, et non la moindre, concerne l'état de ces relations. Comment allons-nous "les " retrouver ? Quel temps va-t-on perdre à tenter d'obtenir, sinon un rendez-vous ou un entretien plus ou moins truffé d'intermédiaires, au moins une voix humaine au bout du téléphone, une signature au coin d'un fax ou d'un courrier, un Oui, un Non, un contact, quel qu'il soit, avec quelqu'un de responsable... enfin.
Et nous reviennent en mémoire quelques unes de ces aberrations usantes qui nous ont donné plus d'une fois envie de raccrocher les gants.
Pour ma part, j'ai le souvenir encore frais, d'une standardiste-hôtesse d'accueil, dans une société au siège social bien parisien, gardée comme un coffre-fort de la Banque de France, qui a mis une éternité à me rendre la carte de presse que j'avais été invitée à laisser à l'arrivée -au cas où j'aurais tenté de dérober des secrets d'état-, tout simplement parce qu'elle ne connaissait pas l'ordre alphabétique, et qu'avant d'arriver à la lettre M, dans le désordre, elle a dû faire l'aller-retour du contenu de sa boîte à fiches. Quand je lui ai demandé poliment d'avoir l'amabilité de m'appeler un taxi, la situation s'est aggravée.
D'abord, elle ne m'a "pas entendue", puis elle m'a demandé ce que je "faisais encore là", enfin, elle s'est exécutée de mauvaise grâce, et c 'est moi qui ai dû lui souffler l'adresse et le numéro de téléphone de l'entreprise dans laquelle elle travaillait et où nous nous trouvions, car elle ne connaissait ni l'une ni l'autre. Enfin, comme j'étais passablement en retard (avec tout ça), j'ai commis l'imprudence de m'enquérir du délai demandé par la compagnie de taxis. "Ben, je l'ai appelé, il va venir", c'est tout ce que j'ai pu en tirer. Bref. Inutile de conclure sur son absence de réponse à mon "Au revoir" ni de revenir sur d'autres aspects de son incurable manque de savoir-être.
Plus jamais ça ? On peut toujours l'espérer, porté par une vague d'optimisme due au repos.
Et d'autres exemples réchauffent le coeur, moins nombreux, hélas, tels celui d'une société du même secteur d'activité que la précédente, qui a organisé, à destination de l'ensemble des salariés du siège social, une journée déformation sur le thème spécifique de l'accueil téléphonique. Tiens, c'est CSR Pampryl, ce que je peux dire tandis que je n'ai pas dénoncé les précédents. Entre nous, n 'est-il pas naturel de privilégier, dans nos rapports professionnels, ceux qui ont le savoir-vivre de nous répondre aimablement, de se nommer, de savoir qui est qui, qui fait quoi, comment orienter nos recherches, plutôt que de nous aboyer des vociférations excédées ou de nous laisser de longues minutes en attente (de quoi ?) pour nous éconduire à la fin, ou nous redemander qui nous sommes et quel est le but de notre appel, quand ce n'est pas un "ça ne nous intéresse pas" ou "je n'ai pas que ça à faire", ou "essayez plus tard, je ne sais pas quand, je n 'ai pas l'agenda de M... ", ou "je ne suis pas là pour prendre les messages ".
Allez., haut les coeurs. Prenons la rentrée en patience, et promettons-nous de n'avoir pas besoin de contacts avec les goujats, les grossiers, les ineptes, les inaptes, les incapables et les incompétents... cela nous permettra de vivre dans un climat plus sain.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 296 du 05.09.97
LE PAPE, LE DESARROI, LA TRANSMISSION ET LE GOUT
■ Contrairement à ce qu'il paraît à l ' énumération de ces éléments disparates, il y a une corrélation réelle entre les uns et les autres.
N'ayant aucune affinité avec le Pape, ni avec ce que son Eglise est devenue, et n'entretenant avec aucune autre religion de liens d'aucune sorte, je crois pouvoir évoquer avec impartialité l'événement de la grande tornade blanche qui s'est abattue sur Longchamp. Après la génération protestataire, portée par la colère, qui a enfanté mai 68, les jeunes et les moins jeunes, qui se sont succédé ou qui ont poursuivi leur chemin, se sont défaits de leurs utopies et de leurs espoirs pour devenir la "Bof!" génération. Puis un glissement s'est effectué pour nous amener au temps du désarroi. Qui sait aujourd'hui à quel saint, à quel diable, à quel gourou, à quelle éthique païenne se vouer ? Peu d'individus, je le crains.
Cependant, l'être humain est ainsi fait qu'il a besoin de repères, de métaphysique et de contact avec ses semblables. L'homme est un animal social. Cela vous dit peut-être quelque chose. Aussi devrions-nous tous analyser le contenu du rendez-vous de Longchamp. Autour d'un vieil homme malade, mais d'une volonté admirable, dont les idées n'étaient généralement même pas évoquées par les participants à la manifestation, y compris dans les transmissions télévisées les plus frileuses, une extraordinaire marée humaine est venue chercher cette proximité, cette raison d'être et d'être ensemble "solitaires mais solidaires", parce que les humains n'échappent ni à leur nature ni à leur destin. On peut tourner cela dans tous les sens, c 'est incontestable.
Quelle relation, direz-vous, avec nos préoccupations professionnelles, notre copie à rendre au quotidien, nos cadenciers, nos tractations commerciales, nos plannings publi-promotionnels et nos objectifs à remplir ? Il ne vous aura pas échappé que les tendances pressenties, constatées, mesurées, reflet de l'humeur de nos concitoyens et de notre propre humeur, n'ont d'intérêt pratique, dans nos métiers, que si l'on a eu l'intuition d'aller au-devant d'elles. La tendance de fond 97, la grande tornade blanche en est le symbole. Et que vient faire le goût dans tout ça ? Le goût, dont certains d'entre vous préparent activement la "semaine" est une sorte d'équivalent païen à la tendance religieuse. On s'aperçoit à quel point sa culture est fondamentale, au moment où l'on a failli négliger de le transmettre. Tout n 'est peut-être pas encore rédhibitoirement perdu, pour peu qu'on s'en préoccupe très vite, ce qui ne manquera pas d'intéresser l'immense majorité des intervenants de la production et de la distribution dont "l'agro-alimentaire" est le secteur d'activité.
A propos, avez-vous lu le sondage réalisé par la Collective du Sucre/Ipsos, relatif à la transmission du goût entre les générations ? Qui transmet le goût ? Qu'est-ce qui est transmis ? Que souhaite-t-on transmettre à son tour ? Si ce n'est fait, il n'est pas trop tard pour vous y mettre.
Une bonne nouvelle, au terme de cette flânerie en forme d'édito : l'étude révèle la grande place de la cuisine au sein de la famille... et la grande place de la famille au sein de la cuisine. Il semble, en outre, que les plus jeunes générations aient repris goût... aux goûts.
Vous voyez, il y a une tendance oecuménique autour de nos assiettes.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 301/302 des 10 et 17.10.97
SI VOUS ECOUTIEZ "LES ESCROCS"
■ Proposition bizarre, pensez-vous. C'est sans doute que vous n'êtes pas de ceux, de plus en plus nombreux, qui prennent une grande bouffée d'humour, de bonne humeur et un cours sur notre société, au passage, à l'écoute des "Escrocs".
Les métiers dans lesquels vous exercez votre activité ont toujours l'oeil rivé sur des sondages, des études, des enquêtes, des statistiques et autres outils d'appréciation de l'humeur de nos contemporains, de leurs besoins réels ou imaginaires, de leur devenir à court, moyen ou long terme... Un quadrillage permanent traque l'individu et la collectivité, et tout est étiqueté, classé, rangé dans des boîtes qui renferment d'autres boîtes, et nous savons tout sur tout, sauf parfois l'essentiel, parce que l'essentiel, c'est la vie, et qu'elle ne se laisse pas enfermer dans quelque contenant que ce soit.
L'avantage des artistes, saltimbanques ou troubadours, sur tous les découpeurs d'individus ou de sociétés, c'est qu'ils captent dans l'air du temps des échos de la vie comme elle passe, quand elle passe, où elle passe. "Les Escrocs" sont de ceux-là. Les mots et les musiques, parfois, apprivoisent la vie. Le privilège du talent est là. Si l'on se demande où sont les héritiers de Boris Vian et de Gainsbourg avant Gainsbarre, les petits frères de Coluche, les descendants de ces "chansonniers" comme on dit au Québec, qui sont une "exception française " dont on pouvait s'inquiéter de la survie, eh bien, on tient au moins une réponse, avec ce groupe qui s'exprime dans une langue on ne peut plus vivante, qui a assimilé les neologismes plus vite que l'Académie Française, et qui a également assimilé les musiques qui flottent sur le monde, du Brésil à la Jamaïque en passant par la banlieue de Paris, hier et aujourd'hui, rap et java copains. Déjà "Les Escrocs" avaient décoiffé les idées reçues avec des titres tels qu' "Assédic" ou "Loukoum et Camembert", dans leur précédent album CD, aujourd'hui, on va un peu plus loin dans la connaissance de son voisin, donc de soi-même, grâce aux 14 nouvelles chansons de Eric Loutis (dit Toulis, verlan oblige) le chanteur-auteur-compositeur du groupe, Didier-François Morel (dit Morélito), Hervé Koury (dit Professeur Kouri), qui, sans avoir l'air d'y toucher, secouent pas mal de cocotiers. Les Parisiens seront sans doute plus sensibles que quiconque à "Capitale santé" ou aux "Bistrots parisiens", mais, de la plage de Nice au spleen du Dimanche en ville, quelle promenade!
A noter : désormais, la chanson a, comme la littérature ou le septième art, un personnage récurrent, avec Simone qui, de la montagne du premier CD, a fait son chemin pour atteindre les plages du Cap Vert dans la cuvée 97.
Que "Les Escrocs" nous proposent de partager les ripailles qu'ils font avec notre société ne les empêche pas d'être, eux aussi, par mise en vente interposée de leur CD, victimes de la segmentation qu'elle nous impose en tout et partout. Je les ai vainement cherchés à "variétés françaises", dans les rayons d'un magasin multispécialiste, et c'est à "rock français" qu'ils étaient, en vertu d'Une logique qui m'a échappé. Depuis, je les ai rencontrés à "variétés", mais allez-donc savoir où ils peuvent se cacher, d'une enseigne à l'autre ? Et que celui ou celle qui n'a jamais erré du frais laitier aux fruits et légumes pour trouver un jus de fruits ultra-frais ose dire que j'exagère.
PS. Dommage pour vous, vous n'entendrez pas le "Tango du Mammouth", encore inédit et réservé au public des concerts, par Mammouth, entendez bien "enseigne Mammouth". Espérons que l'enregistrement sera réalisé avant que l'enseigne ne disparaisse, comme le mammifère qui lui a donné son nom.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 303/304 des 24 et 31.10.97
ASSEZ!
■ Il y a quelque chose de pourri... et ce n'est pas seulement au royaume shakespearien du Danemark. Admettez que l'accumulation des sujets d'indignation, d'écoeurement, de découragement, d'inquiétude, et j'en passe, fait peser sur nos jours et nos nuits une pression insupportable. Ce n'est évidemment pas la première fois qu'à la une de l'actualité on trouve d'horribles suicides accomplis par des maladroits qui s'y reprennent à quatre ou cinq fois pour se tirer des balles de revolver, au hasard et en changeant de main.
Ce n 'est évidemment pas la première fois qu'un procès se déroule dans des conditions qui ne font honneur à personne, particulièrement pas au sens de la dignité de la justice.
Ce n'est évidemment pas la première fois qu'une formation politique lâche, mine de rien, des membres considérés comme indésirables.
Ce n 'est évidemment pas la première fois que la communauté internationale fait preuve d'une impuissance coupable à mettre un terme à des massacres horribles de populations civiles perpétrés ouvertement et renouvelés sous ses yeux.
Ce n'est évidemment pas la première fois qu'on vampirise les morts pour marketer les produits dérivés de leur "image":..
La précipitation, la multiplication, la généralisation des mauvaises nouvelles, des mauvais comportements, des mauvaises actions, deviennent, disons-le, parfaitement insupportables.
Arrêtons le massacre de notre dignité. Nous ne sommes pas "tous" des menteurs, des salauds, des lâches, des assassins, des voleurs, des pervers.
Mais nous, nous n'occupons pas la une de l'actualité, même si nous sommes plus nombreux, même si nous continuons à vouloir travailler à la construction d'un monde où l'on pourrait vivre dans une certaine harmonie et un certain bonheur partagé et non égoïstement replié sur des avantages à la petite semaine.
Et nous, nous en avons assez de "l'actualité" dégradante. Et nous, nous voudrions aussi entendre et voir parler d'AUTRES CHOSES, en particulier de choses positives. Et nous aimerions que les vivants et les morts soient considérés sous un autre angle que celui de la valeur marchande. Et nous aimerions, dans la foulée, ne pas être pris "que" pour des C... que nous ne sommes pas complètement. Et nous aimerions ne plus être enfermés dans un système de pensée unique, de morale-alibi, de manichéisme, de copinage, de complaisance, de langue de bois, de surdité et de cécité aux réalités du monde tel qu'il devrait nous apparaître, hors des filtres et des objectifs déformants de divers pouvoirs, loin des intérêts grands ou petits de ceux qui croient en tenir les rênes. Et nous aimerions pouvoir exercer notre libre-arbitre, notre sens de la responsabilité, de l'équité, notre esprit critique, notre capacité à agir, réagir, bouger, évoluer.
Assez d'empêcheurs de vivre. Assez, assez, assez.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 305/306 des 07 et 14.11.97
LE SYNDROME DE LA CASQUETTE
■ Sous toutes les latitudes, dans toutes les sociétés prétendues évoluées, les casquettes ont une tendance irrépressible à se multiplier, en sautant sur la tête d'individus jusqu'alors normaux. Dès lors qu'il la porte, l'individu, en particulier s'il a la tête trop petite pour la casquette qui lui est dévolue, se met à manifester des signes de suffisance, d'omnipotence et se livre à diverses manoeuvres d'intimidation, de déstabilisation, de mise sous pression de son prochain, et nous ne parlons pas de cas extrêmes.
Qui d'entre nous n'a pas "son" ou "ses" exemples, tirés de tracasseries de diverses administrations ? Qui n 'a jamais fait les frais du syndrome de la casquette, portée par un petit chef un petit sous-chef un chefaillon, un apprenti-chef ?
Aucun changement de société n 'est parvenu à dévisser la casquette des têtes les plus diverses, souvent les moins aptes à la porter avec bon sens, sans vanité et sans inflation de la notion du pouvoir lié à son port.
Les petits pions de l'administration qui confondent la responsabilité d'une fonction avec un pouvoir personnel sont légion. Au préjudice de l'image de l'administration qu'ils représentent et de celle de leurs collègues conscients et responsables (il y en a, nous en avons tous rencontré, qui nous apparaissent comme d'heureuses exceptions), ils promènent impunément leur suffisante casquette dans nos destinées, ce qui est navrant. Mais nous n'y pouvons pas grand'chose, sauf quand ils exagèrent vraiment un peu au-delà du supportable, et que le public est amené à se plaindre massivement de leur comportement.
En revanche, les petits pions des entreprises n 'ont pas le même type de parcours. Comme chacun sait, ou devrait savoir, plus l'entreprise est gigantesque, plus elle génère des porte-casquettes qu'elle utilise dans un but précis, à un moment donné. Ce ne sont pas les moins imbus de leur "fonction", aussi modeste et fragile soit-elle. Ceux-là, quelles que soient leurs responsabilités et quelles que soient les nôtres, nous sommes amenés à les rencontrer, à traiter avec eux, ou à passer par leur intermédiaire pour accéder à nos interlocuteurs plus haut placés. Savent-ils qu'une casquette peut, sans qu'ils s'en aperçoivent, se transformer en "chapeau " ? Savent-ils que le port d'un chapeau constitue, d'une façon très habituelle dans un contexte économique difficile, la dernière étape avant le siège éjectable ? S'ils en sont conscients, peut-être auraient-ils intérêt à reconsidérer la façon d'accepter le port de la casquette et, ensuite, à ne porter qu'une casquette correspondant à leur tour de tête. Dans leurs rapports professionnels de tous ordres, à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise, ils seraient bien inspirés de garder la tête froide et de se comporter comme des individus normaux et non comme des Porteurs de Casquettes de Chefs, car ceux qu'ils rencontreront, en cas de déboires, seront, à peu de chose près, les mêmes que ceux qu'ils ont rencontrés en accédant à la casquette... Mais peut-être prêchons-nous dans le désert, si l'on considère que l'enflure de tête consécutive à l'accès à la casquette est inversement proportionnelle à l'intelligence de la tête en question.
Casquette, chapeau ? Pensez-y. Nous, nous y pensons tous les jours. C'est ce qu'on appelle la remise en question, le doute, le sens de la relativité de l'importance de nos fonctions et de nos actes, et, quelque part, aussi, le juste sens de la responsabilité.
Enfin de compte, tout ce que nous pouvons mutuellement nous souhaiter, c'est de nous retrouver, les uns et les autres, loin des casquettes et chapeaux en tous genres, nantis de l'unique chemise de l'homme heureux.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 308 du 28.11.97
NEUTRALITE
■ Quand un enfant, un adolescent, voire un jeune adulte, vous fait l'honneur de vous poser une question, le moins que vous puissiez faire, c 'est de prendre le temps d'y répondre.
Non pas ex cathedra, non pas d'une façon expéditive, encore moins en remettant à plus tard le vraie réponse circonstanciée. Toutes les questions sont embarrassantes. Celles des nouveaux-venus dans la vie le sont plus que les autres, car ils attendent l'absolu, et c'est bien délicat de leur dire que c'est une denrée qui n'existe pas.
Au risque de souffler sur les lumineuses illusions d'un jeune homme qui m'a posé la question de la neutralité de l'information, je crois de mon devoir de lui répondre qu'aucune information n'est neutre, fût-elle chiffrée. Sinon, une partition musicale aurait une lecture unique et tout interprète suffisamment expérimenté en donnerait une interprétation rigoureusement identique à celle d'un autre interprète.
Mais venons-en au journalisme, question autrement plus complexe. Prenons la "simple " relation d'un événement. Si l'on en croit le philosophe, en l'occurrence Nietzsche, l'événement est insaisissable, parce que trop fugitif pour qu'on puisse en dire quelque chose. A l'appui de cette assertion, le film japonais Rashomon, sur la fragilité du témoignage, ou encore Douze Hommes en Colère, sur le doute, et combien d'autres ? Tout est vérité et mensonge en même temps, aussi impartiaux soient ceux qui perçoivent et véhiculent l'information. Le média lui-même n 'est pas un support neutre. Telle ou telle chaîne de TV, telle ou telle antenne radio, telle ou telle revue, ont un profil à partir duquel on ne reçoit pas l'information de la même façon venant de l'une ou de l'autre. Mais l'aventure de l'information se complique à partir du moment où elle atteint sa cible, un lecteur, un auditeur, un spectateur, un téléspectateur... autrement dit un Monsieur Tout-le-Monde qui, justement n 'est pas le même que son voisin.
L'information, ce n'est pas seulement le fait de celui qui la donne, c'est aussi le fait de celui qui la reçoit. Aucun récepteur n'est neutre. Comment l'information qui l'atteint pourrait-elle l'être ?
Pour accroître la complexité de la réponse, le jeune interlocuteur auquel je m'adresse en même temps qu'à vous, mettait sur le gril l'éditorial. Exercice hautement acrobatique, l'éditorial, par définition, n'est pas neutre. De quoi s'agit-il ? D'un coup de gueule ou d'un coup de coeur, d'un propos destiné à faire réagir le lecteur, à lui donner "matière à réflexion", si vous préférez- Et c'est ici que nous rejoignons le propos touchant à l'information, dans tous ses états. Qu 'est-ce qu'une information, quel est son rôle, quel est son sens ? Une information, c'est un élément de connaissance, un renseignement communiqué à autrui, parmi une infinité d'autres. L'information est destinée à attirer l'attention, à donner un signe ou un signal. A partir de là, la balle est dans le camp de celui qui la reçoit. A lui d'en faire usage. A lui de collecter un ensemble d'informations, de les confronter, d'échanger son point de vue sur les informations recueillies avec d'autres, qui ont peut-être des sources différentes. A lui de faire son métier d'homme : penser, réfléchir, et, le cas échéant, agir. Et surtout, ne pas se précipiter sur "l'information " la plus proche pour en faire un credo sans précautions. Au jeune homme qui croit dans la neutralité de l'information, je dirai tout simplement qu'on peut parler d'honnêteté, d'impartialité, de la part de "l'informateur", mais en aucun cas de neutralité. Cela signifie, pour chacun d'entre nous que, une fois l'information reçue, l'essentiel reste à faire : se poser des questions, et surtout, se rappeler qu'une information neutre, c'est le signe d'une pensée "unique", dont nous savons tous qu'elle est réductrice, paralysante, sclérosante et uniformisante. Est-ce vraiment le voeu d'un jeune homme plein d'idées neuves, d'enthousiasme et de besoin d'agir, que d'être nourri d'une telle pensée ?
NB : Au fait, il n'y a pas non plus "une" vérité, il y en a plusieurs, chacune comportant ses inexactitudes et ses zones d'ombre.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 312 du 15.01.98
JEU DE ROLES
■ Victime au secours de laquelle il faut voler : le monde du travail.
Chevalier Blanc : L'Etat.
Méchant : le Patronat.
Titre du jeu : les 35 Heures.
Objectif avoué du jeu : donner de l'emploi à tout le "monde du travail", par le biais d'une loi sur les 35 heures.
Le décor est planté.
La boîte du jeu des 35 heures, on peut le dire, vient largement en tête des ventes de hochets de fin d'année, pour tous âges et toutes catégories d'individus. Comment pourrait-il en être autrement, au terme d'une omniprésente et aveuglante médiatisation ?
Et si nous n'avions pas envie déjouer ?
Si le chiffon rouge laissait le taureau de marbre ?
Si le fait de légiférer sur la durée du travail nous apparaissait comme un leurre dangereux, une muleta derrière laquelle... vous voyez ce que je veux dire.
Comme nous le savons tous, il n'y a pas plus d'égalité devant le travail que devant quoi que ce soit. Demandez à tous ceux qui se trouvent à de hauts niveaux de responsabilités et de salaires (et de pouvoir) s'ils ont envisagé, même dans leurs rêves les plus extravagants, de s'appliquer à eux-mêmes une loi des 35 heures... n'est-ce pas, Messieurs les Présidents de tout, y compris de la République, sans oublier Ministres et Grands Commis de l'Etat...
Les Chefs d'Entreprises d'aujourd'hui, dignes de ce nom, sont suffisamment responsables pour avoir mis en place des solutions en faveur de l'emploi, notamment issues de la loi de Robien. Fleury Michon, Pernod Ricard, le Groupe Coopératif Even, Georges Stalaven -qui avait anticipé le mouvement-, Michel Caugant et bien d'autres sont là pour en témoigner.
Parlons-en, des 35 heures. Sous le miroir aux alouettes de la "loi-cadre", les négociations branche par branche pointent le nez, et tandis que l'imbécile regarde indifféremment la lune ou le doigt qui la montre, il se retrouve en chemise, pour ne pas dire "dans le simple appareil" de l'alpha, du beta, du lambda que la société en marche a décidé qu'il serait. Les esclaves sont devenus des assistés, ce qui constitue un aggravement de situation, parce qu 'ils n'ont même pas envie de se. révolter. Les pauvres deviennent plus pauvres, les Big Brother; deviennent plus puissants et, à ce train-là., "l'honnête homme du 21ème siècle" est menacé de ne jamais exister, sauf émergence d'une nouvelle monnaie dont les côtés pile et face seraient les mêmes et s'appelleraient miracle ou révolution, ceci en fonction des sensibilités.
Sur ce, haut les coeurs, nous ferons de 1998 un excellent millésime responsable et déterminé,en mettant à profit tous les loisirs que les 35 heures nous laisseront, pour y travailler.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 313/314 des 23 et 30.01.98
FLUX MIGRATOIRES
■ Un chef d'entreprise, dont je n'ai pas noté les coordonnées, évoquait, au micro de "Rue des Entrepreneurs ", sa difficulté à faire vivre (ou revivre) un coin de région en cours de désertification, en dépit de la possession d'un outil de travail performant et compétitif d'une expérience assurée dans le secteur du décolletage des métaux, et d'un marché demandeur. Alors, pourquoi ? Par manque de main-d'oeuvre spécialisée... dans un pays où l'on semble vouloir plutôt se spécialiser dans le chômage de longue durée.
On peut recenser des cas analogues sur tout l'Hexagone. Nous regorgeons de richesses naturelles, nous souffrons d'un excédent d'idées, et nous laissons mourir les savoir-faire qui permettraient de les concrétiser, comme si c'était une maladie honteuse d'avoir des mains au bout des bras et surtout de vouloir les utiliser pour travailler.
Parallèlement, nous nous enfermons frileusement dans des notions d'identité régionale ou nationale mal comprises et sclérosantes. Demandez donc à Charles Perraud si le soixante-huitard parisien qu'il était, a été accueilli à bras ouverts quand il s'est investi dans la réhabilitation du métier de paludier et dans la valorisation du sel de Guérande dont l'exploitation était alors menacée de cesser. Cet "émigré de l'intérieur" avait l'audace de croire dans l'avenir d'une activité délaissée... par ses légitimes héritiers régionaux. Ce n'est pas parce qu'on néglige de faire fructifier son "héritage" qu'on est enclin à voir un autre s'y consacrer.
Soyons cohérents. Nous devrions anticiper sur notre devenir dans l'Europe et dans la globalisation des marchés, même en tout égoïsme. Comme ne cesse de le démontrer L'économiste Christian Saint-Etienne, nous sommes entrés dans une période de hiérarchisation des économies, donc des nations, qui va, dans les dix années à venir, se transformer en guerre pour la localisation de la valeur ajoutée. A moins d'être suicidaires, nous devons faire venir en France cette valeur ajoutée, donc devenir un pays fiscalement et socialement accueillant. Sommes-nous sur la bonne pente ? On peut se le demander à voir se heurter nos politiques à l'égard de la famille, de l'éducation, de l'émigration, et de la fiscalisation du travail et de l'initiative. Pour bien faire, nous devrions être 80 millions d'habitants en France, dans un quart de siècle, autant dire demain, affectés à l'occupation active de tout notre territoire. Aujourd'hui, nous sommes un pays vieillissant qui n'encourage pas la famille, c'est le moins qu'on puisse en dire. Quant aux enfants que nous mettons au monde, nous les poussons à des études supérieures, mais nous n'avons pas l'emploi des cerveaux ainsi formés, aussi s'exportent-ils, pour les plus entreprenants ou deviennent-ils des sous-employés aigris en demeurant sur place. Quant à gérer des flux migratoires intelligemment, afin de pallier les manques de savoir-faire dont nous souffrons d'une façon croissante, avez-vous besoin d'un commentaire sur le sujet ? Quant à la fiscalisation relative au travail, cela mérite commentaire auquel un édito ne saurait suffire.
Nous ne nous apesantirons pas, concernant les flux migratoires, sur le sujet, devenu tarte à la crème, des talents venus d'ailleurs qui ont fait, font et feront encore partie du "rayonnement de la France " à travers les siècles. Assez disserté sur le passé, aussi prestigieux soit-il. Pour le futur, c'est une autre affaire. Parmi les pays non concernés aujourd'hui par le "développement", certains sont condamnés à ne jamais pouvoir y accéder. En revanche, ils savent qu'il existe, sur la planète, en allant vers l'Ouest et le Nord, des pays nantis où l'on gaspille l'énergie, les nourritures du corps et de l'esprit, où l'on crache vers les étoiles et où l'on pollue l'air du temps. Quand ces nouveaux "barbares" sauront user de leur colère et de leur désespoir, nous n'aurons certainement plus le loisir de nous interroger sur la façon de gérer nos "flux migratoires".
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 316 du 13.02.98
MAIS QU 'ALLONS-NOUS FAIRE DE TOUS CES LOISIRS?
■ Nous ne savons plus trop où nous en sommes, au douloureux sortir d'une "civilisation du travail" qui n'a pas de travail à proposer, dans la perspective d'une "civilisation des loisirs" annoncée depuis plusieurs décennies, mais qui n 'ose plus dire son nom, compte tenu du profil peu engageant qu'elle présente.
Nous savions, depuis un temps suffisant pour négocier le virage, que le travail, c'était fini.
Mais, tout étant ramené à des notions de conjoncture économique internationale et à des calendriers politiques qui placent l'électoralisme en tête des préoccupations de nos candidats de tous bords à toutes les élections, qui, je vous le demande un peu, aurait pu s'aventurer dans une vision et des actions à long terme, inévitablement assorties de "mesures" impopulaires, pour faire du passage à une autre forme de civilisation un accouchement sans douleur ?
Nous allons donc être précipités, bon gré mal gré, dans le "loisir", avec ou sans la civilisation qui devrait aller avec. C'est que la civilisation est une notion complexe qui contient un facteur temps, et que le temps est bien ce qui nous manque le plus pour nous préparer, paradoxalement, à en avoir trop et à ne pas savoir à quoi l'utiliser. Le plus à craindre, c'est de voir émerger une non-civilisation des loisirs. Déjà, les loisirs sont traités en terme de marchés, avec leur segmentation et leurs parts respectives. Les produits de loisirs sont nés avant le besoin. Ils ont leur prix, en monnaie et leur prix en initiation. Il y a des produits de loisirs pour parfaits imbéciles et des produits de loisirs pour amateurs diversement connaisseurs, il y a des valeurs en hausse et des valeurs en baisse. Au chapitre des tendances lourdes, culture et "vacances" confondues, Gérard Mermet note la montée d'un besoin de pratiquer les arts ou les sports autant que d'en être les spectateurs et la progression des dépenses consacrées aux loisirs par les "ménages" comme la plus forte après celles de santé. A rapprocher, la montée du bricolage et du jardinage... mais on commence à rejoindre la notion de travail, et certains esprits mal tournés pourraient y voir des apparentements avec le travail au noir, quelle horreur !
Même dans le loisir, l'homme est ainsi fait qu'il ne peut pas s'empêcher de travailler. Pourra-t-il séparer ce travail de la notion d'une juste rémunération à laquelle l'ont habitué des siècles de "civilisation du travail"? En voilà une question saugrenue. Ni plus ni moins saugrenue que celle relative aux exclus des loisirs, car, si l'on veut s'en remettre aux définitions classiques, ils n'existent qu'en opposition à la notion d'un travail dont ils seraient le délassement. Les chômeurs ont-ils des loisirs ? En a-t-on quand on appartient à la population d'un pays ou d'une région sous-développés ? Peut-on considérer comme un loisir le fait d'incendier une voiture pour mettre de la lumière et de l'animation dans le quartier ?
La pratique des musiques contestataires est-elle une occupation ludique ou le début d'une prise de conscience politique amenée à déboucher sur une action, et le cas échéant, quelle action ? D'une façon plus exhaustive, peut-on concilier la logique d'économie marchande dans laquelle nous sommes immergés avec une conception des loisirs élevés au rang de civilisation ? Va-t-il falloir reconsidérer la notion même de civilisation?
Je ne sais pas comment vous la voyez, cette civilisation des loisirs, ni si vous avez des projets personnels ou collectifs à y faire entrer, mais, si c 'est le cas, ne manquez pas de nous faire part de vos réflexions, car en ce qui nous concerne, nous ne la voyons pas s'annoncer sous les augures d'un âge d'or où le Jardin des Délices serait notre lot quotidien. Mais peut-être sommes-nous mal lunés...
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 317/318 des 20 et 27.02.98
SOYONS COHERENTS
■ Dans ce monde où la production et la distribution sont supposées aller main dans la main, unies dans un objectif de transparence, de traçabilité, d'échange et d'interactivité avec un consommateur objet de toutes les attentions, on pourrait imaginer que la cohérence, non seulement à toutes les étapes qui mènent de la matière première au produit, du produit à la distribution, de la distribution au consommateur, mais encore, voire avant tout, dans le choix des personnes et personnels affectés à la conception, à la production, à la distribution, à la communication du produit, soit la première des préoccupations des entreprises et de leurs "chefs".
La fréquentation quotidienne du terrain nous donne un autre sentiment. Si les personnels que nous rencontrons sont souvent mieux formés à leur fonction, dans le tandem production- distribution, il demeure des différences, voire des abîmes, d'une entreprise à l'autre, d'un magasin à l'autre, d'un type de fonction à l'autre, et ce, à tous les niveaux de responsabilité. Le syndrome "BAC +" et "Sortant de Grandes Ecoles" y est pour quelque chose (à titre personnel, je n'ai pas le complexe "BAC +", n'ayant jamais fait allusion à mes diplômes, en quelque endroit que je me sois présentée, persuadée que je suis d'avoir appris et d'apprendre encore, de la vie et dans la vie, les études m'ayant surtout apporté une méthode de travail). Le syndrome BAC +, donc, sévit un peu partout. Le marketing fou frappe toujours (et coûte cher), la communication folle sévit encore (et coûte parfois plus cher encore), la façon de présenter et de vendre souffre encore du fait qu'on n'ait pas mis "la" bonne personne à "la" bonne place et que rien n'ait été conçu pour qu'une information, une instruction, une formation spécifique à l'entreprise précède et accompagne une formation permanente trop générale, trop virtuelle, trop standardisée.
On vous ferait sourire si l'on vous conseillait de faire faire la promotion du saucisson par le grand rabbin de Paris, celle des spiritueux par l'imam de la grande mosquée ou celle du préservatif par le pape. Souriez si vous voulez, mais expliquez-nous pourquoi les opérateurs commerciaux du marché de la protection féminine sont presque tous des hommes, pourquoi, dans telle ou telle agence de relations publiques en charge de produits alimentaires on ne sait pas si l'on opère sur le marché du frais ou sur celui de l'épicerie, pourquoi tel crémier vous soutient que le Saint-Marcellin est un fromage de chèvre ou encore pourquoi tel chef de produit ne s'est pas aperçu que le contenant de son produit alimentaire frais ne "tenait" ni dans un réfrigérateur normal, ni dans la place linéaire habituellement dévolue à ce type de produit.
Tiens, prêchons pour notre paroisse : pourquoi certains attachés de presse, qui nous appellent pour savoir quel sort nous avons réservé à leurs informations, nous demandent-ils dans quel journal nous travaillons, pour quelle rubrique, et exigent-ils l'envoi de "justificatif de nos écrits, car ils n'ont "pas le temps de lire la presse "?
Les exemples sont légion, et je ne parlerai pas de l'absence de mémoire d'entreprise qui peut aboutir à des contresens regrettables. On se demande trop souvent à quoi jouent les gens en charge d'une responsabilité, aussi futile semble-t-elle.
Pour être cohérent, peut-être faut-il commencer par le commencement : savoir où l'on se situe, s'interroger sur la pertinence de son action et ne mépriser ni ses interlocuteurs "en amont", ni ses interlocuteurs "en aval"... et peut-être retrouver la notion de métier ? Mais c'est peut-être beaucoup demander, dans un monde où la réglementation a pris le pas sur la législation, où la notion de droit n'est pas accompagnée de celle de devoir, où celle de travail a fait place à celle d'emploi, où l'homme fait figure de créature obsolète face à la machine.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 319/320 des 06 et 13.03.98
AU NOM DE L'ECONOMIE… DE MARCHE
■ Parmi les "exceptions" dont la France n'a pas à se vanter, il y a sa façon de concevoir l'économie de marché. Tandis qu'on prêche la bonne parole aux entreprises et qu'on jette des miettes aux particuliers, des aides de diverses provenances, dont CEE, comme une manne occasionnelle plutôt que comme un ferment de croissance, on vide les entreprises de leur substance et l'on pousse les Français à un scepticisme désabusé qui, malheureusement, n'est pas sans fondement.
Il suffît de jeter un coup d'oeil sur les éditoriaux des journaux d'entreprises ou des fédérations professionnelles pour être édifié. Jean-François Hervieu, Président de l'APCA (Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture), tire un signal d'alarme, dans "L'Opinion agricole", à propos de l'avant-projet de loi d'orientation agricole qui "n'associe pas deux dimensions indissociables du rôle de l'agriculture, sa relation avec la société et sa relation avec le marché" ; Jean Stalaven, dans "Le Journal" du Groupe Stalaven, consacre une réflexion interrogative aux effets pervers de la fiscalité sur les entreprises et constate : "parmi les 7 nations du G7, la France est le seul pays qui feint d'ignorer les capacités de levier des Moyennes Entreprises Patrimoniales dans le développement économique". Il cite, parmi les entreprises victimes des droits de succession, de l'ISF sur l'outil de travail, de l'IRPP et des plus-values sur la succession d'actions non-cotées, quelques unes des entreprises qui nous sont familières et ont été amenées à se vendre à l'étranger depuis 90 : Aoste, Biscuiteries Saint-Michel, Saunier-Duval, Chajfoteaux & Maury, Majorette, UPSA, Alain Afflelou...
Que nous laissions les dégraissages et restructurations consécutives à ces rachats aggraver le chômage, que nous laissions les "cerveaux" prendre le large pour pouvoir cogiter utilement ailleurs, que nous soyons incapables de lier les territoires au développement de l'économie, n'est-ce pas faire la démonstration de notre incapacité à décrypter le futur ? De quelle façon comptons-nous réduire notre décalage avec le reste du monde développé ? Notre vision de l'avenir est-elle définitivement réduite à celle d'une économie de marché à court terme ?
Comment comptons-nous, non seulement recréer la confiance, mais surtout donner à l'énergie créatrice un fondement et un enthousiasme ?
Ce ne sont ni les idées, ni les projets, ni les moyens qui manquent, en France : c 'est plutôt une vision élargie et partagée de ce qui pourrait être, si nous n'étions pas écrasés par les inerties et les élucubrations technocratiques de ceux qui prennent des mesures économiques, sociales et politiques dans un monde virtuel où nous ne comptons que pour un signe + ou -... ou pour rien du tout, si nous sommes au-dessous de l'une des barres de codification qui nous tiennent lieu d'instrument de mesure, au mépris de toute philosophie, morale et autres valeurs "du passé".
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 321 du 20.03.98
PAUVRE OU MISERABLE?
■ Prendre des mesures d'urgence, en cas de crise, cela s'impose.
Pauvreté et dénuement, exclusion si Von préfère, comme toute nécessité, font loi.
Que l'on discute ensuite sur le sexe des anges, que l'on manie arguments et arguties en faveur ou à l'encontre de l'action de Martine Aubry, là n'est pas le fond du débat. Ce qui est en question, et nous au coeur de la question, ce n'est pas la pauvreté. Fondamentalement, c'est la misère.
Victor Hugo est à la mode. Doit-on s'en réjouir ? Sous le manteau de Quasimodo et derrière Notre-Dame de Paris "revisités" Disney ou autres, il y avait un message auquel nul ne fait allusion. Plus clair, puisqu'énoncé dans le titre de l'oeuvre, le message était un cri d'alarme dans Les Misérables. Quelle différence entre pauvreté et misère ? Si nous nous posons la question, c'est que nous sommes encore plus atteints que nous ne l'imaginons. Il ne s'agit pas d'une escalade dans les degrés de pauvreté, il s'agit de perte de dignité, de conditions d'impuissance à accéder aux armes contre l'exclusion.
Qui lit encore Victor Hugo, hors obligation scolaire et bachotages divers ? Ranimez vos souvenirs : "la dégradation de l'homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l'atrophie de l'enfant par la nuit"... cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Certes, le prolétariat n'est plus ce qu'il était, et ce n'est plus au service des mêmes entités que les "producteurs indépendants " sont amenés à apporter leurs forces de production, ce n 'est plus exactement la même faim qui rend enragées les femmes (quoi que) et la nuit de l'ignorance ne semble plus aussi ténébreuse, sillonnée qu'elle est par les "chemins de la communication".
Mais si l'on y regarde de près, est-ce que le nouveau prolétariat n 'est pas, des cols bleus aux cols blancs, amené à la même allégeance à quelque World Company, quel qu'en soit le secteur d'intervention ? Est-ce que les femmes du monde entier n'ont pas, dans leur immense majorité (cessons de nous regarder le nombril et tournons-nous vers l'Inde, la Chine, l'Afrique ou l'Afghanistan, par exemple), faim "tout court" et faim d'exister à part entière ? Est-ce que les enfants -même dans notre propre quartier- ne sont pas tenus dans l'ignorance de ce qui pourrait les aider à trouver le Nord sur leur boussole, et ne sommes-nous pas conscients de la gravité de l'illétrisme ou de l'analphabétisme autour de nous ?
Digression, d'accord, mais pas gratuite.
La pauvreté, c'est, en quelque sorte, une manifestation aiguë de la misère. Poser des pansements sur la pauvreté, d'accord. Mais pour lutter contre la misère, c'est une affaire de changement de mentalités. Ce n'est pas l'affaire "des autres", ni du gouvernement, c'est notre affaire. Il s'agit, pour notre survie planétaire, de donner à chacun les connaissances et les moyens pour "se développer et devenir adulte", en quelque endroit de la planète qu'il se trouve. Ici, je ne peux m'empêcher de faire un clin d'oeil aux entreprises bretonnes et à Jean Stalaven qui participent à "Armor Développement Sahel", non comme à une oeuvre de. "charité", mais comme à une oeuvre d'humanisme.
La balle est dans votre camp : que faites-vous pour sortir de "la" misère ceux qui s'y trouvent déjà ou ceux qui risquent d'y plonger, dans moins d'une génération.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 322 du 27.03.98
TRANSGENIE
CONTE-EXPRESS, À L'INTENTION DE CEUX QUI POURRAIENT CROIRE QU'ON INGERE IMPUNÉMENT N'IMPORTE QUOI.
■ Il savait maintenant pourquoi il avait décroché, depuis un an. Une année sabbatique comme on dit... Au bout du monde, dans les Cévennes, là où les voisins peuvent faire tout le tapage qu'ils veulent, le plus proche étant à plus de quatre kilomètres, il avait repris contact avec le monde réel. Pas de systèmes de communication sophistiqués, seulement des contacts directs. Il avait réappris à faire fonctionner son intuition, ses sens, et à se servir de son habileté manuelle pour fabriquer des objets inutiles et nécessaires avec lesquels il gagnait sa vie, dans un système d'échange qui lui convenait parfaitement. Si Elle s'était laissé convaincre de le suivre... Mais, après une dizaine d'années de "vie commune", Elle, devenue un peu intangible, comme le reste du monde citadin dans lequel il avait été immergé, n'avait pas envisagé de renoncer à la fuite en avant de l'engrenage professionnel qu'elle appelait sa carrière. Carrière à laquelle elle semblait avoir tout assujetti, y compris la "programmation d'un enfant". La distance entre eux... au point qu'il avait peine à croire qu'avait existé une connivence, une légèreté, et qu'elle avait pu l'aimer pour sa liberté et sa fantaisie qu'elle avait fini par considérer comme de l'anarchie et de l'irresponsabilité, en dépit du fait qu'il "assumait", financièrement, professionnellement et affectivement...
Fidèle à sa promesse, il était revenu à son point de départ, un an jour pour jour après la grande cassure. Tout lui semblait décalé, dans ce qui avait été son univers quotidien. Elle l'avait accueilli, sans plus, lui demandant de bien vouloir attendre la fin d'une émission interactive qui la rivait à son petit écran. Elle lui proposait de partager un vague plat cuisiné, à base de grosse dinde reconstituée et de protéines de soja génétiquement modifié.
Il se sentait aussi à l'aise que King Kong dans sa cage. Son sac de voyage faisait tache au royaume de l'atmosphère aseptisée. Il fit quelques pas dans ce qui avait été "leur" chambre.
Le lit lui parut ridicule. Il aperçut, comme dans un film, les somnifères placés à portée de main, signe d'un usage régulier...
Quand il revint dans la salle de séjour où Elle était enfin disponible, il savait que ce serait beaucoup plus facile qu'il ne l'avait envisagé de lui faire part de sa décision de ne pas revenir. Dans son regard, il ne retrouvait pas trace de l'étincelle qui l'aurait fait changer d'avis, elle avait bien l'apparence de celle avec laquelle il avait désiré tout vivre et tout partager, mais c'était comme une coquille vide. La vérité lui apparut, tranchante et irrémédiable : elle était TRANSGENIQUE et VIRTUELLE.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 323/324 des 03 et 10.04.98
PROXIMITE
■ Basses considérations pratiques et matérielles en tête, l'impulsion est donnée, la proximité est devenue un axe stratégique de développement, une politique, une philosophie, une nécessité.
Même nés sous le signe de mutations globalisantes, standardisantes, mondialisantes, voire galaxisantes, si je peux me permettre ce néologisme barbare, les humains n 'y peuvent rien, ce sont des êtres finis, dans l'espace et dans le temps. Ils peuvent accélérer leur déplacement, rapprochant ainsi les "bouts du monde", ils peuvent se transporter virtuellement ici ou là (soit dit en passant, le pouvoir du rêve leur en donnait déjà une faculté plus large), ils peuvent repousser les limites de leur fin et gagner des années d'existence, ils n'ont malgré tout qu'une seule vie, dans un seul corps, en partage.
Et les voici en quête de proximité.
Redéploiement des commerces de proximité, de la communication de proximité, de la culture et des loisirs de proximité : en bref, ils ont besoin de toucher et d'être touchés, de percevoir et d'être perçus, directement, sans interposition abusive d'écrans protecteurs, de vivre dimensions humaines, tout simplement.
Comme on avait imprudemment annoncé la fin de l'alimentation traditionnelle, remplacée par l'alimentation en pilules, on a plus récemment annoncé la mort de la presse écrite, rayée de la carte par la presse diffusée "à distance", le nec plus ultra de la chose étant l'information virtuelle. On s'est trompé, dans les deux cas. Même à New York, qu'on ne peut pas soupçonner de sous-développement en terme de multimédia, on constate (et l'on chiffre) un regain d'activité des kiosques à journaux, parallèle à la montée en puissance d'Internet, et, partout où ils remplissent leur mission, les canaux régionaux et locaux de radio ou TV, la presse écrite régionale ou locale, rencontrent leurs auditeurs, leurs téléspectateurs, leurs lecteurs.
Cette re-création de la proximité va de pair avec une résurgence des petites structures de production, en dépit des difficultés qu'elles peuvent rencontrer... qu'il serait fastidieux d'énumérer… Les géants doivent s'organiser en réseaux ou mourir de leur jacobinisme tandis que les petits doivent s'ancrer dans leur spécificité et rester près du terrain ou disparaître pour n'avoir pas su entretenir un rapport concret avec leur client final, lecteur... ou électeur. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ?
Soyons optimistes, donc. La proximité est en marche, irrépressiblement, et la revanche de l'imagination sur le conformisme ne saurait nous réserver que de bonnes surprises.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 325 du 17.04.98
MODE D'EMPLOI
■ Faut-il vous l'envelopper ? Faut-il vous l'aplatir ? Faut-il vous le prémâcher, vous le débiter en tranches, vous l'emballer, vous l'astiquer, vous le repeindre en rouge, vous le rembourser, vous l'agrandir, vous l'échanger ?
La notion de service commence à nous donner sérieusement le tournis, surtout quand elle est mal comprise ou utilisée à mauvais escient. Plutôt que de se livrer à des torsions et des contorsions pour submerger le consommateur de services qu'il n'a pas demandés, si l'on commençait par lui rendre ceux dont il a besoin ? Tiens, au hasard, si nous parlions "mode d'emploi" ? Le mode d'emploi, vous voyez ce que je veux dire, c'est ce truc illisible et d'un accès généralement dissuasif qui, si l'on est tenace et muni d'une loupe, se révèle, à la lecture, parfaitement incompréhensible. Et plus le produit est sophistiqué, plus le mode d'emploi relève d'un jargon d'initiés dont le commun des mortels ne fait pas partie. Oserai-je évoquer les affres de la mise en service d'un ordinateur, par exemple ? La dernière découverte en date -au moins en ce qui me concerne- est celle d'un "Guide" du "Mode d'emploi", délivré avec ce dernier. Après le guide du guide, l'avertissement à l'utilisateur, le lexique des mots barbares, le lexique du lexique, le résumé du résumé, l'épilogue des épilogues, avec un tour ou deux par le service après-vente où l'on vous prend pour un parfait imbécile et d'où l'on sort aussi peu apte à utiliser l'indomptable "portable", le "télécopieur fou" ou "l'imprimante rebelle", on se prend à rêver d'une plume d'oie, d'un courrier à cheval traversant l'Europe pour porter vos messages, et l'on fantasme sur un passé improbable qui devait, lui aussi, comporter plus d'épines que de roses.
Pour en revenir au mode d'emploi... nous sommes, paraît-il, dans la civilisation de l'image, depuis déjà plus d'une décennie. Cela reste à démontrer. Puisque l'image est un langage courant et universel, est-ce qu'on ne pourrait pas nous mettre les modes d'emploi en images plus souvent ? Que l'on ne vienne pas me faire des remontrances au nom de la sacro-sainte écriture : quand on lit ce qu'on lit et dans quel charabia nos contemporains s'expriment, les notices, notules, livrets d'accompagnement et... le fameux mode d'emploi des biens de consommation qui nous environnent, auraient tout à gagner à ne pas exister, ou plus exactement, c'est nous qui y gagnerions. S'il vous plaît, épargnez-nous les technojargons, donnez-nous des images, comme aux enfants, et peut-être nous rendrez-vous service en nous confiant des clés qui ouvrent les serrures, en nous indiquant la bonne manoeuvre, le geste juste. Montrez-nous comment ça marche, au lieu de nous embrouiller les idées, et nous ferons le reste, tout contents d'avoir acquis un savoir-faire utile, heureux de nous sentir un peu intelligents, une fois n'est pas coutume.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 326 du 24.04.98
UNE SACREE MISE AU POINT SIGNEE PAUL FABRA
■ Ephémères, nos écrits journalistiques le sont, et ce, en dépit de l'intérêt de certains lecteurs qui n 'hésitent pas à découper, à collectionner, en se promettant de relire. Mais cette tâche monastique est mal payée en retour. Le papier jaunit, les caractères s'effacent, on a "manqué" une parution, et la patiente construction de chroniques qui s'étalent sur plusieurs années, quand ce n'est pas sur plusieurs décennies, s'envole comme les paroles, peut-être simplement pour démentir le proverbe qui prétend que les écrits restent.
Grâce à la maison d'édition Economica, les chroniques consacrées par Paul Fabra au chômage et au sous-emploi depuis plus de douze ans, d'abord dans Le Monde, puis, chaque vendredi, dans Les Echos, ne connaîtront pas ce triste destin. Recueillies sous le titre "Le diable et le chômage", elles sont accessibles dans leur globalité, et, tout ce qui se cache derrière les mots "sous-emploi" et "chômage" est mis à jour, analysé, décrypté, toutes racines du mal disséquées. Paul Fabra, qui se définit comme libéral, présente lui-même son analyse sans complaisance comme "rompant avec les poncifs officiels ou non, et susceptible de renouveler de fond en comble le débat".
L'ouvrage est découpé en deux "livres", le premier traite de la gestion de notre économie, de la dette publique et de l'effondrement de notre culture bancaire et financière, des mesures prises pour "en sortir", le second dénonce la "fausse fatalité du sous-emploi permanent", stigmatise tous les alibis qui nous sont familiers : mondialisation, nouvelles technologies, salaire minimum et salaires trop élevés, et tire à boulets rouges sur les 35 heures, les sacrifices sur l'autel de la productivité, les emplois subventionnés, et quelques autres sujets dont la pensée unique et la langue de bois nous ont détournés d'une approche raisonnable.
On peut lire dans l'ordre, mais on peut aussi lire dans le désordre et se faire son propre, découpage : chaque chronique est précédée d'un chapeau qui lui tient lieu d'introduction.
Pour les chapitres qui vous tiennent à coeur, laissez-vous guider par les titres, au hasard, nous avons bien aimé "la politique de l'emploi fondée sur un contresens", "les 35 heures plus l'euro, c'est beaucoup pour les PME" ou encore " Faire confiance aux Français et non pas solliciter la leur "... Tout cela, pour exciter votre curiosité, et vous conforter dans le sentiment que vous n 'êtes pas tout seul à penser "autrement".
Bonne lecture, donc, si vous parvenez à mettre la main sur un ouvrage parcimonieusement diffusé, si j'ai bien saisi le message. Sans vouloir lui faire de publicité, la FNAC est sans doute le bon endroit où le trouver.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 327 du 07.05.98
OVERDOSE DE PRODUITS DERIVES
■ Gonfler des ballons,
Souffler dans des trompettes ou des mirlitons,
Agiter des calicots porteurs d'inscriptions stupides,
Porter des cocardes, des badges, des coiffures, des vêtements dont la laideur le dispute à la vulgarité,
Collectionner une panoplie de faux-objets-culte, fabriqués en grandes séries dans des matériaux de mauvaise qualité, et qui, pour la plupart sont une insulte à la vue (je ne parle pas de bon goût),
A contrario, se procurer des cassettes vidéo parasites, à seule fin de gâcher la sacro-sainte retransmission des matches de la Coupe du Monde de Football, (ici, vous pouvez ajouter à la liste tout ce qui vous horripile, vous exaspère, vous déprime, voire vous révolte), je vous le demande, est-ce bien raisonnable ?
La pléthore d'objets dérivés "de la Coupe du Monde", l'utilisation mercantile de celle-ci, nous ferait prendre en haine un événement qui, au plus, devrait nous laisser indifférents si nous ne sommes pas amateurs de ballon rond professionnel. Malheureusement, le foot n 'est pas le seul catalyseur de l'imagination (sic) des marchands. Malheureusement aussi, les opérations promotionnelles dans lesquelles s'impliquent fabricants et distributeurs ne s'appuient pas toujours sur des primes tant soit peu valorisantes, et tout le monde a tendance à se précipiter sur les mêmes sujets, avec des variantes parfois discutables.
Il est évidemment plus facile de viser au ras des pâquerettes que de se triturer les méninges pour inciter ses contemporains à s'amuser, se distraire, s'intéresser, se passionner, voire se mobiliser... dans des registres moins populaciers.
Une fois encore, par la périphérie de la Coupe du Monde, nous sommes amenés à constater avec quel mépris le "public" est considéré et se considère lui-même. Comment en sommes-nous arrivés là, c'est une question à laquelle on peut trouver toutes sortes de bonnes réponses. En revanche, il est plus hasardeux d'avancer des réponses sur la façon d'en sortir.
Cependant, à quelque chose malheur est bon. Pendant que les anti et les pro, les pour et les contre, les fanas et les mous, les résignés et les récalcitrants se chercheront des poux dans la tête, se feront des coups bas et feront résonner leurs crécelles et leurs tambours de guerre, ceux qui ne se sentent pas concernés et ne souhaitent pas prendre parti dans un débat qui leur est étranger, auront le loisir de s'adonner à d'autres activités, voire de rester inactifs, loin des stades et des téléviseurs. Découvrir ou redécouvrir les plaisirs qui nous sont propres, en voilà l'occasion rêvée. Pour ma part, je compte sacrifier à la paresse et à la flânerie, en allant voir s'il reste de l'air dans l'air, et s'il reste de l'eau dans l'eau, comme dit le poète québécois Gilles Vigneault.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 328 du 15.05.98
CULTURE POPULAIRE
■ Vrai de vrai, la culture populaire ça marche, et cela ne fait que commencer. Il serait peut-être plus juste de dire : la culture populaire se remet en marche.
Quand on a compris ça, on est sur une bonne voie. Attention, pas question défaire semblant, de jouer au marketing bachoteur ou à l'animation approximative, surfeuse de tendances, qui grappille ici ou là un canotier, un biniou, une cigogne, Guignol ou un galoubet. La culture populaire est un sujet trop sérieux pour être bien saisi par les handicapés de la mémoire ou du sens de l'atmosphère que sont les jeunes loups du prêt-à-vendre ou du prêt-à-animer.
La culture populaire ça va, ça vient, ça s'oublie pour se retrouver dans les moments où le désir se fait urgence, de se sentir au chaud dans une famille. "Moi j'aime bien les gens qui sont de quelque part, et qui ont dans le cœur une ville ou un village où ils pourraient se reconnaître dans le noir", écrivait Jacques Debronckart, chanteur des années 60 prématurément disparu. Dans cette diaspora des lieux où l'on aime à se reconnaître, renaissent et se réhabilitent, aujourd'hui, les Guinguettes et leur culture. Elles ont leur vocabulaire, leur littérature, leur iconographie, leur cinéma, leur musique et leurs figures emblématiques, et aussi leur cuisine, leurs vins, leur décor, en un mot elles sont un art de vivre. La nostalgie y côtoie la nouveauté, tout le monde peut s'y sentir à l'aise et le mélange s'y fait, de gens qui n'avaient pas de raisons de se rencontrer, compte tenu de la construction ségrégative de nos travaux, de nos loisirs, de nos lieux de vie.
Depuis la remontée des gabares nantaises, en 97, le Muscadet inscrit avec succès son renouveau dans la renaissance des guinguettes, Catherine Vialard leur consacre, pour les Editions Hachette, un livre "d'Histoire", de recettes, qui propose également une route découverte des guinguettes de toutes régions, des groupes de musiciens "nouvelle génération" s'expriment dans ces lieux charmeurs des bords de Marne, de Seine, de Loire et d'ailleurs, auxquels un passionné, Francis Bauby, a rendu leurs lettres de noblesse, en créant "Culture Guinguette", et si Pierre Cardin vient de lancer une guinguette en plein cœur de Paris, ce n 'est sûrement pas par hasard.
En cette époque de rêve où règne l'amalgame, où tout est considéré comme produit, du "produit financier" au "produit culturel", où le veau est un "sous-produit" du lait, c'est réconfortant de redécouvrir une culture à notre portée qui dépasse, précisément, la notion de produit et qui n'est pas née dans un bureau d'études, toute parée de ses axes de lobbying, pourvue de tous ses outils de commercialisation, de sa panoplie de produits dérivés, de sa cible et de son cœur de cible, dotée de ses plans de communication, de rentabilisation et j'en passe.
Laissons-nous donc porter par le courant des guinguettes, sans arrière-pensée, et, pour ceux qui sont en permanence à l'affût des tendances, pour en faire (souhaitons-le) bon usage, qu'ils s'interrogent sur le sens de la "tendance guinguette". Elle est fédératrice, promet de durer. Peut-être pourrions-nous envisager, dans la conjoncture actuelle, de réunir dans une guinguette eurosceptiques, europhobes, europhiles et euro-militants, pour les mettre d'accord ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 329/330 des 22 et 29.05.98
A QUI LE TROPHEE DU FOUTAGE DE GUEULE?
■ Les Français, au nombre de leurs travers, comptent un masochisme dont l'origine est assez obscure, qui leur fait prendre un goût pervers au foulage de gueule, quand ils enfant les frais. Pourquoi ceux qui pratiquent ce sport, toutes disciplines confondues, se gêneraient- ils pour aller trop loin, puisque, apparemment, il n'y a pas de limites dans cet exercice ?
Si nous décidions d'instaurer un trophée annuel du foutage de gueule, qui serait décerné au terme d'un vote au suffrage universel, il y a fort à parier que le taux d'abstention serait faible et que nous tirerions de la lecture des résultats au moins le bénéfice de la jubilation sarcastique.
Faute d'une telle organisation, procédons, chacun pour soi, ou entre amis, à un petit référendum, ça peut devenir un jeu de société qui aurait le mérite de nous faire échanger des points de vue et des idées, en quelque sorte, de recréer une forme de conversation. Pour notre part, après moult hésitations, nous désignerions bien le Crédit Lyonnais, champion toutes catégories d'un foutage de gueule dont tous les citoyens sont l'objet.
Corruption directe, corruption de l'environnement, corruption systémique, jusque là rien que de très banal, de nos jours. Affaires ouvertement malhonnêtes, immobilières en tête, rachat de banques notoirement compromises dans le blanchiment de l'argent, quand on sait que l'estimation des spécialistes situe autour de mille milliards de dollars l'argent sale en circulation, jusque-là, rien que de très ordinaire. Découpage de la banque en deux parties pour faire supporter à l'imbécile de contribuable que nous sommes le poids de l'addition et assainir ce qui peut être privatisé, ça commence à faire beaucoup, mais peu importe, aussi nombreux soyons-nous, nous ne faisons pas le poids face au pouvoir de la finance qui régit désormais nos destinées collectives et individuelles, au mépris de nos petites institutions obsolètes.
Et alors, direz-vous, en quoi le Crédit Lyonnais mérite-t-il un trophée ?
A notre avis, en ce que, non content de se foutre de notre gueule, il prend toutes les occasions, voire les suscite, de nous rappeler ce comportement insupportable et, mieux, de s'en faire une gloire et un territoire de communication.
Il y a quelques mois, le Crédit Lyonnais nous annonçait sérieusement que l'incendie dont a été victime son siège social n'était pas le fruit du hasard. Comme si nous étions naïfs au poin d'avoir avalé la première thèse qui posait la banque en jouet d'une fatalité perverse acharnée à sa perte.
Il y a quelques mois aussi, le Crédit Lyonnais se livrait à une campagne publicitaire qui déclenchait le fou-rire, en assurant au public "nous vous devons des comptes". Aujourd'hui, dans le cadre d'une vaste opération destinée à rassurer employés et clients, le Crédit Lyonnais vient d'entrer dans une autre forme de discours publicitaire, il affirme ce que tout le monde sait : nous payons tous, très cher, pour colmater son gouffre financier, ce qui garantit la pérennité de l'entreprise. Le spot que nous pouvons voir sur toutes chaînes de télévision, dû au talent indiscutable et corrosif d'Etienne Chatilliez, sera sans doute récompensé par l'un des multiples prix que les professionnels de la communication s'auto-décernent, mais ceci est une autre affaire. Pour nous, spectateurs et cochons de payants, c'est assurément le comble du foutage de gueule, et il faut plus qu'une bonne dose d'humour pour ne pas se sentir insulté par ce propos.
Voilà, dans les grandes lignes, les raisons pour lesquelles le Crédit Lyonnais nous semble le mieux placé pour recevoir le Grand Trophée Toutes Catégories du Foutage de Gueule 98.
Si vous avez d'autres suggestions, si vous êtes le champion d'un autre concurrent, faites-nous parvenir un dossier... nous ne manquerons pas d'en parler.
PS. Les 40 milliards de francs que la privatisation du Crédit Lyonnais doit rapporter à l'Etat seront-ils redistribués aux contribuables ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 331 des 05/12.06.98
SAVOIR QUI L'ON EST (ET DANS QUELLE COUR ON JOUE)
■ Parce qu'il est question, prioritairement et tous secteurs d'activité confondus, que de mondialisation, de concentration, de multinationales omnipotentes et de résultats boursiers, on finirait par complexer ceux qui, dans une autre dimension et animés d'ambitions d'un ordre différent, s'investissent dans des métiers qu'ils maîtrisent parfaitement et fonctionnent dans une logique artisanale. Rentabilité s'accorde avec éthique, et modernité n'est pas antinomique avec tradition, si l'on y regarde de près.
A titre d'exemple, si nous parlions du succès (qui ne va pas sans agacer certains) de la ligne de produits Reflets de France, lancée il y a deux ans par Promodès ? Tous les produits qui la composent, au nombre de 300 en 98, font partie de notre patrimoine régional agro-alimentaire, tous sont impérativement fabriqués par des PME, selon un cahier des charges rigoureux ; un contrôle permanent de la régularité de leurs qualités organoleptiques est opéré par Joël Robuchon, y compris par prélèvements surprise dans les points de vente, bref, on est loin de la standardisation qu'engendre le gigantisme. Et voilà que cela marche.
Parlons chiffres, si vous voulez ; de 500 millions de francs la première année, Reflets de France passera largement la barre des 750 en 98, le chiffre prévisionnel de 99 tourne autour de 900 millions. Au Japon où Promodès la présentait dans le cadre de l'exposition française de Tokyo, 2 millions de chiffre d'affaires ont été réalisés en 5 jours, par des produits émanant d'entreprises qui n'auraient certainement pas eu l'opportunité de s'exporter hors d'un concept fédérateur "vrai". Bref tout le monde est content, les consommateurs qui savent reconnaître l'authenticité et le goût, quoi qu'on en pense, les entreprises concernées, qui développent pour la plupart leur activité globale grâce à Reflets de France qui, rappelons-le, ne peut, au maximum, représenter que 30 % de celle-ci, et, bien entendu, Promodès, qui, mine de rien, devient l'un des ambassadeurs de la belle tradition agro-alimentaire des régions de France dans l'ensemble des pays européens et au-delà, jusqu'en Asie...
Quand on sait qui l'on est, dans quelle cour on joue et quand on joue le jeu, tous les espoirs sont permis. Concernant une spécificité française, la diversité, la richesse et la qualité de sa production agro-alimentaire, on ne peut que se réjouir de voir fonctionner un levier de sa pérennisation et de l'élargissement de sa notoriété.
Savoir qui l'on est et ce qu'on représente, cela ne va pas sans créer des obligations. C'est ce qu'on semble oublier, en revanche, aujourd'hui, dans un château bordelais de renommée mondiale. Qu'on nous permette de dire que, s'il y a au monde une région vinicole qui n 'a pas le droit de faire scandale, c'est bien le bordelais : quand on se proclame "la" référence universelle en matière de vin, quand on donne des leçons et quand on impose sa loi à l'ensemble du vignoble français, ça fait sérieusement désordre de ne pas balayer devant sa propre porte. Ajoutons à cela que si Bordeaux tousse, sur les marchés extérieurs c'est tout le vin français qui s'enrhume.
Dommage, cette bavure, Reflets de France nous avait mis de si bonne humeur.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 332 du 19.06.98
"FETES"…
Où l'on vous dit de faire..
■ On peut apprendre le caniveau aux chiens, mais on ne peut pas encore apprendre aux hommes à faire la fête où il faut, quand il faut, comme il faut, sur sujet imposé par le délire onéreux et sans fondement solide d'une poignée de créateurs "en cour", dont l'imagination discutable ferait loi. Qu'ils se considèrent comme une élite importe peu, encore faudrait-il le justifier. La "mayonnaise n'a pas pris" faute des bons ingrédients, c'est bienfait... pour nous, qui n'avions rien demandé à personne, certes, mais aussi pour les commanditaires de ces méfaits. Paris n'a trouvé que des inconvénients à la monstrueuse parade d'avant - Coupe du Monde. La foule attendue a boudé l'apothéose du sport universel conçue en petit comité et si TF1, avec la retransmission du non-événement, a battu des records d'audience, les méchantes langues ne manquent pas d'évoquer tout ce qu'on peut faire ou ne pas faire devant un poste de télévision allumé...
Cela dit, par bonheur pour les amateurs de football, de bains défoule et de liesse populaire, la Fête du Foot a bien eu lieu, réussie il faut que cela soit répété, à Saint-Denis, lors du coup d'envoi de la Coupe du Monde.
La veille, en revanche, pour revenir à notre propos, Paris, pris en otage par les machines géantes parties à l'assaut somnolent de ses "beaux quartiers", s'est payé, nous disons bien "payé", une tranche d'ennui prétentieux (agrémenté de quelques bavures), auprès de laquelle les grandes parades militaires des pays totalitaires à leur heure de gloire ressemblent au Carnaval de Rio. Oublions cet épisode fâcheux qui, espérons-le, ne fera pas date dans l'histoire de la capitale, sans toutefois négliger de souligner que, si l'on se prétend fédérateur et oecuménique, autant compter sur ses doigt jusqu'à cinq, pour évoquer les continents de notre planète (nous n 'avons dénombré que 4 géants, mais peut-être avons-nous manqué un épisode), d'autant plus que l'Océanie et le football ne sont pas antinomiques.
Bref, l'erreur n'aura coûté que 52 millions de francs, officiellement, ce qui n'est qu'une plaisanterie en comparaison du milliard de francs que les contribuables - de tout l'Hexagone cette fois-ci- vont devoir sortir de leur porte-monnaie pour payer la grève d'Air France, mais celle-ci, au moins, ne prétendait pas nous amuser.
Bon. Que peut-on tirer de positif de cette aberration à propos de la fête ? Au moins une leçon : le marketing de la fête, comme celui de tout autre "produit" ou "service", n'est pas une élucubration hypothétique aléatoire. La communication qui va avec, non plus. Alors, vigilance et bon sens sont de rigueur avant de confier les destinées de nos entreprises quelles qu'elles soient aux gourous du savoir-faire et du faire-savoir, aux visionnaires allumés, aux grandiloquents, aux péremptoires, aux coureurs de "gros budgets" qui ne pensent qu'à claquer la dot de la mariée dans des lits différents. Nous sommes tous le Bourgeois Gentilhomme d'arnaqueurs de tout poil, et la voix d'un Molière, aujourd'hui aurait bien du mal à se faire entendre pour nous mettre en garde contre tous les Maîtres à danser, à penser... à dépenser... à l'affût de nos faiblesses, de nos détresses, de nos espoirs ou de notre simple désir de ne pas être seul et de "participer ".
Au fait, je ne voudrais pas vous inquiéter, mais le passage à l'an 2 000 approche. A quelle variété de célébration prétendue festive allons-nous être confrontés ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 334 du 10.07.98
TIENS, C'EST L'ETE
■ A peine a-t-on eu le temps de s'en apercevoir, l'été est là. Le mot "vacances" flotte dans l'air. Courtes, fractionnées, éclair ou plus étalées, celles que nous prendrons ne manqueront pas de nous inciter à un certain ludisme. C'est le moment idéal pour lancer des mots et expressions inédits et des jeux de société qui dureront peut-être le temps d'un été ou qui s'installeront dans nos habitudes.
A propos, avez-vous entendu parler du cognito intellectuel ? Non ? Alors c'est le moment ou jamais de vous renseigner. Avant que vous n 'ayez fait le tour de la question, je vous propose un jeu d'été à pratiquer seul ou à plusieurs, le jeu du Parler Vrai/Parler Juste/Parler en connaissance de cause. Pour jouer, rien de plus simple. Vous allumez radio ou télévision, en choisissant une émission où l'on parle, du style chronique, magazine, débat, commentaire de l'actualité, tout est bon, pourvu que les intervenants qui s'y expriment aient l'intention de frapper l'opinion publique ou d'apprendre quelque chose à leur auditoire. Le jeu consiste à décrypter le discours et à traduire "ce qui est dit" en "ce que cela signifie". A titre d'exemple, prenez le discours de Clinton à Pékin et ses propos lénifiants sur les droits de l'homme et traduisez: qu'est-ce qu'il est venu vendre aux Chinois ? "Vous pouvez pousser le propos en estimant le chiffre d'affaires attendu et les secteurs d'activité visés. Facile, direz-vous? Oui, mais souvenez-vous qu'il s'agit d'un jeu et qu'il peut faire naître des réflexes utiles et développer un échange de points de vue avec ceux qui y participeront avec vous.
En ce qui concerne le "parler en connaissance de cause", encore plus simple, c'est comme le jeu des sept erreurs: Il suffit de relever les erreurs grossières dans le flot de paroles des animateurs de tout ordre (pas tous, heureusement, mais tout de même une forte majorité). On peut même établir un barème de points selon la gravité de l'erreur. Combien pour "Du Guesclin, un roi de France enterré à la Basilique de Saint-Denis" ?
Combien pour "Il n'y a qu'une variété d'asperges. Celles qui sont vertes, ce sont les mêmes que les autres, elles ont seulement poussé longtemps hors de terre " ?
Si vous voulez être sûr de terminer très vite une partie, faites entrer les fautes de grammaire, d'orthographe ou de conjugaison audibles, dans le jeu. Tiens, pourquoi entend-on prononcer un N dans dilemme ? Pourquoi entend-on deux L dans antédiluvien ? Pourquoi nous rabâche-t-on "Vous n 'êtes pas sans ignorer" au lieu de "Vous n'êtes pas sans savoir" ?
Soyez gentil, envoyez-nous votre moisson estivale, cela nous fera passer quelques bons moments à la rentrée.
A propos de vos envois, merci pour vos nombreuses suggestions relatives au Trophée du foulage de gueule, parmi les pressentis, vous avez mis en bonne place Air France et son attitude avant la Coupe du Monde, les idées récentes pour "pomper le contribuable ", telle celle d'harmoniser la fiscalité du gas-oil sur celle de l'essence, mais vous avez aussi témoigné votre assentiment sur le choix du Crédit Lyonnais.
Quittons-nous donc pour quelques semaines et promettons-nous de nous retrouver fin août toujours vigilants, toujours offensifs, civiques et de bonne humeur.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 335/336 des 28/08-04/09.98
DOPEE, NOTRE SOCIETE?
■ Outrageusement et scandaleusement médiatisé, le dopage du cyclisme a fait du Tour de France la victime expiatoire d'une société dont on ne dénoncera jamais assez souvent l'hypocrisie : la belle société du monde développé dont nous faisons partie.
Crevons l'abcès, au lieu de jouer les vierges effarouchées à l'idée que les " sportif s de haut niveau" pourraient ne pas correspondre à l'idéal du mens sana in corpore sano qu'ils son présumés incarner.
Le sport, comme l'ensemble de nos activités rentabilisées, sponsorisées, médiatisées, est devenu l'otage, consentant ou non, du seul dieu de notre monde qui se prétend clean est propre-sur-lui, l'Argent. D'où la fuite en avant effrénée qui n'épargne aucun d'entre nous. Il ne s'agit plus de s'améliorer, de se dépasser dans des limites humaines, il s'agit de tuer l'adversaire ou d'être tué. Ce n'est pas aux chefs d'entreprises que je vais apprendre quelque chose sur le sujet.
Et l'on voudrait que les records à battre, dont la barre se situe, toutes disciplines confondues, à des hauteurs de plus en plus vertigineuses, puissent être même simplement atteints "naturellement" ? Soyons honnêtes et sérieux, pour une fois. Avouons-nous que nous sommes dans une ère de jeux du cirque. Malheur aux vaincus et tous les coups sont permis. Qui d'entre vous n 'a jamais entendu la douce rumeur qui monte des stades, amphithéâtres et autres lieux de compétition ? "Tue-le" profèrent même de jeunes femmes qui sont sans doute saines d'esprit et pétries de douceur en d'autres circonstances, au moins peut-on l'imaginer. Tous hantés par la Starmania et encouragés dans cette voie, nous sommes individuellement dopés, dopables et dopeurs, à des titres et niveaux divers. Les candidats bacheliers évoquent leurs pilules pour la mémoire, contre le stress ou la fatigue avec naturel, voire avec fierté, les stars de tous les business, du show à la politique en passant par les affaires, ont tous leur porte-trousse médicale en coulisse, et Monsieur Tout-le-monde, pour être le héros de la nuit conjugale ou extra-conjugale se voue au Viagra, au Tigra ou à d'autres drogues illicites ou non.
Il ne s'agit plus défaire "machine-arrière". Trop tard. Il s'agirait plu tôt d'avancer dans une autre direction. Au début de l'été, notre Premier Ministre, encore sous le coup de l'émotion lyrique procurée par la Coupe du Monde, a lâché une petite phrase pas anodine : "Oui à l'économie de marché, non à l'économie de société". Bien, mais on attend la suite.
Quant à nous, "les petits, les sans grade... " quelles bonnes résolutions avons-nous prises au seuil d'une nouvelle saison qui ne s'annonce pas plus tendre que les précédentes ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 337 du 11.09.98
QUEL MONDE MERVEILLEUX
■ Le Président referma sa braguette d'une façon si soudaine, après des mois de tergiversations, que ceux qui s'étaient hardiment glissés à l'intérieur, dans l'espoir de gagner le gros lot avec le scoop du siècle, furent étouffés en bloc. Puis il fit une déclaration au monde, minutieusement mise au point avec son escadron de juristes et autres avocats, à l'issue de laquelle même les marchés financiers médusés n'osèrent pas opérer de repli stratégique. Pour amuser la presse et tous les coupeurs de cheveux en quatre, les hommes de communication du Président n'avaient pas manqué d'entretenir le suspens à propos de ladite déclaration ni de jeter subrepticement les bases d'une querelle byzantine sur les notions ô combien différentes de "jeux" ou "rapports" sexuels.
Dieu étant, comme chacun sait, du côté de l'outre-Atlantique où se joue le destin économique (seulement ?) de la planète, il se fit, miraculeusement, un grand chambardement du côté du rouble. Toutes les têtes se tournèrent vers l'Est, comme au tennis. Là, le spectacle, sans doute moins croustillant qu'à l'Ouest, méritait cependant le coup d'oeil.
C'est alors que le Président, propre sur lui et tout rasséréné, mit son habit de Superman pour voler au secours... de l'économie à l'Est, la bouche pleine de conseils et les poches pleines de dollars potentiels, dans l'intention avouée de donner une leçon à ces barbares à peine sortis du Moyen-Age. Une question lui traversa l'esprit : Faut-il débrancher le Président d'en face avant qu'il ne soit destitué ou l'inverse ? Il s'en remit aux puissances occultes qui gèrent l'ensemble de nos destinées pour résoudre le dilemme et s'envola, le mental léger.
Pendant ce temps, des millions de Chinois crevaient pour cause d'inondations, des Africains dansaient autour de cadavres qu'ils venaient d'incendier, tandis qu'au Kossovo, en Algérie, en Israël... mais est-ce bien raisonnable d'insister ?
Dans le village d'Astérix, bouchons routiers, cartables, feuilles d'impôts et grèves d'automne à préparer, remplissaient la tête des gens.
Une rentrée comme toutes les autres pensait le Bon Dieu en train de regarder le Journal de 20 heures du bord de son nuage.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 339/340 des 25/09-02/10.98
INTERNET… PAS SI NET
■ Comment, vous n'êtes pas branché Web ?
L'interpellé sent poindre le reproche et l'incompréhension nuancés de commisération, touchant à son inexcusable passéisme. Souvent peu agressif, le non-internaute rentre sous terre cacher son infamie plutôt que de rétorquer : Et vous ?
Faites-vous bon usage du web ? En avez-vous réellement besoin ? Vos rapports avec internet sont-ils des rapports sains ? Autant de pertinentes questions que tout usager, même potentiel, devrait se poser. Car s'il ne s'agit pas de mettre en cause l'avancée en communication que les connexions d'internet permettent de réaliser, tant à usage collectif qu'individuel, au plan international, en revanche, on est fondé à s'inquiéter des dérapages... cosmiques... de ce génial système à multiples tranchants.
Arnaques commerciales, pornographie, violation de la vie privée, logorrhée d'informations de tous ordres, ingérables et indigestes pour Monsieur Tout-le-Monde, nous avons tous, dans notre mémoire récente, pléthore d'exemples, l'un chassant l'autre, à méditer, depuis que l'apprenti sorcier du web s'est laissé déborder par sa création.
Lobbying à l'appui, les marchands d'espace virtuel montent des croisades en faveur de l'omniprésence et de l'omnipotence du web, au nom du droit à l'information et du droit à l'expression. Imparable, d'accord, mais sophiste. Qu'est-ce que l'information, quand son excès débouche fatalement sur la désinformation ? Qu'est- ce que le droit à l'expression si celui-ci repose sur un droit d'entrée en monnaie sonnante et trébuchante ?
Allons, soyons net, quand on s'appelle internet, on annonce la couleur. On n 'est pas un innocent bienfaiteur de l'humanité. Tout service a son coût, disons-le... tout net.
Encore faut-il ne pas gaver de services dont ils n'ont pas besoin des individus entretenus dans la confusion par une communication conçue à cet effet.
Parenthèse réjouissante, du moins dans un premier temps, aux USA, la NSA (Agence Nationale de Sécurité) emploie déjà 20 000 personnes pour faire obstacle à l'espionnage industriel généré par le net. Mais, dans l'objectif de protection des individus, qui se charge, aujourd'hui, d'empêcher les rapprochements de fichiers ou les indiscrétions bancaires ? Si ces pratiques sont illégales sur notre territoire, il n'en va pas de même partout, et il faudrait une concertation et un accord au plan international pour y remédier... Voilà un chantier qui promet d'être laborieux et dont l'issue est incertaine, n'est-ce pas, chers internautes d'aujourd'hui et de (presque) demain.
Voilà aussi matière à réflexion.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 341 du 09.10.98
MONDIALISATION AVEC DES "MAIS, AVEC DES "SI"
■ La question n'est pas de savoir si l'on est "pour" ou "contre", la mondialisation est un phénomène irréversible. En revanche, si mondialisation doit signifier standardisation et gommage de nos particularismes de tous ordres, c'est une autre question. Si l'on doit avoir, en tous points de la planète, des comportements semblables, manger, boire, se distraire, faire l'amour, penser, agir, de la même façon, disons le tout net, la mondialisation c'est Non.
La finance et l'économie qui nous font la loi l'oublient trop souvent. Aussi est-ce une satisfaction à nulle autre comparable de leur voir opposer des comportements non prévus et non mesurés par leurs gourous.
Les deux exemples majeurs de la mondialisation standardisante appliquée à notre quotidien, Coca et McDo, ont des ratés dans leur moteur... aussi épisodique et négligeable que soit le fait, il est là. Parallèlement, McDo cherche des poux dans la tête aux Cafétérias Casino qui ont osé affirmer par voie publicitaire que "ça ne coûte pas plus cher de bien manger"... on croit rêver. Toujours est-il que le village d'Astérix ne manque pas de ressources en matière de résistance à la pensée unique, à la consommation unique, à la sensibilité unique.
N'est-ce pas réjouissant de voir l'hexagone tout entier fleurir de créations éphémères autant qu'inimitables et uniques, dues aux artisans des métiers de bouche, par exemple ? N'est-ce pas réconfortant de voir se multiplier avec succès les éditions de livres qui leur sont consacrés ? N'est-ce pas agréable, quand on vit dans le pays privilégié de la vigne et du vin, de voir, chaque année, les vendanges se transformer en nectar des Dieux, et la consommation du vin connaître un renouveau ? Et, pour aborder un sujet d'ordre non-alimentaire, n'est-ce pas un clin d'œil aux conteurs de notre enfance, ce Nounours imaginé par Philippe Stark, avec ses têtes au bout des pattes, comme un défi à toutes les Barbies du monde? (Tiens, à propos, l'enseigne Toys 'R Us ferme 50 de ses magasins européens).
Il se trouvera bien quelques universitaires grincheux pour clouer au pilori ce fameux nounours, comme il s'en est trouvé pour condamner les contes de fées et mettre notre éléphant Babar en accusation comme sexiste et symbole du colonialisme européen (c'était outre-Atlantique, la saison dernière), mais, en fin de compte, les universitaires en question n'auront jamais l'audience de Peau d'Ane, du Chat Botté ou de Babar, auprès de générations renouvelées d'enfants encore prêts à s'émerveiller, à rire et à pleurer, et c'est très bien comme ça.
Enfin, pour nous en tenir à des sujets relatifs à l'exception française, qui d'entre nous n'a pas ressenti comme une bouffée d'air frais le succès du film Marius et Jeannette, quand le Titanic nous submergeait de sa vague ?
Soyons clairs, loin de nous la pensée manichéenne qui consisterait à concevoir les Coca, McDo et autres Titanic comme matières à rejet. Les tendances mondiales ont leur place légitime dans les temps où nous sommes ; notre seule revendication, c'est qu'elles n 'étouffent pas les tendances plus régionales, voire les choix résolument individuels.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 342 du 16.10.98
POURQUOI VIENS-TU SI TARD?
■ Emprunté au cinéma, ce titre pourrait s'appliquer au débat relatif aux OGM, appelons-les plantes transgéniques, qui occupe depuis quelques mois seulement le devant de la scène.
Alarmisme ou propos lénifiants, législation sur l'étiquetage frileuse et floue, questions des distributeurs aux producteurs, des producteurs aux agriculteurs, des agriculteurs aux législateurs et aux bienfaiteurs de l'humanité que sont les laboratoires qui nous dispensent la graine génétiquement modifiée, levées de boucliers des organisations de consommateurs, de certains responsables de la restauration collective... la polémique fait rage.
Seulement voilà, personne n'est en mesure de répondre à la seule question qui soit fondamentale : quels sont ou seront dans l'avenir les effets de l'ingestion directe ou indirecte (par volatile interposé, par exemple) des OGM sur l'organisme humain ?
Nous n'avons aucun élément de réponse, n'ayant pas de recul suffisant, mais nous ne tarderons pas à en acquérir, compte tenu de l'omniprésence des OGM dans nos assiettes. Car, soyons clairs, il y en a partout, dans "certains " conservateurs, dans "certains" gélifiants, dans toutes les textures dont la lécithine de soja transgénique est la composante majeure ou accessoire, dans les farines... et dans l'alimentation des animaux que nous mangeons.
Si l'on imagine la dimension financière de l'enjeu transgénique, supérieure au budget des états qui nous gouvernent, on peut s'interroger sur l'issue d'un débat qui risque fort de tourner au constat... d'impuissance. Car, dans la coulisse, le lobbying en faveur des OGM fait son chemin, tout aussi infondé que la détraction de ceux-ci, mais soutenu par le pouvoir de l'argent, et, déjà, il s'amuse à nous donner mauvaise conscience, notre défaut de la cuirasse, en insinuant qu'il est impossible de nourrir ceux qui ont faim... vu le nombre... sans le secours des OGM.
En attendant que le transgénique ait fini d'investir la planète (seulement la partie solvable, rassurons-nous), consommateurs, distributeurs et producteurs agro-alimentaires ne sont pas au bout de leurs peines et la pomme de terre brûlante qu'ils se passent de main en main n 'est pas en voie de refroidissement. Quant à l'émergence tardive du débat, nous en connaissons les causes : l'intérêt supérieur de la finance, qui n'inclut pas l'éthique dans son vocabulaire ni dans son comportement.
Souhaitons seulement que le débat ne ressurgisse pas, dans quelques années, dans un contexte semblable à celui de la vache folle, avec, cette fois, des arguments étayés par des catastrophes sanitaires.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 343 du 23.10.98
SECOUONS-NOUS POUR L'ENVIRONNEMENT
■ Tarte à la crème, sujet de polémiques interminables, objet de transactions, matière à scandale... à force de le disséquer, à force de galvauder le mot, on finit par vider de sa substance ce qui devrait être au centre de nos préoccupations : l'environnement.
Il y va de notre vie ou de notre mort, de la vie ou de la mort de nos enfants, et nous sommes là, avec nos petites cuillères, à écoper pour ramener en surface notre paquebot qui fait eau de toute part.
Nous ne sommes ni assez nombreux, ni assez motivés, ni suffisamment conscients de la gravité et de l'urgence de traiter "le problème" dans son intégralité et d'une façon mondiale, pour obtenir des résultats nécessaires... et suffisants.
Notre actuel Ministre de l'Agriculture n'est pas entendu ni suivi dans le projet de faire bénéficier de l'aide européenne les agriculteurs qui "entretiennent le paysage", pourquoi? L'agriculture extensive et l'agriculture raisonnée ont du mal à se faire connaître et comprendre par l'ensemble des citoyens, pourquoi ? L'avancée technologique de l'industrie automobile tarde à produire des véhicules non polluants, pourquoi ? Le tri sélectif des déchets et leur recyclage ou leur destruction propre n 'est pas encore généralisé dans nos mégapoles, pourquoi ? Ceux qui ont trouvé les bonnes réponses ont le droit de revenir en deuxième semaine.
C'est l'affaire de tous et de chacun de se prendre en main, soit, mais ce n'est pas évident à faire entrer dans la pratique de nos civilisations d'assistés. Pourtant, on voit, ici et là, des gens comme vous et moi se réveiller, devenir inventifs, efficaces, déterminés. C'est le cas des Bretons qui n 'ont attendu personne pour apporter des solutions à leur problème de lister, c'est le cas de nombre d'entreprises de production et de distribution qui ont inclus la protection de l'environnement dans leur activité quotidienne, dans leurs programmes de recherche et développement, dans leur communication sensibilisatrice des "consommateurs".
Aujourd'hui, ce sont les lessiviers qui s'y mettent. La mise en place d'un code de bonne pratique environnementale pour les lessives à usage domestique entre en application en France. Il est déjà en place dans certains pays d'Europe du Nord, et 18 pays d'Europe l'auront adopté avant 2 002. On souhaiterait que cela soit plus rapide, mais surtout, on souhaiterait voir tous les secteurs d'activités polluantes et tous les pays industrialisés être concernés sans délais.
A quand le nucléaire propre ?
A quand l'internationale de l'environnement respecté ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° [ILLISIBLE]
CHOQUANT
■ SIAL 98, un beau millésime, que l'on pourrait qualifier de consensuel, industrieux et inventif. On a vu s'y concrétiser l'esprit de partenariat entre production et distribution, considéré à tort comme l'Artésienne ou comme une vue de l'esprit, on a pu assister à des réunions de réflexion de l'ensemble des intervenants des industries agro-alimentaires sur des sujets brûlants, tels ceux de la sécurité alimentaire, des OGM ou de l'agriculture raisonnée. on a vu, louché, dégusté, des produits de qualité, émanant de sociétés de production de toutes dimensions et de toutes provenances, et ! 'on a ressenti un climat positif moins stressé que lors des dernières éditions de la manifestation.
La dimension économique de l'industrie alimentaire, en particulier pour la France, dont on connaît les performances en la matière, pouvait, si l'on peut dire, "être touchée du doigt ".
En dépit de ce constat positif, on est choqué de la façon dont le SIAL a été présenté au grand public par nos médias. Une image affligeante, réductrice, fausse et gadgetisante, véhiculée par des sujets pour la plupart bâclés et mal documentés, ce, en particulier, sur les chaînes de télévision majeures, aux heures de grande audience.
Il est certainement tentant de bâtir sur la dérision et l'extravagance des scoops racoleurs qui vont chercher, parmi les nouveautés ou produits préexistants de plus de quatre mille exposants, la petite dizaine de ce qu'on est tenté d'appeler des "non-produits" parce qu'ils n'ont aucune chance de succès, voire de commercialisation, qui feront à coup sûr rire les imbéciles et ridiculiseront, du même coup, tout un secteur économique. On a même vu, sur l'une des chaînes précitées, les animateurs -que le téléspectateur moyen prend pour des journalistes- cracher sur le plateau.
Passons sur ces pratiques qui son! devenues monnaie courante et confondent dans un même cloaque les produits dérivés de la mort d'une princesse, les plaisanteries graveleuses sur l'intimité d'un Président, les dessous douteux des "Affaires" politiques, financières ou autres, et les dérives marginales et anecdotiques d'un secteur industriel de premier plan.
Les "médias", on le sait et c'est normal, quand il s'agit d'une manifestation ouverte au public ou professionnelle, vont chercher la base de leurs propos auprès des chargés de communication de ladite manifestation. Aussi, ceux-ci sont-ils également responsables du ton donné à la médiatisation. Les exposants seraient notamment fondés à les interroger sur leurs critères de sélection des produits poussés sous les feux des projecteurs et sur leur légitimité à en parler, non ?
Choquant, tout cela, dommage et d'autant plus navrant que le SIAL 98, nous ne le répéterons jamais assez, était une sacrement belle édition.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 346 du 13.11.98
APOCOPE, APHERESE, ABREVIATIONS ET JARGONS DECEREBRES
■ On commence par prendre le bus plutôt que l'autobus, à se dire "à tout'" plutôt qu'à tout à l'heure, puis on glisse vers un mode d'expression qui tient plus du borborygme que du langage humain. L'homme, pourtant, continue à croire que son langage le met au-dessus de l'animal.
Parlons-en, du langage, à commencer par celui des industriels et commerçants, notre lot quotidien. Disons, par exemple, qu'une TG présentant des produits porteurs de BR et s'adressant à une cible BC+, dans l'objectif d'obtenir un CA additionnel et d'augmenter les PDM de la marque... ou qu'un industriel "rebrande ses marques", à moins qu'il n 'y ail stagnation dans les PGC ou dans le PEM. On pourrait continuer ainsi pendant des heures.
Sans attendre d'un responsable de marketing ou d'un responsable commercial, voire d'un responsable de communication, qu'il s'exprime avec l'élégance diserte de Jean d'Ormesson. ou la vigueur Imaginative de Frédéric Dard - Son-Antonio, on est forcé de s'inquiéter gravement de l'aspect réducteur des langages d'aujourd'hui. Même les argots corporatifs ont perdu tout leur sel. Comme il est loin le temps du Javavuis ou de l'Argomuch des louchebems. L'expression orale perd sa substance et sa chair, elle n'est plus que fonctionnelle et témoigne d'un mépris inconscient, ce qui constitue une circonstance aggravante, à l'égard de l'interlocuteur quel qu'il soit et à l'égard de l'objet du discours. D'ailleurs, l'objet du discours, produit, stratégie de marque, voire stratégie d'entreprise, n'est, le plus souvent qu'un leurre ou qu'un alibi, destiné à cacher la forât de la seule finalité financière qui nous passe tous à la moulinette, aussi n'est-ce pas un hasard si l'on amène à s'en éloigner ceux qui sont supposés s'en occuper.
Peut-on faire quelque chose contre les réducteurs de têtes omniprésents sur tous les territoires de l'expression ? Rien semble-t-il. Et, faute de pouvoir les envoyer "brain-stormer" ailleurs, il nous reste celui de nous adonner, au fond de nos réserves à sauvages, à une débauche de langage vivant, dans nos dialectes hérités du grec, du latin, des langues germaniques, celtiques, romanes, slaves, et j'en passe, qui constituent encore notre richesse patrimoniale, en résistant à la contamination réductrice à laquelle le langage de l'informatique apporte son pesant de réductions.
Soyons vigilants, dans une conjoncture où les mots sont mis au rencart, ni l'homme de parole ni l'homme de culture n 'ont leur place.
Il faudra bien choisir son camp.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° [ILLISIBLE]
CONTRE-POUVOIR
■ Il était une fois un monarque si puissant qu'aucune puissance au monde ne pouvait faire obstacle à la mise en œuvre de ses volontés, désirs ou fantaisies quelle qu'en fût la nature. Aussi faisait-il sa loi, la défaisait-il si tel était son bon plaisir, imposait a autrui son point de vue, sa morale (sic) et parcourait la planète en tous sens, semant ici des fleurs empoisonnées, là ses pétards de guerre, ailleurs ses parcs d'attraction où il était obligatoire de rire, sous peine de sanctions. Il se déplaçait bruyamment, balançait ses peaux de bananes et ses fumées toxiques où bon lui semblait, au mépris total de ses contemporains. Assenissant les uns, achetant les autres, suscitant des foyers d'agitation dans les pays qui ne lui semblaient pas assez soumis, en s'appuyant sur des alliés objectifs d'un jour qu'il s'empressait de replonger dans leurs oubliettes une fois leur besogne accomplie, il ne se contentait pas de dire "Je veux et j'exige", il désignait à l'opprobre mondiale tout contradicteur potentiel, voire tout esprit qui lui semblait irréductible au sien, le chargeant, tel le bouc émissaire, de toutes les calamités qui ne manquaient pas de survenir, et ça faisait le bonheur des imbéciles.
Or il advint qu'un jour il eut l'envie inédite de sortir de son système. Il voulut oublier les spirales boursières, les marchés truqués, les images audiovisuelles directement inspirées de Sa politique, de Sa mégalomanie, bref il eut envie de voir autre chose que son reflet dans toutes les glaces cl dans tous les regards, par ailleurs vides d'expression, qu'il croisait. La fée, qui était sa marraine - eh oui, tout le monde en a une - et qui passait par là, lui fil présent d'un songe et de la clé qui allait avec, pour satisfaire à ce nouveau désir. Il sut, par ce songe, à quoi ressemblait la vie d'avant son règne, dans les belles époques où les espoirs et les actes des hommes comptaient pour autre chose que des chiffres dans des machines à digérer le capital. C'est alors qu'il prit conscience de l'étendue du désastre : il ne pouvait plus faire machine arrière et il avait tué l'art de vivre dont il venait de découvrir la soif. "Pourquoi?", demanda-t-il à la fée qui guettait son réveil. "Parce qu'il n 'y a plus de contre- pouvoir pour t'empêcher d'aller trop loin ", répondit-elle en s'envolant vers des lieux plus respirables, très loin de notre galaxie, malheureusement accessibles uniquement aux fées.
Et si la quadrature de la banane, le bœuf aux hormones obligatoire, la mise au- dessus des lois du bruit de certains avions, le mépris affiché de la pollution industrielle, la guerre déclarée sans concertation avec d'autres pays concernés, vous semblent avoir un rapport avec ce qui précède, c 'est que vous avez mauvais esprit..
D'ailleurs, toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé... vous connaissez la formule.
Et que cela ne vous empêche surtout pas de passer une bonne année.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° [ILLISIBLE]
QUAND ILS NE SAVENT PAS CE QU'ILS FONT....
■ Vous et nous, à un moment quelconque de la journée, sommes éclaboussés par ce qui s'écoule du robinet d'eau tiède de l'information radio-télévisée. Comme vous, nous nous demandons fréquemment ce qui est le plus insupportable dans cette prétendue information et dans la façon dont elle nous est débitée -j'ai bien dit débitée -, et nous hésitons entre plusieurs réponses.
Est-ce la désinvolture à l'égard de l'information elle-même ?
Est-ce le mépris à l'égard du public ?
Est-ce la manipulation des faits et des chiffres ?
Est-ce le choix des sujets, à l'exclusion de certains qui pourraient se révéler bridants ?
Est-ce la langue de bois, la pensée unique, le politiquement correct ?
Est-ce l'habitude grandissante de s'exprimer dans une langue maltraitée, bafouée, réduite, voire vulgaire ?
Est-ce la suffisance et la fatuité des occupants de ces lucarnes omniprésentes que I'un de mes amis qualifie avec une truculente trivialité de "lucarnes à blaireaux" ?
Est-ce le goût de la dramatisation, dicté par la loi de l'audimat, à propos de tout et surtout de n 'importe quoi ?
Je tournais ces questions, en boucle, dans ma tête, sans parvenir a les hiérarchiser ou à les démêler, et la réponse m'est venue, par hasard, lors de l'annonce officielle, sur une radio du service public, de la mort du roi Hussein de Jordanie. L'annonce, comme chacun sait, n'était pas un scoop, tombé en urgence sous l'œil de la commentatrice (oui, c 'était une femme), puisque la disparition du "Petit Roi" était connue depuis plusieurs heures, et devait être communiquée dans une certaine dignité. "Le roi Hussein de Jordanie, disait la dame, a régné près d'un siècle sur son pays". Moi, je veux bien qu'un souverain qui disparaît à soixante-trois ans ait régné près d'un siècle, mais je trouve insupportable que, ni la personne qui vous assène cette phrase, ni ses confrères qui ont pris la relève au cours du même journal, n'aient éprouvé le besoin d'apporter un rectificatif Oui, tout le monde se trompe. Oui. tout le monde peut se tromper. Non, nul n'a le droit de.laisser "rectifier l'erreur" par les auditeurs, les lecteurs, les interlocuteurs, à partir du moment où il en a pris conscience. Et c'est précisément là où je voulais en venir.
Je ne pense pas la "journaliste " du service public assez stupide pour ne pas savoir qu'un siècle = 100 ans. en revanche, je crois qu'elle ne "sait pas" ce qu'elle a dit. Pas plus que ses confrères qui participaient à la même émission. Personne n 'écoute personne, on le savait déjà. Aujourd'hui, on sait que, de la note écrite ou du prompteur à l'auditeur ou au téléspectateur, l'information passe par la bouche des "informateurs", mais pas par leur cerveau. Voilà ce qui m'apparaît comme le plus insupportable.
Heureusement, à l'instant où j'écris cet éditorial, il y a le "Vrai Journal" de Karl Zéro pour me mettre le baume au cœur, et j'étais déjà en partie consolée, hier, par "Un An de Plus", sur la même chaîne avec laquelle Faire Savoir Faire n'a aucun lien, je vous rassure : ce n'est pas un message publicitaire.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 350 du 11.12.98
C'EST NOËL MEME A CUBA!
■ Tout vieillissant qu'il soit, le dictateur Fidel Castro n'en est pas moins actif et déterminé. Or, c'est bien lui qui vient de décréter le jour de Noël férié à Cuba. Si c'était la seule bonne nouvelle de cette fin d'année, elle aurait de quoi nous réjouir, sans arrière-pensée, quelles que soient nos opinions ou confessions.
Le message de Noël, la trêve de Noël, un certain air de paix et d'espoir sont là, juste éclipsés par trop de vitrines, trop de lumières, trop de mercantilisme qu'il suffit d'oublier un moment.
Ne boudons pas nos illusions retrouvées, nous aurons toute une année pour nous lamenter sur nos illusions perdues. Faisons l'impasse sur les dures lois du combat pour la vie, du combat pour l'emploi, du combat pour "on ne sait pas trop quoi", dans lesquels la vie quotidienne nous jette, bon gré mal gré.
C'est Noël. Le temps s'arrête. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, à commencer par soi-même, accordons-nous cela.
Il nous revient des chants naïfs, des coutumes et des rites, des crèches et des sapins, des bergers et des anges, et une sacrée occasion de faire un tour d'horizon de tout ce que nous avons inventé de beau, d'une région d'Europe à l'autre, par exemple, pour exprimer et célébrer l'espoir contenu dans une date marquée d'une pierre blanche sur tous les calendriers.
Allons donc faire pousser du blé ou des lentilles dans les soucoupes de décembre pour décorer nos tables de fête, ouvrons les fenêtres des calendriers de l'avent, préparons les petits gâteaux aux jolies formes, qu'on offre à tous les visiteurs en Alsace ou en Allemagne, pendant toute la période de fin d'année, allumons des bougies, sortons les santons de leur boîte, et ouvrons nos maisons ou nos appartements -nous qui avons la chance de ne pas coucher dehors- aux conifères et aux bouquets de houx, apprenons a apprécier le Xmas pudding de nos voisins d'outre-Manche, et n'oublions pas de laisser, près de la cheminée (ou près de la fenêtre), une offrande, carotte ou morceau de sucre, pour l'âne ou le renne du Père Noël et pour le Père Noël lui-même un petit verre d'alcool ou du tabac pour la pipe, très incorrects politiquement, ah mais !
Tout cela pour vous dire que Faire Savoir Faire prend ses quartiers de Noël, chacun, selon ses dispositions, allant taquiner la marmotte hibernante, décorer le sapin, chercher la fracture osseuse sur des planches périlleuses, ou concocter de somptueuses recettes de cuisine et d'amitié.
Donc, nous vous donnons rendez-vous en 1999 (déjà ! on ne se voit vraiment pas vieillir), en vous souhaitant mille petits bonheurs pour finir l'année en beauté et vous sentir d'attaque pour la dernière année du millénaire... qui promet d'être animée.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 351/352 des 08 et 15.01.99
CONTRE-POUVOIR
■ Il était une fois un monarque si puissant qu'aucune puissance au monde ne pouvait faire obstacle à là misé en œuvre de ses volontés, désirs où fantaisies quelle qu'en fût la nature. Aussi faisait-il sa loi, la défaisait-il si tel était son bon plaisir, imposait à autrui son point de vue, sa morale (sic) et parcourait la planète en tous sens, semant ici des fleurs empoisonnées, là ses pétards de guerre, ailleurs ses parcs d'attraction où il était obligatoire de rire, sous peine de sanctions. Il se déplaçait bruyamment, balançait ses peaux de bananes et ses fumées toxiques où bon lui semblait, au mépris total de ses contemporains. Asservissant les uns, achetant les autres, suscitant des foyers d'agitation dans les pays qui ne lui semblaient pas assez soumis, en s'appuyant sur des ciliés objectifs d'un jour qu'il s'empressait de replonger dans leurs oubliettes une fois leur besogne accomplie, il ne se contentait pas de dire " Je veux et' j'exigé'', il désignait à l'opprobre mondiale tout contradicteur potentiel, voire tout esprit qui lui semblait irréductible au sien, le chargeant, tel le bouc émissaire, de toutes les calamités qui ne manquaient pas de survenir, et ça faisait le bonheur des imbéciles.
Or il advint qu'un jour il eut l'envie inédite de sortir de son système. Il voulut oublier les spirales boursières, les marchés truqués, les images audiovisuelles directement inspirées de Sa politique, de Sa mégalomanie, bref il eut envie de voir autre chose que son reflet dans toutes les glaces et dans tous les regards, par ailleurs vides d'expression, qu'il croisait. La fée, qui était sa marraine -eh oui, tout le monde en a une et qui passait par là, lui fit présent d'un songe et de la clé qui allait avec, pour satisfaire à ce nouveau désir. Il sût, par ce songe, à quoi ressemblait la vie d'ayant son règne, dans les belles époques où les espoirs elles actes des hommes comptaient pour autre chose que des chiffres dans des machines à digérer le capital. C'est alors qu'il prit conscience de l'étendue du désastre : il ne pouvait plus faire machine arrière et il avait tué l'art de vivre dont il vendit de découvrir la soif "Pourquoi ?", demanda-t-il à la fée qui guettait son réveil. "Parce qu'il n'y a plus de contre-pouvoir pour t'empêcher d'aller trop loin", répondit-elle en s'envolant vers des lieux plus respirables, très loin de notre galaxie, malheureusement accessibles uniquement aux fées.
Et si la quadrature de la banane, le bœuf aux hormones obligatoire, la mise au-dessus des lois du bruit de certains avions, le mépris affiché de la pollution industrielle, la guerre déclarée sans concertation avec d'autres pays concernés, vous semblent avoir un rapport avec ce qui précède, c'est que vous avez mauvais esprit.
D'ailleurs, toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé... vous connaissez la formule.
Et que cela ne vous empêche surtout pas de passer une bonne année.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 353/354 des 22 et 29.01.99
EURO… COMME UN POISSON DANS L'EAU?
■ Eurolâtres, europhobes, europhiles, eurosceptiques et autres, c'en est fini de vos querelles byzantines, l'euro est là, et nous voici en zone euro, euroland ou eurolande, peu importe comment on l'appelle. Les états d'âme ne sont plus de saison, il s'agit de construire.
Décision avant tout politique, la monnaie unique, c'est l'accélération obligée de la construction et de l'harmonisation de l'Europe, donc de notre avenir collectif et individuel.
Economiquement, nous n'avons pas droit à l'échec, il n'y aura ni seconde chance ni alternative. L'euro n'autorise pas la dévaluation et les solutions prévues pour voler au secours des économies défaillantes ne sont envisageables qu 'en cas de très grosse catastrophe, ce qui est a bannir. Autrement dit, pouvoir d'achat, compétitivité internationale, aménagement du temps de travail, investissement pour tirer la croissance, sont d'une brûlante actualité, et l'on peut, au hasard, se demander comment nos gouvernants vont répondre au sujet de la charge salariale globale qui devra être la même dans toute l'Europe (sachant que le prix du travail en France est exorbitant...).
Mais le débat est évidemment beaucoup plus large. Il faut mettre à l'heure toutes nos pendules, aux plans fiscal, social, écologique, diplomatique... et s'occuper des hommes.
Et tandis que nous devons nous tailler notre route dans cette jungle, des planches savonnées venues de " l'intérieur "et de " l'extérieur "se glissent sous nos pieds.
Alors, euro-enthousiasme et euro-vigilance sont de mise pour chacun d'entre nous. Il est clair que notre représentation auprès de toutes les instances décisionnaires de l'Europe revêt une importance renouvelée, au cas où nous ne nous en serions pas souciés plus tôt. Il est clair, aussi, que l'affirmation de nos identités, dans le cadre de la fédération à laquelle nous appartenons maintenant, est à la fois nécessaire à notre épanouissement personnel et à l'enrichissement de cette fédération. Nous en avons l'exemple, surplace, avec la mosaïque des régions de France, dont l'unification, lors du deuxième millénaire que,nous allons quitter, s'est opérée sans abolir les particularismes qui sont notre spécificité.
Les chantiers sont nombreux, et ce qui est encourageant, c 'est que tout est à inventer.
Nous n'avons plus qu'à nous y atteler.
Alors, Euro... comme un poisson dans l'eau ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 355/356 des 05 et 12.02.99
EN ATTENDANT L'AVENIR
■ A force de bâtir des hypothèses sur l'avenir et d'être poussés par l'économique et le politique à anticiper de plus en plus vite et de plus en plus loin et à planter nos drapeaux dans des sables mouvants, il nous arrive de ne plus être maîtres de notre présent.
Le présent ? Ça vous dit quelque chose ? Cet instant unique qui ne reviendra jamais plus et qui nous modèle autant que nous le modelons. Comment prendre position dans le futur si l'on ne possède pas le présent?
Je vois d'ici votre air dubitatif, face à ce que vous êtes prêts à qualifier d'utopie. Vous avez tort. Dans les métiers qui sont les vôtres, et dans d'autres qui peuvent apparaître ingrats, les exemples sont nombreux de gens comme vous et moi qui pratiquent le carpe diem, et font de l'instant une fin en soi, ce qui présente l'avantage d'être également agréable aux autres. Ainsi, j'ai même rencontré une conductrice d'autobus qui s'arrête pour faire monter des "clients" pour un petit morceau de parcours, entre deux stations officielles, parce qu'ils sont chargés ou parce qu'il pleut. Ça a l'air de la rendre heureuse, et ça crée une ambiance plutôt agréable à bord. Dans le paysage souvent affligeant de la restauration, où ce qui est accessible au porte-monnaie ressemble le plus souvent à une "usine à bouffe", je connais un Imaginatif qui, plutôt que de se contenter des noces et banquets rémunérateurs, vient de créer un authentique ensemble de soirées à thèmes qui associent de vrais produits de terroirs à la musique "qui va avec"… Dans la production et dans le commerce, grand ou petit, ils sont présents, dans toutes nos rubriques, ceux qui s'investissent avec un plaisir quotidien et renouvelé dans leur activité et ne se laissent pas stakhanoviser, en dépit de la tendance actuelle. Vous les connaissez, ces producteurs qui ont trouvé leur place, entre artisanat et industrie en réhabilitant des races d'animaux ou des variétés végétales, vous connaissez ceux qui vivent "l'agriculture raisonnée", un présent bien rempli, vous connaissez aussi ces magasins ou ces rayons dans lesquels on respire la présence de quelqu'un qui n'est pas totalement lobotomisé par la logique du cadencier, n'est-ce pas, Messieurs Delasseaux, Descloux, Caries et tant d'autres ?
Alors, le carpe diem, dans le cœur même d'une activité considérée comme stressante et dont la finalité pourrait n'être que financière, vous ne croyez pas que c'est possible ? Vous ne pensez pas qu'en attendant l'avenir, ça peut aussi être agréable pour tout le monde de s'investir dans l'instant présent ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 357 du 19.02.99
Y A-T-IL UN INTÉRÊT COMMUN ?
■ En voilà une bonne question, au moment où les tartes à la crème "préélectorales européennes" commencent à voler bas pour s'écraser, si possible, sur la figure des adversaires en présence, fussent-ils de la même famille "politique".
Ceux qui prétendent se faire élire pour défendre "l'intérêt commun", autrement dit la plupart des candidats, sont soit gravement malhonnêtes, soit incurablement naïfs, à moins qu'ils n'aient définitivement perdu tout contact avec le monde réel.
L'intérêt industriel et l'intérêt écologique font rarement bon ménage, l'intérêt financier et l'intérêt social sont le plus souvent opposés, l'intérêt économique et l'intérêt humanitaire ont peu de points de rencontre, on se demande s'il y a un intérêt scientifique, celui-ci étant confisqué au sortir de l'œuf par les pouvoirs économique, financier et politique; Quant à l'intérêt des "travailleurs", dans un monde d'où le travail tend à disparaître, on se demande avec quels intérêts il pourrait bien rimer.
Les nouveaux pauvres partagent-ils les valeurs des nouveaux riches ? On peut décliner les antinomies à l'infini, c'est d'ailleurs un jeu auquel je vous propose de vous adonner, cela vous fera peut-être rire.
Donc, au risque de vous apporter une mauvaise nouvelle, disons-le : l'intérêt commun n 'existe pas.
Si la plupart de nos belles idées abstraites sont logées à la même enseigne, certaines, cependant, ne manquaient ni de panache ni de générosité et témoignaient d'une élévation de pensée encourageante pour l'opinion que l'humanité se fait d'elle-même. Hélas, tout s'use, à commencer par les grands sentiments et nous avons beau scruter l'horizon, nous n'y voyons poindre aucun chevalier blanc prêt à vivre et mourir pour un idéal, tandis que ce même horizon s'obscurcit d'une nuée d'insectes de l'espèce Technocratus Horribilis.
Résultat, cette nuée dévoreuse d'idéaux désintéressés a tué nos enthousiasmes et mis les notions d'intérêt et d'efficacité à la place des mots, pompeux peut-être, mais sincères, avec lesquels Victor Hugo saluait l'avènement de l'Europe et de la mondialisation sur la musique d'un débutant qui ne donnait pas dans la techno-dance, un certain Beethoven. "Peuples des cités lointaines " qui se soucie de vous ouvrir les bras ?
Méfions-nous ensemble des lendemains qui déchantent quand l'intérêt commun est l'objectif de tous ceux qui nous veulent du bien.
PS. Et pendant ce temps, les Représentants du Peuple, à l'Assemblée Nationale, quand ils ne discutent pas du sexe des anges, à propos du PACS, s'interrogent sur l'appartenance de Tintin à la droite ou à la gauche. On croit rêver.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 361 du 19.03.99
CHRONIQUE DE LA BARBARIE ORDINAIRE
■ Soyons justes avec les machines, ce ne sont pas elles qui sont perverses, c 'est la façon dont nous en usons.
Avez-vous suivi le glissement sémantique de "répondeur téléphonique" à "boîte vocale" ? A l'origine, le répondeur, un objet utile et agréable, qui permettait de ne pas perdre totalement le contact avec un abonné absent. On écoutait son répondeur, on répondait aux messages qu'il avait enregistrés et l'on attendait, en retour, une réponse à ceux que nous lui avions confiés.
Aujourd'hui, nos poches, nos sacs, nos voitures, nos maisons, sont truffés de téléphones sans fil dotés de "boîtes vocales " qui, pour une bonne part, servent à mettre de la distance et du silence entre vous et l'interlocuteur que vous souhaitez. La boîte vocale vous nargue, et vous avez, à son écoute, le sentiment trop souvent justifié qu'elle fait office de corbeille, dans le sens de poubelle. Dans les entreprises, la boîte vocale est parfois unique pour plusieurs utilisateurs, ce que vous ignorez de l'extérieur; dans ce cas, il arrive fréquemment que votre message soit entendu par une personne à laquelle il n 'est pas adressé et qui se gardera bien d'en faire part à son destinataire, tandis que vous attendrez une réponse qui ne viendra jamais. Il y a aussi la boîte défaillante, mais souvent, elle a bon dos comme on dit communément. Et nous ne nous apesantirons pas sur le cas des mises en attente qui, pour être musicales, n'en sont pas moins exaspérantes, preuve que la musique ne fait pas qu'adoucir les moeurs. Il faut dire qu'au bout de plusieurs minutes - voire plus d'une dizaine de minutes, je l'ai moi-même plusieurs fois expérimenté - d'un jingle publicitaire, d'un coucou suisse ou d'un classique à la sauce techno, à la suite desquelles Une standardiste excédée ou démotivée finit par vous éconduire, on a souvent perdu sa belle humeur et son sens de l'humour.
Du temps, de l'argent (c'est que ça coûte cher les minutes téléphoniques), de la patience usés vainement vous font ressentir la désinvolture du traitement comme une insulte, et d'ailleurs c'en est une.
Courtoisie, politesse, urbanité, amabilité, déférence, est-ce que ces mots évoquent quelque chose en vous ? Est-ce que cela réveille quelque chose d'enfoui dans vos mémoires ?
Ce serait étonnant.
Nos moeurs sont redevenues barbares en beaucoup moins de temps qu'elles n'en ont mis à se civiliser.
Devrions-nous nous en étonner, quand nous voyons les petits-fils d'Attila sillonner les artères de la Capitale pour livrer à leurs contemporains la pizza ou le steak haché qu'ils ont longuement attendris sous la selle de leur cheval à deux roues ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 362 du 26.03.99
HALTE À LA PARANOÏA !
■ Aseptisons, aseptisons, faisons la chasse à tous ces produits qui nous veulent du mal, traquons l'Epoisses et le Saint-Félicien qui ont juré, n 'en doutons pas, de tuer ceux qui ont survécu à la rillette maligne et au vacherin sauvage, et courons respirer à pleins poumons l'air pollué des villes en dévorant des nourritures en plastique (ou tout comme) qui, elles, sont irréprochables, saines, roboratives et politiquement correctes.
Allons, calmons le jeu. Les grands médias viennent encore de frapper de plein fouet de petites et moyennes entreprises clouées au pilori par le zèle excessif des découpeurs de molécules en quatre aiguillonnés par la Guerre des Polices que se livrent la DGCCRF, le Ministère de la Santé et celui de l'Agriculture, pour ne citer que ceux-là, soucieux de se mettre en avant. N'oublions pas, dans la coulisse, les voix de la calomnie et de la médisance réunies inspirées par ceux que je vous laisse le soin d'identifier, qui ont nos AOC en travers de la gorge et refusent de digérer l'insolence de ce French Paradox qui donne raison aux mangeurs de grenouilles face aux mangeurs de hamburgers.
Mais qu'est-ce que ce pays est devenu pour être incapable de ramener à de justes proportions des informations dont le fondement n'est ni solidement établi ni l'exactitude confirmée ?
Qui sommes-nous face à la vie qui est, si je ne m'abuse, une aventure, un risque, une prévisible improbabilité ? Tout juste des matamores bardés d'assurances multirisques quand ils se hissent aux parois des montagnes en se prenant pour des héros. Sommes-nous bien conscients du fait qu'aucune assurance ne nous empêchera de mourir chacun pour soi, un beau jour ou une belle nuit?
Faute de savoir répondre à ces questions, je me contente d'espérer : espérer de tout cœur que l'Etoile du Vercors ne sera pas contrainte à la liquidation de son savoir-faire et de ses salariés comme c'est arrivé à d'autres vite tombés dans l'oubli... espérer que nous serons capables d'un sursaut... espérer que nous nous rappellerons que d'autres alertes étaient infondées même si les médias n'ont pas jugé bon d'apporter au public le démenti auquel il avait droit, avec autant de bruit et d'amplification qu'ils en avaient consacré à la nouvelle alarmiste... "J'espère", puisqu'espérer n'est pas encore frappé d'interdit, ce qui ne saurait tarder, car je veux bien parier que l'espérance est mauvaise pour la tension artérielle et que la sécu n'entend pas en couvrir les séquelles.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 365 du 16.04.99
CE QUE NOUS SOMMES
■Vous l'aurez remarqué, nous ne nous serions pas aventurés à tenter de définir "qui nous sommes". Les philosophes, les biologistes, les sociologues et des quantités d'autres gens sérieux sont là, en nombre et en qualification assez impressionnants pour apporter, à cette question-là, des réponses aussi variées qu'évolutives, voire contradictoires, pour que nous nous abstenions de mettre notre grain de sel dans leur business.
En revanche, ce que nous sommes, les économistes ne nous l'envoient pas dire, c'est clair et peu gratifiant pour notre ego : nous sommes des variables d'ajustement des marchés financiers.
Mettons cela dans notre poche, et notre mouchoir par-dessus, après avoir pleuré dedans, cela s'impose.
Nous nous trouvons au chômage ?
Nous voyons se réduire nos libertés, à commencer par celle d'entreprendre ?
Nous respirons un air de plus en plus détestable ?
Nous sommes confrontés à des murs administratifs ?
On nous impose une croisade dans les Balkans ?
Rien de plus normal, nous sommes DES VARIABLES D'AJUSTEMENT DES MARCHÉS FINANCIERS.
Guerre de la banane, guerre du bœuf aux hormones, guerre des fromages au lait cru, guerre des drogues qui prennent en otages les boissons plus ou moins alcoolisées, guerre des laboratoires pharmaceutiques, guerre des mafias de toutes espèces, désastre humanitaire généré dans le but "généreux" d'intervenir pour mettre fin à un génocide (pourquoi précisément celui-là, ce ne sont pas les génocides qui manquent)... tout cela n'est qu'avatars du postulat qui précède.
Non, nous n 'avons pas prononcé le mot Kosovo. Sujet réservé aux médias qui nous intoxiquent. Il n 'empêche que nous y pensons si fort que cela doit se sentir.
Et si, cette fois-ci, Oncle Bill n 'était pas arrivé à ses fins médiatiques ? Et s'il n 'avait pas réussi à vendre la pureté des intentions de "sa guerre" à l'opinion publique ? Et si les souvenirs plus ou moins récents des grandes bavures irakiennes, africaines, coréennes, vietnamiennes, et j'en passe, faisaient planer des doutes sur l'efficacité et l'intelligence de ses stratégies? Et si nos propres médias, pris à leur propre piège de désinvolture à l'égard d'une réelle information, s'enfonçaient dans un bourbier déjà bien profond de déconsidération auprès du public ?
Qu 'est-ce que cela changerait, en fin de compte, puisque, de toutes façons, les jeux sont faits, l'Europe est divisée avant d'avoir été unifiée, le CAC 40 en a pris un coup, la traînée de poudre a pris feu, et l'on ne sait pas si l'incendie peut être éteint ou, pour le moins, circonscrit.
Bienvenue au club des Variables d'ajustement... mécontentes de l'être, et peut-être, salutairement, retrouverons-nous le pouvoir de dire NON et de nous rebeller, parce que trop c'est trop. Allez savoir?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 366/367 des 23 et 30.04.99
APPAUVRISSEMENT
■ ... Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés... , empruntons donc à La Fontaine, il ne nous en voudra pas, il a lui-même beaucoup emprunté aux fabulistes grecs, et interrogeons-nous sur les appauvrissements qui nous accablent, celui du porte-monnaie n'étant qu'une goutte d'eau dans la mer.
Si nous parlions d'un sujet désagréable ? Au hasard, l'entreprise privée. Passons sur celles qui se revendent à des multinationales, laissant derrière elles chômage, précarisation, destruction du pouvoir d'achat, engendrant la baisse de la consommation interne, donc l'affaiblissement économique : air tellement connu qu'il confine à la rengaine.
Parlons plutôt des absentes, celles qui ne se créent pas. On sait pourquoi la France est aujourd'hui la lanterne rouge européenne en matière de création d'entreprise: coût des charges salariales, pression fiscale, réglementation inadaptée pour ne pas dire punitive, et, par-dessus tout, un esprit bureaucratique, une frilosité qui nous pousse vers les pantoufles tièdes de la fonction publique plutôt que vers les aléas de l'aventure privée. Mais s'agit-il d'un état provisoire, ou sommes-nous entrés dans une logique d'enlisement inéluctable ?
Rien ne nous incite à un optimisme même relatif pour répondre à cette question.
La fuite des cerveaux les plus éduqués et les plus performants vers des pays plus dynamiques se poursuit, les autres, sous-employés ou inemployés s'aigrissent, ce qui peut se concevoir, et la déculturation fait des ravages. A force de loucher sur le prétendu modèle américain, comme si les boots de l'Oncle Sam pouvaient chausser des pieds habitués aux escarpins, à force de ne plus dialoguer qu'avec des ordinateurs binaires qui nous réduisent la tête, à force de spécialiser notre " belle jeunesse " sans lui donner les bases et le goût de cette culture que, précisément, les enfants de l'Oncle Sam les plus évolués nous envient, nous glissons à vitesse accélérée vers un appauvrissement irréversible.
Consacrons une petite parenthèse au " politiquement correct " et à la "pensé,' unique " dont les ravages se poursuivent et qui nous enlèvent les vrais mots de la bouche, puis la vraie pensée de la tête, pour leur substituer langue de bois et clichés standardisés.
Réagir, c'est pourtant possible.
Nous connaissons de " petites entreprises ", voire des " micro-entreprises" [illisible] s'entretient réellement avec les personnes avec lesquelles on envisage [illisible] voyons des associations, interprofessions, entreprises du système" [illisible] encourager (ou tenter de le faire) l'imagination, le désir de créer, [illisible] inédites. Certes, elles ont du mal à se faire entendre, dans le [illisible] les réducteurs de tête, mais ce n'est pas une raison [illisible]
Arrêtons de participer à notre propre appauvrissement [illisible] de survie.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 368 des 07 et 14.05.99
ETAT D'URGENCE
■ C'était la journée "La plus propre de l'année".
Les arroseuses municipales avaient répandu nettoyants et parfums de synthèse dans toute la capitale. La chasse aux bactéries, aux pollens, aux insectes, aux oiseaux... avait fait son œuvre. Hors les pots d'échappement des voitures qui bénéficiaient (va savoir pourquoi) d'une procédure d'exception, l'état Sanitaire régnait en maître absolu.
Pour magnifier le propos, les panneaux publicitaires à la gloire des neuroleptiques et autres médicaments de confort élargissaient "l'état de santé" au mental et l'odeur des drogues douces fraîchement légalisées ponctuait de sa note pseudo-mystique cette symphonie bien administrée.
Propre sur elle, l'œil vague ou absent, la foule politiquement correcte assistait aux festivités, sans témoigner d'un enthousiasme excessif.
Le cortège des pénitents sommeliers, cavistes, oenologues, distributeurs de vins et spiritueux, restaurateurs, barmen, viticulteurs, brasseurs, négociants et autres ex-pourvoyeurs de cette drogue dure indistinctement appelée "alcool", générait, sur son passage, une réprobation silencieuse. Qu'ils fussent déchus de leurs droits civiques et qu'ils eussent fait leur autocritique semblait suffisant, pour ne pas les accabler d'insultes, en plus.
Nul ne semblait se souvenir des vignes arrachées qui avaient laissé place à un terrible désert seulement émaillé, dans les plus beaux sites, des Bâtiments Blancs de la Santé où vieillissaient, en toute asepsie, des humains-légumes hors d'âge, dont on entretenait la vie sans qu'ils parussent concernés.
Certaines populations ne se mêlaient pas à la foule, celle des beaux quartiers et celle de l'underground.
Dans les beaux quartiers, résidence des hauts dignitaires de tous les Nouveaux Pouvoirs et des grands maffieux engraissés par l'état de prohibition, on vivait à un niveau différent, et tous les produits prohibés circulaient à profusion.
Dans l'underground, refuge des marginaux de toutes sortes, y compris néo-marginaux qui avaient refusé l'Etat Sanitaire, on était considéré en bloc comme indésirable, donc exclu. "Le jour le plus propre de l'année" lui apparaissant comme une opportunité pour secouer les consciences, un Indésirable jaillit de son égout en criant "Réveillez-vous, nous sommes des citoyens responsables, oui ou non ? " Les services omniprésents de l'Ordre Sanitaire l'anesthesièrent instantanément et l'évacuèrent vers les Bâtiments Blancs...
Ce conte inachevé s'adresse à tous ceux qui ne croyaient pas possible la loi Evin et n'imaginent pas imminente, aujourd'hui, l'attribution, par décret, à la MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie), de compétences... assimilant les vins et boissons alcoolisées aux drogues dures.
A votre santé !
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 369 du 21.05.99
"BONNOTTE", FAUSSES NOTES ET MAUVAISES NOTES
■ Même si vous vous souciez de la "bonnotte" comme de votre première grenouillère, notre propos d'aujourd'hui vous intéresse sans doute, quel que soit votre métier ou votre fonction, dans le secteur de la distribution dite "organisée".
La bonnotte, donc, "pomme de terre d'un jour" de Noirmoutier, faisait le 7 mai dernier, l'objet d'une mise en avant événementielle, dans les magasins de centre-ville d'une enseigne qui, précisément, a choisi la qualité de la vie en ville comme fer de lance de sa stratégie et de sa communication. Une opération pertinente, préparée avec la coopérative productrice, belle panoplie d'outils de communication à l'appui...
Naïve et intéressée, que fais-je?
Je me précipite, le jour dit, à la rencontre de la divine pomme de terre qui devait, selon toute logique, trôner au coeur du rayon fruits & légumes, dûment mise en valeur.
Certes, le magasin le plus proche de chez moi n'est pas l'un dé ces petits bijoux qu'on offre en exemple aux autres, quelle que soit l'enseigne. N'y décelant pas la présence du tubercule convoité, je tente de me renseigner : nul n'est au courant, le responsable de rayon n'est pas là, l'après-midi, (ce qui peut se concevoir), et si l'on estime devoir "réclamer", il faut prendre un rendez-vous avec le directeur du magasin. Oublions.
Par acquit de conscience, je fais un tour complet des rayons. Bien m'en prend, et, fort heureusement, j'ai une bonne vue. La bonnotte est bel et bien là, dans un box-palette aussi engageant qu'une présentation d'eau de source à prix d'appel, dépourvu de toute signalétique, dans un coin perdu. Par chance, la "chose" est conditionnée en caissettes d'1,5 kg, pyrogravées, indiquant de quoi il s'agit. En revanche, pas d'étiquetage/prix, et je ne lis pas l'avenir dans les lignes des codes/barres... Bref, je passe à la caisse, sans étaler mes états d'âme, et je souhaite que les clients intéressés fassent comme moi, qu'ils se débrouillent tout seuls. Question : l'enseigne en tirera-telle le légitime profit d'image envisagé par la centrale ? C'est à voir.
Mais je n'en ai pas fini avec cette pomme de terre décidément pas-comme-les-autres.
Un ami me téléphone. Je lui ai parlé de l'opération. Il me demande si je pourrais... Mais bien sûr. J'y cours, j'y vole. Cependant, j'aborde mon quartier par le versant chic, pour avoir le plaisir de rencontrer enfin "la présentation événementielle" annoncée, dans toute sa splendeur. Le magasin où j'entre est fréquenté par une clientèle " CSP plus ", comme on dit, et le panier moyen, l'assortiment en témoigne, doit faire des envieux. Lieu idéal pour un coup de charme.
Me croirez-vous si je vous dis que je n'y vois aucune bonnotte poindre à l'horizon?
Avec un certain entêtement, j'essaie d'en savoir plus.
Tiens, justement, une caissière me signale l'arrivée de la responsable du secteur.
La "quoi"? me répond celle-ci, en entendant le mot bonnotte, "je ne suis pas au courant.
Vous n'avez qu'à regarder dans le rayon".
Sur ce conseil tout juste poli et à peine courtois, je quitte les lieux, la tête pleine de questions relatives à l'utilité de se décarcasser/côté producteurs, centrales d'achat et marketing d'enseigne, sans oublier la presse, quand elle se donne la peine de se faire l'écho de leurs efforts... et je préfère demeurer dans le flou plutôt que de m'apporter à moi-même une réponse qui risquerait de porter un coup à l'optimisme avec lequel je m'efforce d'aborder chaque journée. Dans toutes les enseignes, et j'insiste, toutes sans exception, on constate, ici et là, la difficulté à faire descendre jusqu'au terrain les bonnes initiatives, les bonnes idées, les bons projets... mission impossible, éventuellement.
Mais comment faut-il s'y prendre pour être écouté et entendu, comment convaincre ?
Quels métiers faisons-nous? Pour qui? Dans quel but?
Vous, le savez-vous ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 370 du 28.05.99
BOULEVERSANTES NOUVELLES
■ Fin de siècle, fin de millénaire, on remet les compteurs à zéro ? Ah mais non, on va de l'avant, on ose, on change les mentalités.
Vous avez peine à me croire ?
Attendez. J'ai deux bouleversantes nouvelles à vous communiquer, de celles qui remettent tant de choses en question que j'hésite à les divulguer d'un seul coup aux cardiaques, aux émotifs, aux timorés.
Primo, "la ménagère de moins de 50 ans" a vécu. Vous pouvez, toutes affaires cessantes, l'effacer de vos préoccupations et de votre vocabulaire, et lui substituer, tous sexes confondus, les " 25/59 ans".
Secundo, le fameux "rapport qualité /prix", pierre angulaire de toute démarche commerciale, est, lui aussi, tombé en désuétude. Il va désormais falloir faire avec le "rapport valeur/coût".
Quand je vous disais que ça changeait tout...
Êtes-vous convaincus ?
Je vous sens peu enthousiastes. A mon avis, vous avez raison.
Pendant que nous nous livrons à notre sport favori, démêler des queues de singes et couper des cheveux en quatre, il se passe, sous notre nez et dans notre dos -mais il suffit de se retourner pour le voir- des choses graves qui ne nous font réagir que mollement/au travers des tamis et des filtres de mots édulcorants, ou qui ne nous font pas (ou plus) réagir du tout. Non, je ne pense à rien qui ne soit d'autre ordre que professionnel, et je trouve que j'ai du mérite à m'y tenir.
Au hasard, je ne peux pas m'empêcher de penser au bœuf américain. Nous avons déjà perdu la guerre de la banane, et nous avons été sanctionnés par des taxations abusives qui visent à déstabiliser radicalement nos industries du luxe et de la gastronomie, je n'ose pas parler de savoir-vivre, tout le monde s'en fout. Nous courbons une échine masochiste sous la pression des grands laboratoires qui produisent, entre autres, les OGM, ces inquiétantes créations des Frankenstein du végétal, et nous voilà mis en demeure de nous infuser le bœuf aux antibiotiques de croissance, à propos duquel 17 études scientifiques européennes tirent le signal d'alarme, face aux risques de rejet. Mais, c'est bien connu, les Européens sont des attardés qui ne savent rien de ce qui est bon pour eux.
C'est évident, il vaut mieux focaliser sur les 25/59 ans ou sur le rapport valeur/coût, c'est moins douloureux, et le fait de baisser les bras ou de tourner la tête pour ne pas voir, ça ne donne même pas de courbatures.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 371/372 des 04/11.06.99
ENFANCE, VERT PARADIS ?
■ " Il rote, il pète, et ça le fait rire ".
Qui ? Mais Furby, bien sûr, cette nouvelle invention de l'industrie américaine du jouet qui doit devenir la coqueluche de nos chères têtes blondes à Noël prochain.
Vous n'avez pas encore vu Furby ? C'est une peluche remplie d'électronique, dotée d'un site Internet, d'un langage, en plus des flatulences et éructations.
Naturellement, son " look " est craquant...
Alors ? Pourquoi se mettre martel en tête pour donner à nos enfants ce qu'on est convenu d'appeler de l'éducation, si l'on commence par céder à la tentation Furby ? Autant déclarer forfait tout de suite et admettre la dégénérescence de nos moeurs.
Certes, la situation n'est pas forcément démoralisante. Sans doute " l'exception française " est-elle encore capable de se manifester et de balayer rapidement Furby, comme elle a oublié les abominables tamagochis, comme elle a ignoré superbement le " galet apprivoisé " et la " poupée à adopter après l'avoir attendue 9 mois ", deux grands succès outre-Atlantique. Mais Furby laissera des traces dans la mémoire de ceux qui l'auront manipulé (ou qu'il aura manipulés).
Et même à supposer que nous puissions échapper totalement à Furby, il n'empêche que le métier de parents devient de plus en plus ardu. De quelque ordre qu'elles soient, les nourritures qu'on nous propose à l'intention de notre progéniture sont à examiner minutieusement, avec une connaissance quasi-encyclopédique de toutes sortes de risques, un esprit critique aiguisé et les moyens matériels permettant de mettre à la poubelle les achats dangereux, avant de les leur faire ingérer.
De la dioxyne, du mercure, des hormones de croissance aux OGM et tous résidus de pesticides, polluants de toutes natures ou tout simplement aliments qui sont une insulte au goût, tout ce qu'on peut mettre dans les assiettes a son équivalent dans les secteurs des loisirs et de la culture (ou prétendue telle).
Voilà ce que c'est que d'avoir laissé s'installer une société qui n'a d'autre finalité que le profit à court terme, ni d'autre aspiration que la satisfaction immédiate de vagues appétits. Pourquoi voudriez-vous que les inventeurs de jouets aient plus d'éthique que les fabricants de farines destinées à l'alimentation animale, par exemple ?
Tiens, je m'en vais relire Les Contes du Chat Perché, Les Histoires comme ça, Le Grand Meaulnes ou la Gloire de mon Père, ça va me refaire le moral.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 373 du 18.06.99
VALSE HESITATION DE L'ETIQUETTE
■ Si nous faisions valser les étiquettes ?
Non, pas dans le sens de la montée des prix, mais dans le sens dé leur contenu.
Plus trompeur qu'une étiquette assortie d'une contre-étiquette scrupuleusement remplies, dans le respect de toutes les réglementations en vigueur, il n'y a pas.
Comment, dites-vous ?
Dans le sens où l'étiquette, et la contre-étiquette, sont illisibles, à plusieurs niveaux.
A l'heure des grandes peurs alimentaires, dont les gens bien informés nous disent qu'elles ne font que commencer, l'étiquette revient au premier plan de nos préoccupations et sans doute serait-il nécessaire d'en réviser la conception. Nous ne nous apesantirons pas sur la taille des caractères, air connu : lire la liste des ingrédients, les conseils de conservation, d'utilisation, voire les dates limites "d'utilisation optimale" ou de conservation = mission impossible dans la plupart des cas, pour un œil qui n'atteint pas 10/10, encore que même pour celui-là, il y ait aussi des difficultés.
A supposer ce premier problème résolu, qu'est-ce qu'elle dit, l'étiquette ?
Que le produit est d'origine B, par exemple. Pourriez-vous me jurer, la main sur la conscience, que vous saviez ce que B signifiait, avant la mésaventure du poulet a la dioxyne ?
Elle peut dire aussi qu'il contient des colorants série E 100, des conservateurs série E 200, des antioxygènes série E 300, des émulsifiants, des stabilisants, des épaississants, des gélifiants série E 400, ou (et) encore des exhausteurs de goût, des acidifiants, des correcteurs d'acidité, des antiagglomérants, des agents d'enrobage, des arômes naturels ou des arômes tout court, ce qui veut dire qu'ils ne sont pas naturels... on ajouterait un raton laveur, le consommateur n'en serait pas autrement surpris ni mieux informé.
Passons sur la liste des ingrédients avant d'y perdre ce qui nous reste de latin. Et jetons un voile pudique sur les OGM.
Venons-en à ce qu'il est convenu d'appeler les "allégations". Savez-vous que "fermier", "de campagne", "à l'ancienne", peuvent signifier fabrication artisanale mais aussi faire allusion à une recette (un peu comme le signe de qualité européen STG, qui s'applique à une mozzarella danoise, entre autres)?
Nous n'avons pas la place de poser toutes les questions relatives aux mentions "d'origine", aux allégations nutritionnelles, au "responsable de commercialisation", sans oublier l'estampillage vétérinaire, et pourtant, il faudrait.
Certes, entre la question de l'étiquette et celle de la quadrature du cercle, on se demande à qui décerner la palme de la complexité, mais, en revanche, on ne peut que se féliciter de la politique de labellisation qui est la nôtre, et qui, en cas de crises rapprochées, constitue pour le consommateur français un point de repère, voir le poulet label rouge, dans la conjoncture actuelle. Un petit coup d'autosatisfaction, au passage, ça ne peut pas nous faire de mal.
Ah, j'oubliais, pour ceux que l'écologie intéresse, et qui commencent à s'apercevoir de la nécessité absolue d'arrêter le massacre de la planète (car nous n'en avons pas de rechange), il y a aussi, sur l'étiquette, pléthore de signes relatifs au recyclage ou à la biodégradabilité des emballages, ce qui n'en facilite pas la compréhension.
Est-ce qu'il ne pourrait pas y avoir une concertation rapide entre producteurs, commerçants, pouvoirs publics et consommateurs, qui donne des résultats concrets et raisonnables sur l'ensemble des sujets évoqués... et quelques autres ?
" A vos étiquettes, prêts ? Partez !
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 375 du 09.07.99
DECOMPRESSONS
■ Si elles ne se ressemblent pas (quoi que...), les saisons qui se suivent ont un point commun : chacune d'entre elles voit augmenter la pression qui s'exerce sur nous, tous autant que nous sommes. Au hasard, pression fiscale, économico-financière, médiatique, morale, que sais-je encore?
A cet égard, la "saison 98/99" s'est révélée excellente. Nous en avons vu, comme on dit trivialement, de toutes les couleurs. Guerre propre qui ne l'est pas, précarisation qui ne dit pas son nom, angoissante conjoncture environnementale, réglementations aberrantes inspirées par des règlements de comptes d'ordre administratif et technocratique à l'échelon national et international, dioxine, OGM, listéria, eaux polluantes dispensées pour l'arrosage des cultures, dopages dénoncés ou tenus sous silence en fonction des intérêts en jeu, arrivée d'une médecine à deux vitesses engendrée par son assujettissement à des gestionnaires prépondérants sur les médecins, analphabétisation galopante constatée mais "bac pour tous" progressivement vidé de son sens, sans oublier l'affligeante dégradation étalée sur la place publique des moeurs politiques (pour ne parler que de celles-là), la manipulation dont nous faisons l'objet de la part de manipulateurs eux-mêmes manipulés... avec, en prime, un tunnel qui tue et des paillotes qui flambent, d'innombrables mises en examen de "personnalités" dont on sait déjà qu'elles sont parfois responsables mais jamais coupables et qu'elles vont bien finir par trouver un lampiste à faire condamner à leur place...
Dans quel univers en folie avons-nous passé cette laborieuse et épuisante saison ?
Nous finissons par ne plus trop le savoir.
Donc, à mi-parcours de la dernière année du siècle et au millénaire, même si l'an 2000 ne fait pas partie du troisième millénaire, à ce qu'il paraît, nous nous devons de décompresser.
Soyez-en sûrs, c'est une question de survie, pour reprendre nos esprits et faire le point avec nous-mêmes. Décompressons, réfléchissons calmement, loin des tambours et trompettes des donneurs d'ordres et de leçons.
Nous aurons besoin de tout notre bon sens, de toute notre énergie à la rentrée. Les "chantiers" qui nous attendent sont nombreux, et leur profil peu réjouissant, alors préparons-nous, avec une bonne dose d'art de vivre, à retrousser nos manches dans un état d'esprit joyeusement pessimiste, si je peux me permettre cette antinomie.
Autrement dit, bonnes vacances à tous ! .
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 376/377 des 27.08/03.09.99
POUR UNE RENTREE DE REVE…
■ Pourquoi pas ?
On dirait que la rentrée nous inspirerait à la fois enthousiasme et grandes espérances.
On dirait qu'on arrête toutes les pollutions, à commencer par celles de l'air et de l'eau. On ne gaspillerait plus. On n'irait pas sournoisement déverser des déchets un peu au hasard, sous couvert d'anonymat, jusque dans les nappes phréatiques profondes, en sachant qu'elles sont muettes et n'iront pas alerter les médias...
A propos de médias, on dirait qu'ils deviendraient des repères responsables et non des boussoles affolées dont le Nord n'indique que la direction de la Voix de son Maître, à savoir celle des grands intérêts multinationaux et celle de l'audimat.
Puisqu'on parle d'audimat, il changerait de paramètres, deviendrait qualitatif plutôt que quantitatif, le surnombre des imbéciles ne devant plus sanctionner la minorité de plus en plus silencieuse des gens intelligents.
Pour les gens intelligents, ils secoueraient leur torpeur, prendraient le chemin de l'action, au lieu de hausser les épaules avec des " Bof " désabusés et impuissants.
Puisqu'on en est au chapitre de l'impuissance, on lui trouverait des remèdes, pas le viagra, bien sûr, et l'on cesserait d'accepter les diktats et les règles du jeu changeantes que nous imposent nos " semblables " d'outre-Atlantique, entre autres.
Ceux-là, d'ailleurs, conquis par notre inimitable " way of life ", reprendraient le chemin de la contestation de la belle époque du Peace and Love, pour réclamer à Monsieur McDonald, la truffe, le foie gras, la moutarde, le Roquefort, et quelques autres " babioles " qui leur font gravement défaut, et ils s'indigneraient haut et fort de voir les " succès " militaires au Kosovo servir d'arguments publicitaires à leur armement militaire...
Tandis que dans le village d'Astérix, nous nous mettrions à cultiver notre " exception " pour ce qu'elle a de positif, idem pour notre mémoire, avec le soutien d'une Administration intelligente qui consacrerait son pouvoir à développer nos talents, au lieu de proliférer négativement comme un gigantesque cancer qui contamine toutes les cellules vivantes autour de lui.
Alors, elle ne serait pas belle, la rentrée, avec quelques Si ?
A propos, " Si " l'on ne peut plus rire, qu'est-ce qu'on va faire d'agréable ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 378 du 10.09.99
TRANSPARENCE OU TROMPE-L'ŒIL ?
■ Avec l'obligation de double affichage sur certains fruits et légumes, destinée à mettre un emplâtre sur une vieille revendication syndicale agricole, un Everest de l'absurdité a enfin été conquis. La performance figurera-t-elle au Guinness des records ?
Il n'a pas échappé aux petits commerçants que la cible visée, la grande distribution, était loin d'être la plus atteinte.
Il n'a pas échappé non plus aux consommateurs que la transparence escomptée n'était qu'un leurre, tandis que la complexité d'interprétation des informations d'étiquetage s'aggravait.
Quant aux producteurs, ils n'expriment pas une satisfaction même relative, à moins que les tonnes de fruits et légumes déversés ça et là ne soient une façon inédite de manifester l'allégresse...
Le trompe-l'œil est un art. N'y réussit pas qui veut. Le grossier effet de pseudo- transparence qu'on nous propose ne satisfait ni le regard ni l'esprit de quiconque.
En revanche, on est amené à poser à fond la question de la transparence et à élargir le débat.
La transparence : soit. Mais alors, qu'elle soit totale.
Déshabillons le prix jusqu'au squelette, disséquons les coûts de production, de logistique, de mise en rayon, épluchons les bulletins de salaires, de celui de l'arroseur de tomates à celui de l'emballeur, du manutentionnaire, de la caissière, du transporteur... sans omettre la mise en lumière des taxes, charges, impôts divers qui assortissent notre moindre éternuement.
A ce petit jeu, la transparence mettra au moins une évidence au premier plan de l'actualité : le perdant, dans tous les cas de figure, ce n'est ni l'agriculteur, ni le transporteur, ni le commerçant, ni le consommateur, c'est le citoyen.
Revendiquons donc la transparence absolue, à l'égard du prix des produits et services privés ou publics auxquels nous avons accès, et, pendant que nous y sommes, revendiquons la transparence sur l'usage des fonds publics copieusement puisés dans nos poches, par les moyens légaux, purs et sans reproches, que nous connaissons tous.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°382/383 des 08 et 15.10.99
MERCI MONSIEUR MICHELIN
■ Cynisme ? Naïveté ?
Allons donc.
L'effet d'annonce bénéfices/licenciements chez Michelin ne peut pas être autre chose qu'un message fort, en direction du public. Ce message a plusieurs mérites, celui de refuser l'hypocrisie habituellement inhérente aux annonces de restructuration, celui de révéler l'impuissance des pouvoirs publics face au système économique mondial (rappelez-vous Sartre et l'Engrenage), celui de réveiller les foules.
Dire haut et fort, voilà où nous en sommes, la finalité de l'entreprise n'est pas sa bonne santé, mais la satisfaction des marchés financiers, sur le ton neutre du constat, et sans manifestation d'état d'âme, cela tombe comme un couperet, et c'est peut-être salutaire, si nous sommes à même de réagir.
C'est une façon de mettre à la portée de toutes les oreilles un air connu, mais apparemment mal mémorisé : les hommes ne sont plus que des variables d'ajustement des marchés financiers.
Si nous n'avons pas compris que cela nous concerne tous, et pas seulement une poignée de salariés (que cette poignée représente quelques centaines, quelques milliers ou quelques millions d'hommes), c'est que nous sommes ramollis du bulbe, comme on dit dans les salons.
Reste à savoir si cela va nous amener, chacun et collectivement, à réviser nos positions à l'égard de cette charmante société. Cela va-t-il amener les syndicats, par exemple, à ne plus se tromper d'ennemi ?
Et, dans l'hypothèse où Michelin ne s'appellerait plus Michelin mais Goodyear, quelle serait leur attitude ?
Cela va-t-il nous rendre curieux de connaître l'état des lieux de notre économie, française, européenne et mondiale ? Cela va-t-il nous amener à chercher d'autres voies et d'autres objectifs ? Allons-nous en finir avec ce que nous pourrions appeler un fatalisme démissionnaire ?
La balle est dans notre camp. Et quel que soit notre futur, merci monsieur Michelin d'avoir brutalement tiré le signal d'alarme.
Faute de pouvoir mieux faire...
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°384 du 22.10.99
AUTREMENT
■ Plutôt que de foncer tête baissée dans le jeu de quilles de ce qui nous dérange ou nous exaspère, n'est-il pas plus sage et plus efficace d'emprunter d'autres chemins, buissonniers parfois, et de contourner l'obstacle ?
Même si nous allions couper des têtes dans la mal-bouffe rapide, elles repousseraient double, comme celles de l'hydre de Lerne. Car c'est nous qui alimentons la bête avec nos comportements incohérents et notre façon de céder à la loi du "toujours plus vite".
Connaissez-vous "Slow Food" ? En feuilletant, par hasard, une revue qui porte ce titre, j'ai découvert un mouvement (qui n'a rien d'une secte, rassurez-vous), né à Bra, dans le Piémont, en 1989.
J'ai toujours été admirative de la façon dont les Italiens se mettent au-dessus ou en dehors de ce qui les fâche, avec des pirouettes felliniennes, si je peux me permettre ce néologisme.
Qu'une réaction épidermique à l'ouverture rapprochée de deux "fast food" dans une petite ville, sur l'autre versant des Alpes, ait fait naître un projet culturel devenu international qui compte plus de 4 000 membres dans 35 pays aujourd'hui, conforte mon point de vue.
Slow Food développe des programmes d'éducation du goût, de rencontres oenogastronomiques et dégustations, de cours de cuisine, voyages, jumelages internationaux destinés à favoriser l'échange de saveurs et de cultures diverses, édite une revue sur la culture alimentaire à travers le monde, superbement écrite, documentée et réalisée, et s'est lancé dans un projet scientifique ambitieux "l'arche du goût", pour sauver la planète des saveurs... quelle réponse et quelle résistance à la Fast Life contre laquelle se soulèvent des gens d'un peu partout ! (et ne faisons pas cocorico, les Français ne sont pas les plus actifs).
D'accord, ce n'est pas cette attitude qui donne du pain au tiers ou au quart monde, comme vous objectent avec une grande mauvaise foi les mal-pensants. Mais, soit dit en passant, la mal-bouffe et le mal-vivre non plus, que je sache.
Alors, keep cool, "slow food" et vive le symbole de ce mouvement, l'escargot, dont la lenteur même est devenue avant-gardiste.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N°385 du 29.10.99
HANDICAPES DE LA COMMUNICATION
■ Tout occupés à nous mettre les yeux au carré sur les écrans de nos ordinateurs, nous n'avons guère le loisir de nous interroger sur la réalité et sur le devenir de la communication.
Avant toute chose, nous ne nous inquiétons pas de voir la forme prendre le pas sur le fond, les petites images envahir l'espace et cacher l'essentiel, qui est toujours "ce qu'on ne voit pas", parole de Petit Prince.
Ensuite, nous effaçons d'un seul "clic" les oubliés de cette fameuse communication multimédia qui se met à tirer plus vite que son ombre ou, si vous préférez, à devancer l'événement qui devait la susciter, gommant ses contours, ses causes profondes, ses incidences et sa signification.
Oubliés, exclus de la nouvelle communication, le tiers monde et le quart monde, pour cause de coût d'équipement, ce qui n'est pas innocent, et l'on viendra nous parler des bienfaits de la mondialisation.
Oubliée, exclue de la communication tout court, la population grandissante des analphabètes et des illettrés qui errent, en quête de signes, dans notre jungle civilisée, et, soit dit en passant, on pourrait aussi s'inquiéter de l'avènement de ces nouveaux autistes du multimédia dont l'unique langage est celui du PC ou du Mac et qui n'ont plus de verbe en commun avec le reste du genre humain. Mais ceci est une autre histoire... qui ne fait que commencer.
Qui parle à qui ? Où est passé l'art de la conversation ?
Une femme, dans la rue, s'est adressée à mon chien. Je lui ai demandé pourquoi. "Si l'on ne parle pas avec les animaux, alors avec qui ?" m'a-t-elle asséné comme une évidence. Je suis restée sans arguments.
Quand j'entends le mot communication, j'hésite, en sortant mon mouchoir, entre les larmes du fou-rire et celles du chagrin. Le décervelage commence à la maternelle et le vide peuplé d'images des nouveaux livres scolaires donne le vertige.
Les mots deviennent rares et ressemblent de plus en plus à des carapaces abandonnées par des animaux en train de muer. Vite, devenez collectionneurs de mots remplis de sens, et faites visiter vos collections à vos amis.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 386/387 des 05/12.11. 99
AU NOM DU PROFIT
■ Chasse aux sorcières, chasse aux iconoclastes, on s'indigne, jusqu'à les poursuivre en justice, de la propension des comiques à rire de tout au mépris du potitiquement correct. Au passage, on gratifie Coluche d'un coup d'encensoir, "les morts sont tous des braves types" comme chantait Brassens, et surtout, ils sortent rarement de leur tombe, même en période d'Halloween, alors pourquoi ne pas les récupérer, ça fait "large d'esprit" et ça peut toujours servir.
Donc, chassons le comique et que cela ne nous empêche surtout pas, faute de rire, de faire du fric malodorant, avec ce que nous interdisons aux saltimbanques. Si l'on ne peut pas rire de tout, on peut faire du profit avec n'importe quoi.
Est-il admissible de voir naître un site Internet qui propose des ovules de Top Model à la fécondation in vitro ?
Est-il raisonnable de vendre des réveillons du millénaire dans des pénitenciers désaffectés ?
Est-il imaginable que nous ayons frôlé l'ouverture d'une boîte de nuit (dont l'autorisation avait été obtenue, puis annulée) sur le site du camp d'Auschwitz ?
Flatter, devancer, susciter, les désirs les plus inavouables, voire les plus malsains et pervers, de nos contemporains, au nom du profit maximum, je ne sais pas comment vous appelez ça,
mais c'est choquant, indécent, anormal. Tous les mauvais coups ne sont pas permis, ou alors, trouvons naturel et acceptable pour la conscience -sans vouloir évoquer la notion de morale- de voir mettre en marché des enfants sur les trottoirs de Manille ou Bangkok, ou des esclaves sur les machines à coudre, et autres, du tiers-monde, et ainsi de suite...
Qu'on ne vienne pas nous dire que le profit est forcément sale, ou nous sortons notre Max Havelaar, pour faire honte à ceux qui font flèche de tout bois.
D'accord, c'est sûrement moins facile de faire du fric, beaucoup de fric, avec un sens de l'éthique que sans, et plus simple d'avilir ses contemporains que de les améliorer. Mais, à l'instant d'entrer dans un millénaire surpeuplé d'êtres humains, ne serait-il pas utile de s'interroger sur notre responsabilité face au profit ?
Que le premier d'entre vous qui trouve mes propos réacs et dépassés m'adresse ses arguments, je lui promets de les prendre en considération et d'y répondre.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 388 des 19.11. 99
TU CAUSES, TU CAUSES...
■ On est souvent tenté d'emprunter à Queneau quelques unes des expressions qui font un enchantement de "Zazie dans le métro". Tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire, par exemple.
Devant la multiplication des tribunes, colloques, forums, congrès, symposiums et j'en passe, on est fondé à se demander : est-ce bien nécessaire? Est-ce bien utile ? Est-ce bien répercuté ?
Nécessaire, toute réflexion commune sur des sujets touchant à notre avenir, à notre devenir, à celui de notre planète, nul ne peut en douter.
Utile, c'est déjà une autre paire de manches, comme disait ma grand'mère qui était couturière. Utile, certes, si retrousser ses manches, précisément, suit la réflexion. Utile si la réflexion engendre l'action au lieu de demeurer le fait marginalisé de quelques utopistes.
Utile, si la règle du jeu n'a pas été truquée dès l'origine, si le débat est un vrai débat, et si les intervenants ont, selon la terminologie judiciaire, un vrai témoignage à délivrer "en leur âme et conscience", et la volonté de voir la lumière naître de la discussion au lieu de camper sur des positions figées, voire tendancieuses et souvent électoralistes, tous secteurs d'activités confondus.
Venons-en au dernier point, celui de la répercussion.
A cet endroit, force nous est de constater que l'être humain, submergé d'informations de tout acabit, sollicité par des messages d'inégale importance, n'est pas outillé pour tout absorber, n'ayant pas le cerveau extensible, d'une part, et, d'autre part que les priorités des maîtres de l'in- formation ne vont pas forcément (dirons-nous par euphémisme) vers "ce" qui exige le temps de la réflexion.
Alors, que faire ? A chacun son choix.
De mon côté, je pencherais pour continuer à écoper avec un dé à coudre notre Titanic, puisque nous ne sommes pas Superman... et vogue cette immense galère sur laquelle il vaut tout de même mieux être lucides et solidaires qu'inconscients et isolés.
Avez-vous mieux à proposer ?
FAIRE SAVOIR - N° 389 du 26.11.99
CATASTROPHES NATURELLES
■ Les riverains du Têt, de l'Agly, du Tarn ou de l'Aude, trouvent-ils le réconfort dans l'assurance qui leur est donnée de la "solidarité nationale" ?
Peut-on se consoler de voir disparaître au fil de l'eau toute une vie ?
La solidarité nationale me fait irrésistiblement penser à ce site internet sur lequel il suffit de "cliquer" pour faire débiter son compte en banque des quelques francs supposés assurer un repas à un lointain enfant du tiers-monde. Solidarité, cela signifie-t-il conscience ?
Catastrophes naturelles, dit-on, c'est mal évaluer la responsabilité qui nous incombe dans la rébellion du climat et des éléments. La terre qui nous vomit ne fait que nous rendre nos propres mau- vais procédés.
On peut bien rassurer l'opinion publique avec des enquêtes dont elle se lasse avant d'avoir vu la fin, on peut bien jeter un voile sur le passé et, parfois, faire passer un lampiste devant une quelconque cour de justice, ce ne sont que des leurres. Tout continue comme avant.
Transformation irresponsable de la nature, destruction des équilibres écologiques, autorisations de construire inconsidérées, tout cela procède de la même loi, celle de l'intérêt, qu'il se prétende général ou s'avoue particulier.
Le résultat est toujours le même (quoique, de nos jours, le processus s'accélère) : un petit nombre s'enrichit, un grand nombre s'appauvrit, et l'exemple des microcosmes se reproduit à échelle nationale, continentale et planétaire.
Les catastrophes "naturelles" se suivent et ont tendance à se ressembler. Gageons que nous irions propager notre gangrène jusqu'aux frontières de la galaxie si nous y trouvions des richesses exploitables moyennant aménagement du territoire.
Combien de catastrophes "naturelles" sommes- nous encore capables de déclencher, avant d'en causer une qui soit définitive ?
Ce serait une bonne question à placer en exergue de tout ce qui va se dire et se contredire aux prochains débats de Seattle, par exemple.
Mais nous reviendrons sur ce sujet-là la semaine prochaine.
FAIRE SAVOIR - N° 390/391 des 03/10.12.99
BONS BAISERS DE SEATTLE
■ Manifestations, un peu partout, pour signifier que le monde n'est pas une marchandise : l'OMC à Seattle risque d'être contraint à la vigilance à l'égard de l'opinion publique qui commence à entrer dans la maturité de réflexion sur la mondialisation.
José Bové est à Seattle, c'est bien. Il serre la main d'un paysan américain broyé, lui aussi, par une globalisation économique conçue par le capital pour le capital et non par l'homme pour l'homme. Bravo.
Michael Moore, armé de dérision jusqu'aux dents, amène les capitaines d'industrie américains à dire, devant sa caméra, ce que Michelin nous a asséné en déclenchant le scandale, à savoir qu'une entreprise qui fait de gros bénéfices est poussée à licencier pour accroître sa compétitivité. L'homme de Flint (Michigan) partage, par ailleurs, les bénéfices de son film "The Big One" avec les chômeurs de sa ville natale.
Bien joué. Et ce n'est pas parce qu'il ne fera pas le même nombre d'entrées que Tarzan-Mickey ou le Titanic que le message ne sera pas entendu, compris, amplifié par un bouche-à-oreille qui méprise la langue de bois.
Qu'ils continuent, les secoueurs de consciences endormies, qu'ils nous fassent réagir, comme le font aussi les cinéastes d'outre-Manche, avec des "Virtuoses" ou des "Full Monty".
Tous les langages sont bons, tous les coups sont permis et le rire est autorisé, vous savez, la fameuse politesse du désespoir !
Oui, tout est d'une importance capitale pour faire percevoir à ceux qui ne peuvent pas ou ne savent pas s'exprimer qu'ils sont majoritaires sur cette planète à vouloir un autre monde que celui que les cols blancs aux mains propres (sic) nous préparent.
Il n'y a pas une voie unique. Il n'y a pas une pensée unique. Il n'y a pas d'irréversibilité du système. Cela commence à se savoir et à se faire entendre.
Ah que l'OMC, le BIT, le FMI, et autres institutions vont avoir de nouveaux paramètres à faire entrer dans leur organisation et leur répartition marchande du monde, sachant que ce n'est pas l'exclusion culturelle qui est en question mais l'exclusion humaine.
Bons baisers de Seattle, de Flint, du Larzac et d'ailleurs, les réjouissances populaires de l'an 2000 risquent de se passer ailleurs que dans les parcs de loisirs et autres paradis de faux-semblants, oui, finalement, si l'on retrouve l'art de désobéir, l'entrée dans le nouveau millénaire ne manquera pas de sel.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 392 du 17.12.99
OU EN SOMMES-NOUS AVEC LE TEMPS?
■ Point de repère universel, les humains ont bien des démêlés avec le temps. Si l'on en juge d'après les derniers tours que nous joue le fameux passage à l'an 2000 avec nos programmations informatiques, ou d'après les crêpages de chignon sur le véritable moment d'entrée dans le troisième millénaire, nous ne sommes pas au bout de nos soucis.
Prenons la chose avec le sourire. Après tout, nous ne parviendrons jamais à mettre nos pendules à l'heure, heure d'été, heure d'hiver, ni à harmoniser nos horloges, biologiques, psychologiques et autres.
Quant à parler du temps "réel", une belle idée saugrenue de notre temps saugrenu, si nous commençons à disserter sur l'association des deux termes et sur les notions de temps et de réalité, nous aurons largement traversé la fin d'année et passé la date du 1er janvier sans avoir seulement établi les limites du débat. Remarquez, pourquoi pas ? Le temps des 35 heures est là pour nous donner le temps des loisirs à perte de vue pour épiloguer sur le temps, justement. Vous n'êtes pas séduits ? D'accord.
Donc, oublions les calendriers, le nôtre, le chinois, le juif, le musulman et tous les autres, et cessons de nous poser des questions insolubles sur le bien-fondé de la date du début de l'ère chrétienne, de la naissance de Jésus-Christ et ne cherchons plus l'âge du capitaine.
Vous ne trouvez pas qu'il y a suffisamment de bruit et de confusion sans ça ?
Notre suggestion, c'est d'arrêter tous ces débats stériles, et de prendre "notre" temps, selon l'expression consacrée, pour "nous" faire une fin d'année en beauté, en douceur, en paix, pour autant que cela soit possible. Disons que, au moins relatives au temps, nous enterrons nos vieilles querelles. Disons que le temps des fêtes travaille pour nous.
Disons que le temps de vivre est fait, parfois, de moments agréables que le carbone 14 ne saurait dater. Disons que l'air du temps, en attendant la fin des temps, pourrait bien "suspendre son vol" pour que les petits bonheurs qui passent prennent des allures d'éternité.
C'est ainsi que Faire Savoir Faire vous invite à profiter de la fin d'année...
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 393 du 12.01.2000
LES 35 HEURES, UN CHANTIER DE L'AN 2000
■ Bon gré, mal gré, nous serons tous confrontés à la mise en pratique des "35 heures", le système proposé ayant au moins un mérite, celui de faire la quasi-unanimité de l'opinion publique contre lui.
Ne nous méprenons pas sur les raisons du mécontentement : tout le monde adhère au principe de réviser le temps de travail dans le sens de l'amélioration de la qualité de la vie et dans l'objectif de faire entrer dans le monde du travail ceux qui n'y ont pas accès. Ce qui fâche, c'est la conception du système et la façon de l'imposer, qui raye de nos vies actives, d'un seul coup de règlement, les notions de compétence, d'expérience, de talent, de recherche, d'imagination, d'habileté, d'ingéniosité, de force, de sens et de goût de la responsabilité, de progrès... et quelques autres particularités qui font de nos différences un ferment d'enrichissement permanent.
Bref, une fois de plus on amalgame les notions d'emploi et de travail, on comptabilise et l'on gère le non-comptabilisable et Pingérable, comme si les 35 heures des uns étaient les 35 heures des autres, comme si tous étaient inter-changeables et indistincts.
J'en étais là de mes réflexions, quand me sont tombées du ciel (ou presque) des nouvelles du Commandant de l'Abeille Flandre. Elu Breton de l'année, avec son équipage, par le Télégramme de Brest, Charles Claden a connu l'une de ces fins d'années dont on peut croire qu'elles n'existent que dans l'imagination des grands romanciers d'aventure : sauvetages en mer successifs et rapprochés, dont le périlleux remorquage de l'Erika, par creux de 12 mètres (même si l'on n'est pas marin, on peut se faire une idée), sur fond de jours et nuits sans sommeil où les alertes se multipliaient. Aventurier, mais aventurier par mûre réflexion, destin d'exception, mais destin d'exception choisi, Charles Claden, Carlos pour ses hommes et pour ses amis, tutoie le danger, en toute simplicité quotidienne...
... Alors la technocratie de Pégalitarisme, ses 35 heures, ses petits calculs, ses trois-huit et ses heures supplémentaires contingentées, est-ce que cela pèse quelque chose, face à une telle réalité ?
Cela m'inspire un certain optimisme. Je me dis que, tant qu'il y aura des Carlos, nous aurons le ressort de fossiliser les 35 heures pour éviter le risque de nous fossiliser nous-mêmes.
Rassurons-nous, nous sommes inégaux devant le travail comme ailleurs, et c'est heureux.
L'an 2000 peut commencer, nous aurons d'autres chantiers plus importants que celui des 35 heures.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 396 du 04.02.2000
NTM OU BTM ?
■ Le groupe NTM va-t-il changer de nom ? Cette insolente question est née de l'absence de bug (ou de bogue), appelez-le comme vous voudrez, au passage à l'an 2000. Bogue Ta Mère est devenu, aujourd'hui, le nec plus ultra de l'insulte, et, certainement Joey Starr ne va pas prendre le risque de se laisser dépasser sur son terrain de prédilection.
Trêve de plaisanterie. L'addition technologique mondiale préventive du bogue annoncé sur l'informatique, terrifiant, cosmique et dévastateur, est pour le moins salée, aussi floue qu'en soit la fourchette. C'est bien simple, au vu du nombre de zéros derrière l'unité, on attrape le vertige des profondeurs.
C'est tout payé en peau de citoyen, en fin de compte, alors à quoi bon s'inquiéter ?
Cependant, cela relance le débat de notre condition permanente d'otages de la technologie, à des titres divers, alors que celle-ci devait nous simplifier la vie, être à notre service, tant à titre professionnel que personnel.
A propos, faites-vous partie des quelques millions d'individus qui attendent un remboursement de la Sécurité Sociale, remis aux calendes grecques pour cause d'engorgement dû à l'informatisation de ses services ?
Est-ce donc trop demander que de vouloir recevoir le mode d'emploi et la FORMATION UTILE en même temps que le matériel ? Est-ce que vous n'en avez pas assez d'être pris pour un imbécile parfait face aux machines ? Est-ce bien normal qu'au lieu de vous dire comment ça marche pour ce que vous voulez en faire, on s'évertue à vous inculquer, dans un langage abscons, des données qui ne concernent que le concepteur et les fabricants, voire des amateurs du même type que ceux qui ont passé leur enfance à éventrer les ours en peluche, leur adolescence à démonter les vélos et motos, leur âge adulte la tête sous le capot de leur automobile ?
Est-ce vraiment si excentrique que de vouloir considérer un ordinateur comme une machine à écrire, à compter, à dessiner, à organiser, sur laquelle on peut compter ?
Riez si vous voulez devant la naïveté de ces propos.
Pour notre part, nous continuerons à les tenir, dans l'espoir d'être entendus, voire écoutés, et, dans le meilleur des cas, d'obtenir une réponse, ce qui a peu de chance de se produire si nous restons muets.
Quelqu'un a-t-il une meilleure suggestion à faire ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 397/398 des 11/1 8.02.2000
EXCEPTION PLURIELLE
■ Cette exception française, qu'il conviendrait de mettre au pluriel, compte tenu de la multiplicité de ses secteurs et modes d'expression, ne serait- elle qu'un leurre ?
Si l'on y regarde de près, on trouve, c'est vrai, une rassurante panoplie de règlements et de décrets destinés à défendre nos différences.
Mais, si l'on y regarde encore de plus près et si l'on observe l'évolution de ces outils administratifs, on les voit s'acheminer vers une complexité souvent réductrice, voire contradictoire, au point qu'ils finissent par favoriser l'inverse de ce qu'ils étaient présumés défendre, un peu comme si l'on avait inventé le marteau à se taper sur les doigts.
Se mettre en conformité est-il fatalement synonyme de standardiser ?
En matière alimentaire, outre une lenteur à réagir qui a privé de protection l'appellation de certains produits -et non des moindres- nous n'en finissons pas de faire deux pas en avant pour reculer de trois dans la minute qui suit.
Il y a quelques semaines, je recevais, de la petite coopérative oléicole du moulin de Coudoux (ne cherchez pas, c'est tout près de Salon de Provence), un document en forme d'appel au secours : "Un règlement européen soumet les huiles d'olive vierge à un agrément gustatif effectué par un simple jury qui a oublié la saveur de notre terroir pour s'aligner sur le goût industriel. Se référant à ce règlement, on veut nous interdire la commercialisation de notre huile sur la seule base de son goût non conventionnel..."
Et nous, les petits coqs gaulois, les petits Astérix, les champions du droit à la différence, nous lais- sons passer ça ?
L'huile de Coudoux, pressée à l'ancienne, est appréciée par des amateurs de nombreux pays, elle est caractérisée par un fruité exceptionnel, et c'est précisément ce qui est mis en question, et ça nous laisse de marbre ?
Est-ce que nous allons laisser standardiser le contenu de nos assiettes, édulcorer nos goûts, et pourquoi pas aligner nos comportements, nos poids, nos tailles et nos tours de tête sur un comportement standard/mondial/medium ?
A nous tous de répondre à la question, après tout, c'est notre responsabilité, non ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 399 du 25.02.2000
TIMOREE, HYPOCONDRIAQUE, PUSILLANIME…
■ Voilà ce que notre charmante société est devenue.
Voilà dans quoi nous baignons en permanence.
Comment nous débarrasser de toutes ces béquilles pour marcher normalement ?
Il faudrait réapprendre à mettre un pied devant l'autre et à continuer dans cette voie. Mais notre société semble avoir passé l'âge des apprentis- sages. Autant l'enfance et l'adolescence y sont propices, autant l'âge adulte a du mal à s'y mettre et, passée la maturité, cela tient de l'exploit marginal.
Notre société est vieille et ne semble pas apte à la sagesse qui devrait être l'apanage de l'âge. Elle se recroqueville et décourage les attitudes ouvertes et audacieuses. Rien ne pousse qui que ce soit à se jeter à l'eau avant de se poser la question de savoir si ça mouille, nul n'est incité à régler tout seul ses problèmes sans crier Allô Maman Bobo en s'accrochant aux jupes des avocats et des juges, aucun individu normal n'est encouragé à encaisser les coups de la vie sans faire exploser le chiffre d'affaires des pharmaciens et des guérisseurs de l'âme. Quant à poser les bonnes questions et à se les poser à soi-même, c'est formellement ou informellement déconseillé.
Nous vivons dans une sorte de cocon faussement protecteur, bercés par des mots édulcorés et des discours aux résonances de coquilles vides.
Donner un coup de pied dans la termitière ? Pour s'enfoncer dans le mou ? A quoi bon !
Est-ce que vous vous demandez pourquoi les Français, qui répugnent depuis toujours à s'expatrier, commencent à prendre le chemin de pays lointains où l'aventure de la vie semble encore possible ?
Certes, ce n'est pas une solution accessible à tous.
Mais, si vous êtes tenus de rester sur place, avez-vous pensé au pouvoir des mots ?
Imaginez-vous quel soulagement vous éprouveriez en secouant la terminologie en vigueur, celle du politiquement correct, dont on parle moins, puisqu'il est devenu un état général ?
Si vous êtes aveugle, refusez d'être traité de non-voyant, si vous avez perdu en compétition sportive, refusez d'avoir "manqué de réussite", si vous crevez de faim, refusez d'être étiqueté comme vivant au-dessous du seuil de pauvreté... réapprenez à parler vrai, cru, juste, faute de mieux.
Essayez, ça ne coûte rien, et c'est peut-être, plus qu'un exutoire, le commencement d'une prise de conscience qui peut être contagieuse. On peut au moins l'espérer.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 400 du 03.03.2000
DES CHOIX ET DES MARQUES
■ L'annonce, par Unilever, de l'abandon de près de 200 marques, de la fermeture d'une centaine de sites de production, et de la suppression de quelque 25 000 emplois, va ranimer nombre de débats, dont celui sur "la marque".
Le bien-fondé de la marque, son contenu, sa communication, sa vocation de repère, sa durée de vie, parlons-en, justement.
Contrairement à ce qui avait été prophétisé à la fin des années 80, la marque n'est pas appelée à disparaître, nous avons besoin des marques et nous ne sommes pas prêts à nous en passer. Ce qui change, dans la marque, c'est... nous. Avec nos modes de vie, nos moeurs, nos humeurs en mutation accélérée, nous attendons de la marque quelque chose de différent, et pour cause.
Entre la marque universelle, dont Coca-Cola demeure l'archétype envié, même si cette situation repose sur le blood-sweat-and-tears de ceux qui ont en charge son maintien et son développement, et les "petites" marques, tribales, comme on dit aujourd'hui, hormis la taille, il y a plus d'un point commun ; par exemple, toutes doivent tenir une promesse forte et spécifique correspondant à des attentes différenciées d'une population à géométrie et à sensibilité variables.
Sans fracas excessif, Danone, qui avait accompagné une génération Carambar et une génération Danino, correspond, au fil du temps, à une génération Danette, voire Danao...
Calvin Klein, contre toute attente des experts es marketing (en dehors de ses propres experts), a rencontré sa cible, avec une marque aujourd'hui synonyme d'une nouvelle approche des sous-vêtements et du parfum. Sans parler des marques/enseignes et des marques d'enseignes qui font mouche pour raison de parfaite adéquation entre leur contenu et une attente induite, enfin satisfaite, des consommateurs insondables que nous sommes, n'est-ce pas, Zara, n'est-ce pas, Reflets de France ?
Les marques ont plus que du bon, elles sont nécessaires et font avancer nos moeurs autant qu'elles en accompagnent l'évolution.
Alors, vive la marque, sa diversité, son animation, ses inventions publicitaires. A propos, avez-vous vu le film TV du téléphone portable Ola ? Ne dites pas que ça ne vous a pas fait rire, et le rire est une denrée rare, alors, merci la marque.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 401/402 des 10/17.03.2000
INTELLIGENCE + HONNETETE = PECHE CAPITAL
■ Pire qu'un scandale, le fait d'avoir traîné en justice le jeune informaticien Serge Humpich, est une énorme bêtise, une manifestation d'incompétence, d'inconscience et d'irresponsabilité de nos sommités bancaires, et sa condamnation n'est certainement pas à porter à l'actif glorieux de la justice.
Dans notre société, il est dangereux d'inventer et déconseillé d'être honnête.
Tandis que les hackers se multiplient, apportant chaque jour de nouvelles preuves de l'insécurité des systèmes de protection de nos vies privées, de nos entreprises, à commencer par celle de nos systèmes de paiement par cartes de crédit, Serge Humpich s'est permis de trouver la faille dans la puce de la carte bancaire. Non content d'avoir réalisé cet exploit, voilà-t-il pas qu'il s'avise d'alerter les Pontes de la Carte Bleue et de leur proposer ses services pour sécuriser ladite carte.
Résultat des courses, il est condamné, non seulement à une peine de prison (avec sursis, mais peu importe), mais à se tenir à l'écart de ces objets de tentation que sont les ordinateurs.
On espère ainsi dissuader les petits génies de l'informatique d'effectuer des recherches INTERDITES. On ne croit pas rêver, on croit faire un cauchemar.
On se dit que si ce jeune homme intelligent et prometteur avait eu la bonne idée d'être malhonnête et anti-social sans état d'âme, il n'en serait pas là, à penser, peut-être, qu'on est souvent puni pour ce qu'on fait de mieux.
Ne soyons pas inquiets pour Serge Humpich. Il ne manque pas de terres d'accueil à travers le monde pour offrir aux têtes pensantes une place au soleil, un pont d'or, et l'exploitation ouverte et officielle de leurs talents. C'est malheureusement souvent au prix de l'exil, mais les espoirs de retour ont un goût de revanche qui n'est pas désagréable...
C'est plutôt pour notre société qu'il y a lieu de s'inquiéter, si vous voyez ce que je veux dire. Nous vivons au début du troisième millénaire avec des archaïsmes et des étroitesses d'esprit médiévaux, et nous avons encore la naïveté de nous scandaliser de la fuite des cerveaux formés dans nos écoles et nos universités.
J'ai bien envie de dire que nous méritons d'être largués, espionnés, piratés, pillés et ridiculisés, les nombreuses fois où cela nous arrive. Comme nous méritons la corruption, et quelques autres tares dont nous sommes victimes. Mais je n'irai pas jusque-là, on pourrait croire que j'ai mauvais esprit, et, comme vous pouvez en témoigner, vous qui lisez régulièrement notre éditorial, ce n'est pas le cas.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 403/404 des 24/3 1.03.2000
AU NOM DE LA RACE
■ Tiens, vous avez dressé l'oreille ? Ce titre vous évoquerait-il quelque chose ?
Qu'on se rassure, il s'agit de races bovines, autrement dit d'animaux destinés à être mangés. Or, on ne mange guère de chair humaine, sauf cas extrêmes, et peu importait aux occupants du radeau de la Méduse de connaître le pedigree de leurs aliments, je suppose.
Revenons donc à nos races charolaise, blonde d'Aquitaine, et autres.
Dans la logique qui nous anime aujourd'hui, nous aurons tout fait subir aux animaux de boucherie, et quand nous revenons à des pratiques d'élevage plus "naturelles", c'est surtout dans un double but lucratif et rassurant pour nous-mêmes, sans prise en compte de l'animal pour lui-même.
Saviez-vous que les bêtes à concours ne pouvaient accéder au Concours Général Agricole qu'à condition d'être issues d'insémination artificielle? Tel éleveur qui continue, au fond de l'Auvergne ou du Jura, à faire se reproduire naturellement ses bêtes "de race", même s'il obtient des récompenses nombreuses et méritées, pour les performances de son cheptel, ne peut pas l'amener au concours le plus convoité. La semence de taureau, dûment et officiellement sélectionnée, inséminée sous contrôle vétérinaire, a seule droit de cité dans le temple de l'agriculture.
Un beau sujet à méditer.
L'eugénisme n'est-il pas synonyme de standardisation ? Les voies naturelles sont-elles suspectées d'une imperfection induite et bannies de l'idée de qualité et de progrès ?
Vous aviez raison de vous inquiéter en ce qui concerne l'espèce humaine, elle aussi va peut-être entrer dans la voie d'un eugénisme dévastateur. Les ouvrages de fiction, dont nous voyons les plus folles hypothèses devenir réelles à vitesse accélérée, regorgent d'exemples. Une fois de plus visionnaire, Aldous Huxley avait imaginé une matrice universelle, fabricant des types humains adaptés à des fonctions nécessaires à la société, et préprogrammés à cet usage, voir "Le meilleur des mondes", Boris Vian en avait fait un roman parodique, "On tuera tous les affreux", le cinéaste américain Andrew Niccol s'est, tout récemment, magistralement emparé du sujet avec "Bienvenue à Gattaca", et les banques de sperme sélectives nous promettent le plus inquiétant.
Bienvenue à la ferme, semblait vouloir nous dire une magnifique vache Aubrac, le mois dernier, au Salon de l'Agriculture... Nous avons saisi le message.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 405 du 07.04.2000
LISEZ-LE
■ Quand nous poussons un coup de gueule à propos de la guerre de la banane ou du bœuf aux hormones, quand nous avons un coup de cœur pour José Bové ou Michaël Moore, quand nous nous alarmons de voir tomber dans le giron d'un géant d'outre-Atlantique les plus beaux fleurons de nos entreprises industrielles, tous secteurs d'activité confondus, nous nous posons fatalement la question : sommes-nous paranoïaques, franchouillards, anti-américains primaires ?
Il faut bien le reconnaître, ce n'est pas la moindre des forces de l'impérialisme américain que d'amener ceux qui se refusent à le subir à douter d'eux-mêmes, en particulier quand ils montrent du doigt l'un de ses aspects inadmissibles et révoltants dans une indifférence molle ou amusée.
Tout ce long préambule pour vous dire que nous pouvons nous rassurer sur notre santé d'esprit et notre lucidité : nos inquiétudes les plus vives sont fondées, peut-être encore plus que nous ne l'imaginons.
Si vous voulez en avoir le cœur net, toutes affaires cessantes, courez chez votre libraire, et ne le laissez pas en repos tant qu'il ne vous aura pas procuré "Qui veut tuer la France ?", sous-titré "la stratégie américaine", signé Daniel Rémy, éditions Jacques Grancher.
Tout y est, le dollar, l'ONU, l'OTAN, les guerres propres ou sales, l'arme des normes et des quotas, celles de la communication, de la langue, de la finance, du lobbying... mais voyez par vous-mêmes, vous ne regretterez pas le voyage.
Spécialiste du renseignement et de l'intelligence économique, l'auteur n'a rien d'un enfant dechoeur ni d'un nostalgique du "bon vieux temps". Il dit les choses clair et net, faits et chiffres à l'appui, et ça se lit comme une série (très) noire.
L'avertissement au lecteur définit Daniel Rémy comme un "simple soldat de la guerre économique qui ne parvient pas à se résigner au gâchis français qui engendre la misère et la désespérance en même temps qu'il fait le lit de toutes les aventures totalitaires", nous ne saurions mieux dire.
Qu'il ait dédié son ouvrage, conjointement, à Coluche et De Gaulle, ajoute à l'aventure un grain de sel qui n'est pas pour nous déplaire.
Bref, lisez-le.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 406 du 14.04.2000
ALORS, ON SE REVEILLE?
■ Pourquoi poser une question dont on connaît déjà la réponse ?
Si l'on se réveillait, est-ce qu'on resterait indifférent au rachat du CCF par une banque anglaise ?
Si l'on se réveillait, est-ce qu'on resterait de marbre devant la cession par Danone du leader de la brasserie française, Kronenbourg, à un groupe anglais ?
Si l'on se réveillait, est-ce qu'on aurait laissé passer sans protester le mauvais coup porté au cacao par la réglementation européenne, qui favorise l'activité d'une poignée de multinationales anglo-américaines au détriment de pays dits en voie de développement, où pousse la petite fève exceptionnelle (sans parler des chocolatiers artisanaux, ni des consommateurs) ?
Si l'on se réveillait, est-ce que l'annonce de la prise de pouvoir des fonds anglo-saxons dans le groupe André ne susciterait pas notre attention ?
Si l'on se réveillait, est-ce qu'on ne s'inquiéterait pas de constater que la France est, économiquement, le pays européen le plus inféodé aux investissements étrangers ?
Bof, dites-vous, la France, on s'en fout : pour ce qu'il en reste !
Bon, d'accord, nous n'évoquons ici que des sujets qui touchent à notre avenir, mine de rien, à des petits problèmes de Gaulois, autant dire à des sujets dépassés.
De toute façon, notre avenir, nous le confions aux politiques, aux administratifs, aux financiers, et vogue la galère. En cas de désillusions, nous pourrons toujours nous tourner vers le tout nouveau secrétaire d'état à l'économie solidaire.
Parlons-en donc, de la solidarité : si nous regardons du côté de la Corée du Nord, où les gens mangent de l'herbe (quand ils en trouvent) et traversent des rivières glacées et des frontières dangereuses en quête de quelque chose à se mettre sous la dent et dans l'estomac, bref, où l'on meurt, où l'on crève de faim, est-ce que ça ne devrait pas, aussi, et prioritairement, nous faire réagir ? Et la famine éthiopienne, donc ?
Non, nous dormons profondément.
Nous ne rêvons que d'Internet, nous n'avons d'intérêt que pour les malheurs potentiels de Bill Gates, nous sommes hypnotisés par les miroirs aux alouettes du tout virtuel, et nous nous garderions bien de soutenir ceux qui entreprennent, ou tentent de le faire, dans d'autres objectifs que celui du seul profit, rapide de préférence, et dévastateur à l'occasion.
Puisqu'il en est ainsi, j'aurais tort de vouloir faire sonner le réveil : ça pourrait être vraiment trop douloureux.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 407/408 des 21/28.04.2000
Y'A BON LE VIRTUEL
■ Il y a des petits matins où l'on n'attend de la vie que ce qu'elle semble pouvoir apporter, du stress, du formatage mental, la réduction de l'imaginaire et la course au fric quotidien, chacun pour soi. Alors, on vaque furieusement à ses occupations, ou mollement, selon son tempérament, on tente de se rapprocher de ses contemporains, par téléphone de préférence, on trouve des répondeurs menteurs, des machines infernales à éconduire l'intrus, tous types de relations confondues, et l'on s'interroge bêtement sur ce qui n'est pas le moindre des paradoxes de notre société : avoir fait de la communication un produit de consommation qui, circonstance aggravante, abolit le contact et nous barde d'écrans... de fumée.
Sale jour pour sale jour, en matière de rapports humains, autant plonger directement dans la toile d'araignée du net, au moins, on fait front là où ça a l'air d'être le pire.
Et voilà le rayon de soleil, l'embellie, là où on ne l'attendait pas.
D'abord, on apprend que les valeurs boursières virtuelles se dégonflent et ramènent au bon sens les écervelés ou décervelés qui avaient pris le monde de la toile pour un casino. C'est un début.
Ensuite, lassé de la délectation morose que l'on éprouve à parcourir les sites marchands, on découvre celui des webzines, avec le manifeste du web indépendant, et le monde reprend des couleurs.
Des sites de liberté, où l'on n'a rien à vendre.
Des sites frondeurs, voire dérangeants.
Une prise de parole vraie, oubliée du monde médiatique habituel. Ce monde, vous savez, sans écart et sans invention, propre sur lui, lisse, tiède, endormeur et dépourvu de vagues (pardon, j'oubliais, il y a des vagues, comme celles des jacusis, des parcs d'attractions, des centres de loisirs, oui, il y a des vagues récupérées avant d'avoir atteint une amplitude inquiétante ou contagieuse).
Revenons-en aux webzines qui ont pour seul objectif de faire réfléchir, de créer le contact, l'interactivité pour parler un langage contemporain. Ouf! On sait, par leur existence, que la communication virtuelle a sécrété son contre-poison, que les internautes qui se l'infusent se moquent d'être marginaux et qu'ils se foutent de la loi du plus grand nombre.
Alors voilà que la sale journée n'est plus une sale journée et qu'on se dit Ya bon le web, en primitif qu'on est heureux d'être resté.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 409/410 des 05/12.05.2000
A MORT LE PLAISIR
■ Trop de réglementation tue la réglementation, dit-on. Pourvu que ce soit vrai.
Pourvu que l'excès de précautions officiellement prises en matière de sécurité alimentaire finisse par nous... excéder... et par nous ramener au bon sens.
Voilà ce que m'inspirent les mesures prises par nos gouvernants à l'égard (j'allais écrire à rencontre) de nos marchés de plein air.
Célébré par Gilbert Bécaud, le marché de Provence qui enchante les étés des uns et les quatre saisons des autres, et tous ceux, du plus modeste au plus exubérant, qui colorent nos régions, les embaument, les animent, contribuent à pérenniser leur identité, à créer le contact entre les gens, à transmettre savoirs et savoir-faire... ne dites pas que vous ne les aimez pas. Ne dites pas qu'ils ne vous manqueront pas. Ne dites pas qu'ils ne sont pas irremplaçables.
Ils ont résisté à tout : aux périodes de pénurie engendrées par les guerres, à l'irrésistible concentration du commerce, à la désertification des campagnes, aux fantaisies erratiques de l'urbanisme, et que sais-je encore.
Ils font sortir de chez eux les plus casaniers, apprivoisent les plus misanthropes, et tirent les mots de la bouche aux moins extravertis. Ils sont l'un des derniers lieux de mélange des populations, après disparition du café du coin, de l'épicerie de village, en dépit de la segmentation des "CSP" et des tranches d'âges. Le marché, c'est ce qu'il y a de plus sympathique dans l'idée de foule et de peuple.
Ils sont un régal pour tous les sens, et, jusqu'alors, ils n'ont généré aucune vague d'intoxication alimentaire ou de violence aveugle.
Les condamner à l'usage des mobiliers de réfrigération et autres mises sous séquestre de ce qui réjouit la vue, l'odorat, le toucher, les figer sous la loi du degré centigrade à ne pas dépasser, les aseptiser à tout prix, et à quel coût pour les forains, c'est tuer les marchés.
Tuer ce qui reste de petits métiers, interdire de séjour la grand-mère qui y vend quelques kilos de haricots de son jardin, le ramasseur de champignons des prés ou des bois, la cueilleuse de chicorée sauvage.
Tuer le plaisir.
Tuer une certaine idée bien innocente de la joie de vivre.
Et nous allons, une fois de plus, avaler la pilule.
Tiens, je ne trouve que trois mots dérisoires pour conclure : BRAVO LES TECHNOCRATES !
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 411 du 19.05.2000
BOF!
■ Il y a stock option et stock option, travail et travail, métier et métier, et -pardon d'y revenir- 35 heures et 35 heures.
Et nous, dans tout ça ?
Nous voilà plus que jamais emprisonnés dans la toile complexe et contradictoire de nos législations politico-économico-sociales, de nos systèmes éducatif, syndical, et socio-culturel, et de toutes nos belles déclarations sur les droits de tout le monde à faire n'importe quoi, pourvu que chacun rentre dans le rang sans faire de vagues.
Pour les chefs d'entreprise conscients de leur charge et de leurs devoirs (oui, il y en a, et plus qu'on ne veut bien nous en montrer), qui partent chaque jour à la chasse aux collaborateurs sur le marché du travail, pour ne pas dire le souk, la recherche n'est pas seulement complexe.
Qu'ils prospectent dans des secteurs non spécialisés, et les voici confrontés à une main-d'œuvre potentielle qui privilégie le travail au noir et va le privilégier de plus en plus : le non-emploi est plus protégé que l'emploi, en matière d'allocations diverses et de statut fiscal.
Qu'ils aient besoin de recruter dans les métiers spécialisés manuels, ou considérés comme tels, décriés et négligés depuis des décennies par notre société obsédée de bac + et de technocratie, même en proposant des salaires confortables : autant chercher des perles dans un plateau de fruits de mer.
Dans le bâtiment, qui ne demande qu'à "aller", et quand le bâtiment va, tout va, comme chacun sait... dans l'hôtellerie, la restauration, les métiers de bouche, par exemple, la pénurie est alarmante.
Si nous devions dresser un bilan honnête et exhaustif des secteurs qui présentent les mêmes caractéristiques, nous serions démoralisés, pour ceux d'entre nous qui ne le sont pas encore.
Et pendant ce temps-là, d'aucuns persistent à refuser le principe d'une immigration utile, concertée, en dépit des signaux d'alarme tirés par les économistes les moins fantaisistes.
Mais où veut-on en venir ?
Nous attendons tous une réponse claire à cette question.
Mais quels que soient les horizons que nous scrutions, nous ne voyons rien venir, sauf des pantins qui s'agitent, mus par les ficelles de la soif de pouvoir, de la perversion des idéologies, de l'insatiable appétit de l'argent.
Alors, que faire ? Je suis tentée de dire, comme vous sans doute, bof! et rien de plus.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 412 du 26.05.2000
WARAOK AR WRETONED (1)
■ Ils étaient quelques uns, treize exactement, industriels de l'agroalimentaire et commerçants/distributeurs bretons, qui avaient décidé, en 1995, de prendre le taureau par les cornes pour endiguer le chômage et redynamiser l'économie de leur région.
Ils ont parié sur le civisme des consommateurs, les appelant à privilégier le produit breton dans leurs achats, en leur garantissant, en échange, son origine.
Au passage, cela ne vous rappelle-t-il pas une certaine petite phrase frappée au coin du bon sens et érigée en campagne publicitaire "Nos emplettes sont nos emplois" ? Une idée que vous aurez tous attribuée, c'est certain, à son auteur, le plus breton des distributeurs français.
Donc, envers et contre tout et tous, à commencer par les irresponsables porteurs de la bonne parole mondialiste mal comprise, ce groupuscule d'entêtés a créé l'association Produit en Bretagne.
Dépassant leurs propres différences internes, sectorielles, culturelles, politiques et autres, ils ont pris, d'emblée, l'engagement, en cas de succès, de faire entrer dans l'association les entreprises bretonnes qui souhaiteraient adhérer au propos, même leurs concurrentes directes.
Et ils ont tenu le pari, car le succès était au rendez-vous.
Aujourd'hui, Produit en Bretagne compte des adhérents dans des domaines d'activité très élargis, sociétés de services, produits culturels, équipement de la personne. Quant aux secteurs d'origine, ils sont de plus en plus largement représentés.
Cinq ans après sa création officielle, le petit logo jaune et bleu estampille produits et services émanant de cent quatorze sociétés, employant au total soixante quinze mille salariés.
Les produits identifiés par cette signature sont distribués hors région d'origine, le made in Breizh est reconnu et apprécié, au-delà même de notre Hexagone.
Nous sommes d'autant plus heureux de saluer cette réussite que Faire Savoir Faire, hors quotidiens régionaux directement concernés, a été le tout premier organe de presse à soutenir l'entreprise. Donc nous ne nous étions pas trompés de berceau en y déposant nos voeux.
Et, puisqu'il n'existe pas de mot pour dire bravo en breton, nos encouragements à poursuivre cette expérience unique en France s'exprimeront autrement : Dalc'h mad Breizh (2).
(1) En avant, les Bretons
(2) Tiens bon, la Bretagne
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 413 du 09.06.2000
MANIF!
■ Une usine ferme. On licencie. Pourtant les résultats de l'entreprise font apparaître des bénéfices pour le moins confortables, et l'unité de production sacrifiée est performante. Vous avez déjà lu ça quelque part. Vous l'avez même si souvent lu que cela ne retient pas plus votre attention que la rubrique des chiens écrasés. Si cela se trouve, vous êtes même plus attentifs aux chiens écrasés.
Le profit des uns qui appauvrit les autres, le nombre des raisonnablement nantis qui diminue, la poignée des excessivement privilégiés qui s'enfle comme la grenouille de la fable, dans une boulimie effrayante d'actions, de dividendes et autres nourritures-papier, c'est la rumeur quotidienne qui, telle une maléfique berceuse, nous anesthésie.
La foule des pauvres ne se compte pas par millions, mais par milliards, alors, évidemment, cela devient abstrait. Pauvres d'ici, pauvres des rivages lointains, nouveaux ou anciens pauvres, et pauvres qui ne le savent pas encore, mais dont le réveil sera d'autant plus douloureux... et vous, à quelle catégorie croyez-vous appartenir, potentiellement ?
Peut-être avez-vous eu l'occasion récente de voir ou revoir le film d'Henri Verneuil, Mille Milliards de Dollars ?
Peut-être êtes-vous en train de lire l'ouvrage d'extrapolation économique fondé dans un constat bien réel, "Le Rapport Lugano", dû à quelqu'un qui n'a pas la plume ni la langue dans sa poche, Susan George ?
Même si ce n'est pas le cas, vous ne pouvez pas continuer à vous laisser emporter par le courant qui nous emmène vers le grand océan de la mondialisation-telle-qu'elle-se-présente, sans vous acharner à proposer d'autres solutions, ni à essayer de vous faire entendre : ce serait de la complaisance, pour ne pas dire de la lâcheté.
Une poignée de manifestants, parmi des millions d'autres, dans la banlieue de Lille, attirant l'attention d'une poignée de journalistes et d'hommes d'affaires sur la suppression de 430 emplois, cela vaut-il un édito ?
Méditons sur quelques calicots brandis à l'occasion "Martine, les 35 heures, c'est un leurre", "X, Y, Z, lessivent l'emploi", et, dites-nous si vous accepteriez, après vingt ou trente ans de "maison", une embauche au SMIC dans une entreprise installée, comme par hasard, sur les cendres de l'autre ? Car le vrai combat pour l'emploi, c'est aussi le combat contre "n'importe quel emploi", précaire en particulier. Alors, les 430 Nordistes au tapis, ça nous concerne tous.
(1) ici, figuraient des marques de lessive que vous connaissez tous.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 414/415 des 16/23.06.2000
ALTERNATIVE
■ On ne partage pas sa soupe avec le diable, même avec une longue cuillère, car le diable finit toujours par vous voler votre âme.
D'accord, voilà qui porte à rire. Comment peut-on proférer, aujourd'hui, de tels archaïsmes naïfs ?
Perdre son âme, qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
L'entreprise (et a fortiori l'entrepreneur) n'est pas là pour avoir une âme, ni d'états d'âme, par voie de conséquence. Elle est là pour croître et n'a pas d'autre alternative que de phagocyter ou d'être phagocytée et d'entrer dans un processus de gigantisme voué à produire du capital destiné à enrichir une poignée de profiteurs de la guerre économique dont nous sommes les acteurs et, à des niveaux divers, les victimes.
Voilà ce que les éminences grises des décideurs planétaires ou locaux leur ont inoculé.
Et voilà, tels les lemmings du détroit de Bering, des petits, moyens, voire gros entrepreneurs, entraînant, dans un suicide collectif, entreprise, salariés et populations riveraines ou lointaines, sacrifiés sur l'autel du gigantisme.
Stop, arrêtons le massacre.
Arrêtons de nous tromper de direction, de bonne ou de mauvaise foi, arrêtons de vouloir appartenir à un cercle étroit de privilégiés, arrêtons de croire à la religion de l'argent vite gagné en-une-seule-fois, arrêtons de nous inféoder aux systèmes maffieux, refusons d'être planétarisés par l'économie.
Affirmons haut et fort notre adhésion à un contre-pouvoir intelligent, actif, raisonné et tenace, dont le bel avenir des hommes serait la finalité.
L'alternative existe.
L'entreprise peut tenir une place à dimensions humaines et jouer un rôle citoyen. Elle peut même faire des émules.
Oui, on peut réinvestir dans l'entreprise elle-même, plutôt que de se précipiter dans l'enfer des placements de fonds, on peut payer des salariés équïtablement et assurer leur carrière, on peut participer au développement de sa région, et favoriser celui des régions démunies. Il faut commencer par réfuter la fatalité du gigantisme, et résister à la tentation de partager avec le diable tout ou partie de son "activité", de son savoir-faire, de sa notoriété, de sa crédibilité, en faisant semblant de croire que c'est un bon diable.
Il n'y a pas de bon diable, qu'on se le dise.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 417 des 07/14.07.2000
UN TEMPS REVE POUR SE DEFORMATER
■ Vous avez remarqué ? C'est l'été.
C'est le moment ou jamais pour se déformater, pour se défaire des étroits corsets de pensée et de comportement dans lesquels, vaille que vaille, nous sommes entrés, souvent à notre insu ou à notre corps défendant. La pression, il est vrai, est insidieuse et ne se relâche pas. Les codes sociaux et professionnels ne sont pas les seuls à nous enfermer. Le formatage touche au plus intime, au plus cérébral, au plus affectif de la machine humaine que nous devenons.
Machine perfectionnée, cela va de soi, appelée à perdre sa fin dans les moyens.
Alors, c'est dit : on éteint tous les écrans, on fait taire tous les portables. On débranche tout. On fait une pause, on se met en vacance.
Vous entendez ce silence ?
Vous voyez cet espace ?
C'est tout neuf. Ça vient de sortir de notre mémoire ancienne. Et c'est le moment d'entrer dans la brèche, ces quelques jours, voire quelques semaines, que l'été (plus le Front Populaire) nous offre pour penser autrement, apprécier différemment notre condition, connaître ou reconnaître le vrai prix des choses et la valeur des sentiments. "Tant qu'il reste de l'air dans l'air, tant qu'il reste de l'air dans l'eau", comme chante le poète québécois Gilles Vigneault, on oublie notre langage binaire, on élargit le cadre, on jette son cadencier aux orties, on fait des cocottes en papier avec les marges avant, arrière et pourquoi pas latérale, on oublie les taux de TVA, les charges sociales, la course à la TG, la conquête du facing et autres facéties.
Et pendant qu'on y est, on va plus loin. On prend, en direct et in vivo, comme on dit, conscience de la nécessité de laisser le temps au temps pour nous faire la vie comme elle vaut d'être vécue. Pas besoin d'aller au bout du monde pour ça. Tiens, prenons le seul sujet d'un déjeuner sur l'herbe. Il faut du temps pour faire le vin, le filet d'huile d'olive qui ennoblit la salade, le jambon de pays mûri dans l'air de la montagne. Tout le parfum des vacances vient du temps.
Leçon en douceur de l'été, il faut aussi du temps pour faire un cœur, un esprit, une histoire, une civilisation et une humanité.
Vous voyez bien que le temps est rêvé pour se déformater.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 418/419 des 25/31.08.2000
HEUREUX FRANCAIS
■ Tout va pour le mieux, dans le meilleur des mondes possibles.
Il faut croire que même le meilleur des mondes possibles est améliorable, puisque tout va de mieux en mieux, précisément dans ce monde-là, à savoir celui des Français.
Le coup de pied magique de Trezeguet à la finale de l'Euro 2000 a fait grimper au zénith le moral du bon peuple, en même temps que celui du monde financier intéressé, du marché de la pompe de sport à celui de la politique. Ouf! On a failli avoir chaud. La Bourse et les quartiers chauds ne feront pas exploser le couvercle, Zidane a gagné.
Panem et circences, jusqu'ici tout est en ordre de marche.
La pompe à essence et le fuel domestique peuvent bien atteindre des tarifs vertigineux, le cynisme économique peut bien engendrer une nouvelle forme de protestation aiguë avec la naissance du terrorisme social (type Adelshoffen), le terrorisme politique peut bien souligner l'impuissance aggravée des divers pouvoirs, la précarisation de l'emploi digne de ce nom peut bien se poursuivre, sous couvert d'embauché dévalorisante proposée aux "nouveaux chômeurs", les prises d'otages, les apparitions de nouvelles drogues, l'irresponsabilité savamment entretenue et étatisée peuvent se manifester partout, peu importe. Et nous pourrions enjoliver le tableau en nous situant dans le reste du monde, si tant est que le reste du monde ait jamais intéressé les Français.
Les Français sont HEU-REUX.
Surtout si l'on en croit le sondage réalisé en début d'été par un hebdomadaire populaire, pour ne pas dire populacier, soucieux de refléter l'image que les Français ont envie de se faire d'eux-mêmes.
Entre nous soit dit, je n'ai rencontré aucun des Français sondés. A moins qu'ils n'aient pas osé avouer qu'ils l'avaient été.
Qui sont-ils, où sont ils, à quoi ressemblent-ils, ces gens qui se déclarent heureux ?
Sont-ils des imbéciles heureux ?
Sont-ils virtuels ?
A moins que les imbéciles ou les virtuels, ce ne soit ceux qui pensent qu'on ne peut pas décemment s'estimer heureux ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 420 du 08.09.2000
AU SECOURS, C'EST LA RENTREE
■ Non, ne venez pas prétendre que chaque rentrée s'avance avec son cortège de mécontents et que c'est normal.
Mécontents ? Mais bon sang, employons les mots qui conviennent au lieu d'édulcorer. "Tiens, je suis mécontent. Si j'allais déverser une tonne de sardines avariées devant une préfecture ?" "C'est fou ce que je suis mécontent. J'ai bien envie d'aller passer la journée sur un péage d'autoroute pour en parler aux automobilistes, ça me détendra."
"Oh, mais comme je suis mécontent. Allons, je vais arracher mes vignes pour toucher la prime, plutôt que de chercher des vendangeurs fantômes et me lancer dans le processus infernal de la récolte, de la vinification, des incertitudes de la commercialisation." "Dis donc. Je suis mécontent. Je ferme mon restaurant. Tant pis pour le personnel qualifié, s'il existe, puisque je n'arrive pas à mettre la main dessus. Allez, je dépose le bilan." "Alors là, je suis mécontent. Mon meilleur pote s'est fait flinguer sur cette ligne de chemin de fer sécurisée par les corbeaux. Ça me met de mauvaise humeur. Je descends de mon train et je n'y remonterai que si l'on m'en raconte une bonne qui me fasse rire."
Voulez-vous parier qu'à la liste des "mécontents", pêcheurs, transporteurs routiers, viticulteurs, restaurateurs, cheminots... s'ajoutera, cet hiver, celle des mal lunés qui se laisseront mourir de froid devant leur chaudière vide de fuel (trop cher pour leurs moyens), rien que par mauvais esprit?
Assez plaisanté.
Où sont-ils, les fruits de la croissance ? Les bulletins de salaire de ceux (de plus en plus nombreux) qui ont un emploi sont-ils améliorés par une reprise qu'on ne cesse de nous claironner ?
Qui se moque de qui ?
Pourquoi le travail est-il devenu une tare qu'il faut expier ?
Il n'y a pas de mécontents. Il y a des désespérés, des révoltés, des écoeurés, des désabusés, des écrasés, et toute la cohorte des silencieux.
Ah ! j'oubliais, il y a aussi ceux qui méritent des bravos, tel le maire de Montenois qui, en restaurant la gratuité des fournitures scolaires dans sa commune, renoue avec une tradition de la troisième république et réhabilite le principe d'égalité pour le moins malmené dans le cœur de notre devise Républicaine.
Comme quoi, il peut y avoir une lucarne de ciel bleu dans le paysage de la rentrée.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 421/422 des 15/22.09.2000
QUI DECIDE QUOI?
■ Arcanes des hiérarchies, faux-semblant de la terminologie, nous avons souvent du mal à savoir qui décide quoi, dans nos rapports professionnels, nos démêlés avec les administrations, notre approche des institutions.
Nos interlocuteurs ont-ils le pouvoir que nous leur imaginons, compte tenu de leur titre, de leur place dans les organigrammes complexes des sociétés qui les emploient ?
Comment peut s'instaurer un dialogue, se dérouler une transaction, se résoudre un imbroglio, s'établir un climat de confiance, dans le manque de transparence d'identité de "l'autre" ?
A cette question s'ajoute celle du turn over qui n'est pas particulier à la grande distribution, au point que l'on se demande parfois si l'on n'est pas en relation avec un siège éjectable plutôt qu'avec son occupant. Ce changement d'interlocuteur est, d'ailleurs, voulu et tactique. Eviter à tout prix l'établissement d'une relation durable entre individus semble être devenu la règle de fonctionnement de notre société plus mathématique qu'humaniste.
Qui décide quoi ?
Les "décideurs" eux-mêmes ont parfois bien du mal à le savoir, y compris dans les postes dits "à haute responsabilité", car les orientations des sociétés qui régissent nos destinées ont tendance à bouger, comme une girouette par grand vent, en fonction d'évolutions économico-financières aux variables aussi aléatoires que volatiles.
Qui décide quoi, quand, comment et pourquoi ?
Voilà comment la question se pose, dans son intégralité. Une question qui ne peut pas avoir de réponse, car celle-ci serait caduque avant même d'avoir été totalement exprimée.
Le monde que nous avons engendré évolue à une vitesse qui dépasse celle que notre cerveau peut maîtriser. Il faut reconnaître que celui-ci a peu évolué depuis l'homme des cavernes, que cela nous plaise ou non. Alors, avant qu'apparaisse un autre être, dont les capacités différentes ne peuvent naître que du savoir faire d'un nouveau docteur Frankenstein, notre vie ne va pas être une sinécure.
Que faire ?
Continuer à notre tempo humain, en comptant sur l'intuition, le hasard et la chance, pour tomber dans la conjoncture qui nous est favorable, dans nos rapports avec autrui.
Et vogue notre galère. Depuis le déluge elle en a vu d'autres.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 424/425 des 06/13.10.2000
CHOISIS TON CAMP, CAMARADE
■ José Bové, privé de ses droits civiques jusqu'en 2003, pour avoir devancé la loi en brûlant du maïs transgénique, voilà qui mérite réflexion, bien que ce détail, qui a son importance, ait précédé l'affaire du McDo de Millau qui a valu, au pourfendeur de la mal-bouffe, sa notoriété internationale et l'adhésion à son propos de gens de tous les jours, qui commencent à trouver plus de mal que de bien dans la mondialisation telle qu'elle se présente.
Régis Debliqui n'a, certes, ni la même aura, ni la même tribune.
Retenez tout de même ce nom. Qui sait, peut-être deviendra-t-il un jour un autre symbole de la lutte anti-globalisation ?
Nous avions évoqué, sans mentionner son nom, l'action de cet exclu de la "croissance", dans l'affaire du licenciement des salariés de l'usine
Lever de Haubourdin (en dépit de sa rentabilité).
Aujourd'hui, nous vous invitons à constater que l'obstination, fondée dans une bonne relecture des droits de l'homme et du citoyen, peut transformer un banal (sic) licenciement collectif en un ferment d'action citoyenne, dans laquelle distributeurs et consommateurs sont amenés à prendre parti.
Depuis plusieurs semaines, Régis Debliqui et les licenciés de l'usine de Haubourdin vident tranquillement, mais fermement, les linéaires des magasins de la région lilloise, toutes enseignes et toutes dimensions de points de vente confondues, des produits Lever. Pas de destruction, pas de violence. Simplement, ils font référence aux déclarations des distributeurs, relatives à l'éthique de leurs enseignes respectives d'une part, et, d'autre part, au non-respect de cette même éthique par le fournisseur, en l'occurrence, Lever.
Résultat des courses : les hommes du terrain de la distribution donnent la main aux travailleurs licenciés pour vider les linéaires des produits incriminés, sous les applaudissements des consommateurs et de la presse quotidienne régionale.
Pendant ce temps, courent toujours les assassins en cols blancs, détrousseurs d'entreprises et responsables d'exclusions de toutes sortes, acclamés par la Bourse et les pouvoirs politico-économiques en place. Mais pour combien de temps ?
Alors ?
Cela vous inspire-t-il quelque chose ?
A nous, oui, juste une phrase : Choisis ton camp, camarade.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 426 du 20.10.2000
VOIES ETHIQUES DANS LA MONDIALISATION
■ L'ère de la mondialisation dans laquelle nous sommes entrés n'est pas une autoroute à voie unique, où ne pourraient accéder que les individus, les entreprises et les produits standardisés.
Nous n'avons pas cette vérité suffisamment présente à l'esprit.
Chacun dispose d'une marge de liberté dans le choix de sa vie, de son éthique, de ses ambitions, de sa carrière.
Il en est des entreprises comme des individus.
L'une peut décider d'avoir un écho local, régional, national, voire international, en gardant son autonomie, sans perdre de vue la taille humaine, à la fois composante de sa légitimité et garantie de sa pérennité, l'autre peut chercher alliances de toutes natures avec des entreprises complémentaires et non concurrentes, une autre, encore, peut opter pour la fusion ou l'absorption par un géant intéressé par son activité.
Dans l'un ou l'autre cas, l'éthique peut être au rendez-vous ou non.
Certes, on est tenté de jeter la pierre aux géants multinationaux, plus exposés que les autres aux regards de l'opinion publique, mais les géants n'ont pas le monopole de l'absence de scrupules, pas plus que les petites entreprises ne détiennent celui de l'éthique.
Equilibrer les profits entre salariés et actionnaires est un discours mis en pratique par certains géants...
En revanche, dans la sphère de ces énormes machines aux ramifications tentaculaires, on peut regarder, avec un certain amusement, grandir les colosses, qui, parfois, ressemblent à ces variétés de dinosaures dépourvus de cartilages de conjugaison, voués à dévorer des espaces végétaux de plus en plus considérables, en grandissant sans objet jusqu'à leur mort, après avoir élargi inconsidérément leur territoire en le dévastant.
Vous vous rappelez comment l'aventure s'est terminée pour eux ?
Eh bien, parallèlement, n'oubliez pas que, pendant ce temps-là, les insectes poursuivaient leur évolution sans souci des grands cataclysmes.
Donc, pas de paranoïa. Si vous avez choisi votre voie en toute connaissance de cause, si vous avez, parmi vos ambitions et plans de carrières divers, mis ce qu'il fallait d'autre qu'une boulimie de profits, rien de fondamentalement grave ne peut vous arriver.
Regardez la diversité s'exprimer, précisément en pleine mondialisation. Vous êtes au SIAL, c'est l'endroit rêvé pour puiser, dans ce foisonnement alimentaire, de bonnes raisons d'être optimistes.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 427 du 27.10.2000
COUCOU, REVOILOU LE GASPI
■ Alors, on s'aperçoit, comme ça, qu'il y a urgence à réduire d'au moins 10 % nos rejets de CO2 dans l'atmosphère ?
Et s'il n'y avait que le CO2, et s'il n'y avait que l'atmosphère, on pourrait (presque) s'estimer heureux.
Bref. Ce sursaut, ce signal d'alarme un peu mou, il faut bien le dire, n'est pas un accès tardif mais sincère de vertu. Il se produit, c'est bizarre (moi, j'ai dit bizarre, comme c'est bizarre), au moment où le pétrole nous inspire les plus vives inquiétudes : hausse du prix du baril, raréfaction du produit, risque de voir le Moyen-Orient s'embraser. Et voilà comment on prend le chemin de la réflexion, ou du moins, on fait semblant.
Chassons le gaspi. Des mesures vont être prises par ceux qui mènent nos destinées pour nous y inciter, voire nous y contraindre, en nous donnant mauvaise conscience, en plus, sur fond d'air connu "faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais".
Si le sujet n'était pas aussi grave, cela pourrait prêter à rire. Soyons sérieux, donc.
Vous ne croyez pas que c'est un devoir, aujourd'hui, de lancer une vraie campagne d'urgence en faveur du développement des énergies alternatives et renouvelables ?
Vous n'êtes pas convaincus de la nécessité de débloquer des fonds pour la recherche et le développement de tout ce que nous avons sous la main en matière d'énergie propre ?
La rivière et la mer, le vent, le soleil ont déjà été utilisés dans ce sens par les hommes qui nous ont précédés, on sait comment adapter cette utilisation à nos besoins actuels, pourtant les quelques entêtés, parmi nos contemporains qui pensent à l'éolienne, au moulin à aube, à la cascade, aux panneaux solaires, passent pour de doux dingues.
Certes, on le sait, des voix ne vont pas manquer de s'élever contre l'emploi des dons de la nature : lobbying divers financé par ceux qui n'auront pas trouvé comment s'enrichir avec cette manne, démagogie électorale ou autre, sans compter la voix de ceux qui disent n'importe quoi en toute méconnaissance de cause. Ne voit-on pas même les écologistes s'insurger contre les éoliennes, tueuses d'oiseaux, comme si les dégazages des pétroliers (sans parler des naufrages), ne faisaient pas de victimes dans la faune et la flore marine.
En attendant que nous devenions intelligents, la chasse au gaspi est ouverte, mais ce n'est pas la petite goutte d'eau pure qu'elle va engendrer qui va purifier l'océan de nos pollutions.
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 428/429 des 03/10.11.2000
SUSCITER LE DESIR
■ Comme il était laborieux, ce Sial sous influence, millésime 2000.
A très peu d'exceptions près (au nombre desquelles figure le créateur de Draft Cola), les producteurs, bardés de labels, de certifications à des normes, de cabinets d'études en tous genres, tous outils de marketing en avant, ont rempli leur fonction avec une sagesse frisant l'ennui, innovant timidement, s'efforçant de ne pas sortir du rang, le petit doigt sur la couture du pantalon, un œil sur la réglementation, l'autre sur le référencement.
Mais où donc est passé l'enthousiasme des Sial d'antan, que visiteurs et exposants ne quittaient qu'à regret ?
On nous assomme avec l'air connu du Consommateur-Roi, dont on n'arrête pas de prendre le pouls et la température, que l'on scanne, que l'on interroge jusqu'au vertige : "Faut-il vous l'envelopper ?", "Faut-il vous l'aplatir ?", "Faut-il vous le mettre en rond, en cube, en boîte, en plaquette, en tube ou en vrac ?", "L'aimez-vous chaud, le préférez-vous tiède, froid, surgelé, pré-digéré ?", "Le mangerez-vous seul ou à plusieurs, portionné ou pas, avec ou sans sauce, à midi ou à minuit, à la maison ou dans le métro ?", "Qu'est-ce qu'on peut faire pour vous en faciliter l'usage, et pourquoi pas le transit ?"...
Halte à la cacophonie orchestrée et dirigée par tous ces premiers de la classe de toutes ces écoles où l'on désapprend la vie.
Laissez-nous entendre le silence.
Laissez-vous respirer en mâchonnant un brin d'herbe épargné par les pesticides (et, si possible, laissez les vaches en faire autant).
N'avez-vous pas, au fond de vous, comme une envahissante nostalgie du désir ?
Seriez-vous prêts à jurer, la main sur la conscience, que le moindre désir, tel celui du pain fraîchement sorti du fournil, avec sa mie tiède sous une croûte craquante, ait quelque chance d'éclore sous la pression à laquelle nous sommes tous soumis ?
C'est pourtant bien le désir, le postulat de l'échange et du commerce.
Alors, plutôt que de vous tordre les méninges pour le devancer, ce qui revient à le supprimer, si vous pensiez à susciter le désir, à l'entretenir, à le renouveler ?
Si, pour parler trivialement, vous preniez en compte la "valeur désir ajoutée" ?
Quel bonheur pour le "consommateur", et, pour le couple infernal producteur/commerçant, quelle source de profit !...
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 430/431 des 17/24.11.2000
FAILLITES
■ Il y a des années où l'on regrette d'avoir raison.
Raison de penser que nos systèmes économico-politico-socio-culturels ne sont adaptés ni à nos besoins ni à nos aspirations.
Raison de vouloir autre chose, sans grand espoir d'y atteindre, par exemple la conception et la mise en oeuvre de lois, décrets et règlements applicables, cohérents et en adéquation avec leur objet... qui ne serait autre que de nous embellir la vie et de nous ouvrir une fenêtre sur un avenir.
Raison de réfuter la légitimité et l'effet positif des concentrations, de la normalisation et de la globalisation à tout prix.
Les faillites de procédures entières de nos systèmes se multiplient et vont s'accélérant, faisant la une des gazettes, comme on dit, mais surtout celle de nos préoccupations, de nos inquiétudes et de nos indignations.
Pour cause de complexité, d'inadéquation, d'erreur de jugement, de compromis, faillite des décisions prises pour assurer la protection des convoyeurs de fonds, faillite des mesures "prises" pour éviter la pollution de l'environnement des côtes européennes, faillite des pourparlers pour l'équilibre et l'équité du commerce mondial, imbroglio inacceptable dans les questions relatives à la sécurité alimentaire, suivi d'une paranoïa stupide....
Ne nous emballons pas, et cessons de balayer l'actualité, nous finirions par sortir de l'espace d'expression qui nous est imparti.
Il serait pourtant dommage de ne pas évoquer l'énorme dérapage de la machine électorale américaine. Quoi qu'il sorte de cette aventure, tout le monde devrait en tirer des leçons. La première, c'est que la démocratie se perd dans le gigantisme et la bureaucratie, aussi sûrement que les fleuves se perdent dans la mer (La Rochefoucauld me pardonnerait sans doute de le paraphraser). Corollaire de ce constat, la cité et le civisme sont logés à la même enseigne.
Autrement dit, rendre la parole au terrain, donner du pouvoir aux hommes de terrain, rapprocher du citoyen le politique et l'administratif, ne sont peut- être pas de mauvaises idées. Cesser d'amalgamer les fonctions, ne pas confier aux gestionnaires ni aux fonctionnaires des tâches d'imagination, de création, d'anticipation (dans le sens visionnaire), remplacer l'assistanat par l'encouragement à l'initiative, en un mot, responsabiliser chacun, voilà un chantier pour entrer dans le troisième millénaire.
Qu'en pensez-vous ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 432 du 01.12.2000
CACOPHONIE TRES ORCHESTREE
■ Il faut absolument éduquer le consommateur.
On a le devoir d'informer le consommateur.
Mettons en garde le consommateur.
Parallèlement, si l'on veut que le grand gâteau du commerce présente encore quelque appétence pour ceux qui se le partagent, il est impératif d'aguicher le même consommateur en "relevant un peu plus haut qu'il n'est décent" des dessous prometteurs, tout en verrouillant l'accès de son créneau de communication publicitaire au nez de la concurrence.
Presse écrite, presse radiodiffusée et télévisée, presse émaillée de messages publicitaires de toutes sortes, presse qui n'en est pas, mais se fait passer pour, et vice-versa : le grand public reçoit des signaux dans la lecture desquels règne la plus grande confusion.
A titre d'exemple, n'est-il pas significatif que le lectorat populaire confonde catalogue et magazine ?
Que faire, quand on fait partie du commun des mortels ?
Apprendre à décoder les signaux ?
S'en remettre aux allégations des marques omniprésentes ?
Tels les moutons de Panurge, se jeter tête baissée dans le panneau du dernier scandale, et tirer à vue sur la vache au regard équivoque, la violette qui pue ou la pomme de terre qui vous fait les gros yeux ?
Reconnaissez que le consommateur ordinaire a" d'autres queues de singes à démêler.
Et heureusement pour lui.
Car s'il savait pénétrer les arcanes de la transmission des informations, il serait sans doute plus malade de ses découvertes, que de la listeria ou autre salmonelle.
Tout le paysage médiatique est sous influence.
Vous le savez comme nous. Et, par omission, par démission ou par lassitude, le consommateur est complice de cette farce.
Sans vouloir nous donner des gants, Faire Savoir Faire, dans sa ligne éditoriale, a toujours usé d'une liberté que vous avez appréciée, si nous en jugeons d'après vos témoignages d'intérêt.
Malheureusement, nous ne touchons pas la masse des consommateurs...
Donc, vivons dans la confusion, en attendant un hypothétique sursaut collectif des consciences.
Que faire d'autre ?
FAIRE SAVOIR FAIRE - N° 433/434 des 8/12.12.2000
QUE RESTE-T-IL DE L'AN 2000?
■ Année No man's land, nous ne regretterons pas l'an 2000.
Les craquements de la planète qui fait eau de toutes parts, le dérèglement de ses horloges, les petites et grandes mauvaises nouvelles auront largement prédominé, venant de partout... et d'ailleurs.
La faute à quoi ?
La faute à qui ?
C'est la faute aux treize lunes, c'est la faute à la patate chaude que chacun passe à son voisin, et pour finir, ce sera la faute à celui qui restera avec la patate en main.
En tous les cas, ce n'est pas la faute à Voltaire, ni la faute à Rousseau, comme chantait Gavroche.
Passés de l'indifférence à l'autisme, considérant, parce que c'est facile, les catastrophes comme des fatalités, nous sommes dans l'urgence à changer d'attitude.
Ce ne sont pas les leviers d'intervention qui nous manquent. Ils s'appellent intelligence, imagination, civisme, amour, goût de la vie, sens de l'équité (commerce équitable, ça vous dit quelque chose ?), persévérance et pugnacité, sans oublier un sens de l'humilité dicté par l'énormité du chantier.
Mais il faut bien commencer par quelque chose, non ?
Demain sera un autre jour, certes.
Mais demain ne sera un autre jour que si nous en faisons un autre jour, au lieu de déléguer toujours à d'autres les tâches ingrates et à éviter de prendre Nos Responsabilités.
Demain, demain nous serons sages... mais pourquoi attendre ?
2001 est déjà là, vous savez.
Que reste-t-il de l'an 2000 ?
De mauvaises images, des ratés, des sales moments, en tous lieux et en toutes disciplines, comme autant de signes d'encouragement à retrousser nos manches au plus vite.
Et puisqu'en France tout finit (encore) et tout commence (déjà) par des chansons, je vous invite à terminer l'année sur une note d'humour, avec le clin d'œil d'une chanson écrite par mon ami EricToulis. C'est une biguine, dommage que vous ne puissiez l'entendre, ça vous aiderait à mémoriser un refrain en forme d'exercice de diction : "Fais pas celui qui dit qu'la vie n'est pas la vie qu'il voudrait qu'sa vie soit,
Fais plutôt celui qui dit qu'la vie c'est comme ça et qu'on n'a pas trop le choix... "
■ Ruer dans les brancards (2004)
Ma Grand'Mère, que ses camarades d'atelier de couture appelaient Louise Michel, n'a jamais perdu son originalité de comportement ni de pensée. On dirait, aujourd'hui, sa marginalité. Elle ne s'en est pas moins comportée avec civisme, solidarité, respect d'autrui (à condition, toutefois que ce soit réciproque).
Elle a passé sa vie à " ruer dans les brancards " et à s'insurger contre tous les arbitraires.
Je ne peux m'empêcher de rapprocher sa liberté de celle du peintre Maurice Vlaminck, son contemporain, quand il écrivait, à l'attention des générations montantes, un livre introuvable de nos jours " Désobéir ".
Et je crains bien de voir étouffer les aspirations exprimées par l'un et l'autre.
Le monde manichéen et standardisé auquel nous appartenons ressemble comme un frère au Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley. A créer des catégories d'individus tous rangés comme des petits pois dans leurs boîtes à vivre, à chacun son quartier, à chacun son ghetto, à pousser les enfants de la civilisation des loisirs à communiquer de plus en plus facilement avec des moyens de plus en plus réducteurs, à leur donner l'embarras de choix illusoires entre Charybde et Scylla, on tue leur imagination, leur diversité, leur goût de vivre autrement.
Liberté de penser ? Liberté d'expression ?
Assurément, nous les avons, surtout si nous ne pensons à rien et si nous n'avons rien à dire.
Quelles que soient nos entreprises, il faut rentrer dans le moule, le petit doigt sur la couture du pantalon : appartenir à la Major Company, appartenir à la Multinationale, être calibré, catalogué, codifié, voire " gencodé ", tenir dans une forme, un format et j'en passe, chacun pourra agrémenter la liste selon son bon vouloir et son vocabulaire.
La pire des armes qu'on ait utilisée contre l'imagination, c'est de transformer ses manifestations et créations en " produits ".
Produits de culture ? Rien ne vous choque ?
Il n'y a pas antinomie ?
Là où il y a " produit ", il y a " marché ". Vous connaissez la suite.
Y a-t-il un marché pour les troubadours, les poètes, les baladins, et tous ces flâneurs de la vie qui lui donnent ses lettres de noblesse ?
J'en doute.
Aussi, comme ma Grand'Mère, je rue dans les brancards, et comme Maurice Vlaminck, je désobéis, bref, je vis, je rêve, je pense, à ma manière … et j'en paie le prix.
Bon courage, les inclassables.
■ Il était une fois (2004)
Il était des centaines et des milliers de fois l'imagination captivée dès l'énoncé de cette formule " Il était une fois… ". Elle contenait la promesse de l'aventure que l'on ne peut vivre que par la magie des mots.
Il était une fois… des mondes à l'infini, peuplés de fées, d'elfes, de sorcières et d'enchanteurs ; des mondes où les animaux parlaient, où les princes et les ramoneurs épousaient des bergères ou des chattes blanches, où les crapauds se métamorphosaient en beaux garçons, par la grâce de l'amour.
Certes, la morale était particulière. Souvent le conte était cruel et ses acteurs, humains ou autres, n'étaient pas forcément des prix de vertu, preuve de la lucidité des auteurs. C'est précisément ce qui rendait tonique et juste le propos transcendé par la fiction.
Il y avait aussi une bonne dose d'anticipation dans les contes de fées, ni plus ni moins que chez Jules Verne. Rappelez-vous La Belle et la Bête, le miroir magique, les serviteurs invisibles, la musique venue d'on ne sait où. Reconnaissez que c'était infiniment plus exaltant quand cela ne s'appelait pas encore télévision, électronique, chaîne Hi Fi.
Les contes de fée auraient continué d'enchanter des générations d'individus et de leur insuffler le goût du merveilleux si " la bande au professeur Nimbus ", comme chantait Brassens, n'avait cru bon d'intervenir pour " frapper les cieux d'alignement ". Une certaine génération de psy de tout poil a décrété les contes de fée impropres à la consommation enfantine et susceptible de les traumatiser. La bande à Disney a, de son côté, ajouté les recettes d'un marketing standardisant au propos, avec cette manie lénifiante et manichéenne qui caractérise sa production. Difficile de s'en remettre.
Les princesses, aujourd'hui, ressemblent à la poupée Barbie, les princes à Schwarzenegger : notre imaginaire a pris un bon coup de nivellement par le bas.
Mais gardons espoir. Un certain Harry Potter est né, et ça, c'est plutôt une bonne nouvelle.
A suivre.
■ Pourquoi je n'appelle pas au boycott (2004)
Le PDG de TF1 s'est officiellement couvert d'opprobre, avec la déclaration publique qui suit :
" A la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont vocation de le rendre disponible. C'est à dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du cerveau disponible. "
Cette déclaration a suscité les mouvements qu'on imagine chez un certain nombre de gens normaux.
L'un de mes ex-confrères journalistes m'a adressé un message à transmettre par e-mail, appelant à une journée de boycott de TF1, " pour garder notre dignité ".
Je n'ai pas transmis le message pour les bonnes raisons suivantes :
· Je ne corresponds qu'avec des amis ou, au moins, des gens fréquentables, donc sensés, qui ne regardent pas plus TF1 que je ne regarde moi-même cette chaîne (qu'on mette mon récepteur sous contrôle si l'on veut vérifier mon affirmation). Donc, mon appel au boycott serait sans effet.
· Je pense n'être d'aucun poids sur les imbéciles. Donc mon appel au boycott est inutile, et va donc savoir si les imbéciles qui, par le plus grand des hasard me connaîtraient, ne seraient pas plutôt tentés de faire le contraire de ce que je professe ?
· Le cynisme et le mépris d'autrui dont Patrick Le Lay fait preuve aurait tendance à me réjouir. Je trouve qu'il faut toujours mesurer jusqu'où " on peut aller trop loin " avec nos contemporains. J'avais d'ailleurs tenu ce langage lorsque le PDG de Michelin avait annoncé dans une même déclaration un plan de licenciement et des bénéfices substantiels.
· Qu'avons-nous fait contre Messier ?
· Que faisons-nous contre l'ensemble des réducteurs de cerveaux ?
· Je ne place pas ma dignité au ras des cloaques, donc je ne me sens ni atteinte ni même concernée par les gesticulations afférentes à TF1, fussent-elles celles de son PDG.
C'est donc l'esprit léger que je passe à autre chose.
Bons baisers de Tante Sophie !
■ Personnalité (2004)
" Pourquoi Barbara n'a-t-elle pas eu recours à l'analyse ? "
Bizarrement, la jeune femme qui m'a posé la question prétendait aimer les chansons de Barbara, la personnalité de Barbara, l'aura de Barbara.
Quand je lui ai répondu que c'était une volonté de sa part, énoncée en ces termes " Si on me soigne mes angoisses, je vais perdre mon talent ", la jeune femme s'est insurgée, insistant sur le fait que la chanteuse aurait pu vivre plus confortablement, amputée de ce qui fait mal.
Comment voulez-vous argumenter contre cela ?
Est-ce le but d'une vie que de la vivre confortablement ? N'y a-t-il pas un glissement insidieux mais néanmoins réel de confort à conformisme ?
Je ne dis pas que ce souci du confort psychique dénote une mauvaise intention, mais je ne peux pas y adhérer.
De quoi sont faites nos personnalités ? De soleil et d'ombre, de matins calmes et de coins secrets, et nous avons besoin de vivre avec ce trésor, même s'il contient des poisons. Les mêmes Candides qui prônent le confort s'insurgent devant les lobotomies telles qu'on nous les raconte dans " Soudain l'été dernier " ou " Vol au-dessus d'un nid de coucous ". Alors ?
Pourvu que nos chagrins, nos deuils, nos doutes, nos angoisses et toute la cohorte de nos fragilités ne nous poussent pas à nuire à autrui, vivons avec, et nos moments de grâce ou d'exaltation heureuse n'en seront que plus intenses.
A contre-courant de notre époque, je refuse le tout beau tout propre tout transparent. J'ai eu la chance de connaître des maisons avec greniers et jardins.
Certes pas aménagés par Lenôtre. Que serions-nous, sans greniers et jardins ?
Que devenons-nous sans terrains vagues, sans taillis, sans buissons, sans coins perdus, à l'intérieur de nos propres têtes ?
Merci à Barbara d'avoir vécu dans l'inconfort et d'avoir offert ses zones d'ombre à tous ceux à qui ses chansons ont tenu lieu de refuge et de réconfort.
Merci à tous ceux qui tiennent à conserver leur acuité, voire leur mal de vivre, pour nous en faire des bouquets.
■ Bush ? Bof ! (2004)
J'avais plus ou moins envie de consacrer un édito à la réélection de Bush.
Et je me suis dit « bof ! » à quoi bon et par où l'attraper ?
Je n'ai pas changé mon fusil d'épaule, mais mon stylo à plume de cible.
Le tourisme de masse, défini récemment par Ariel Wizman comme une arme de destruction massive non encore répertoriée, m'apparaît un sujet plus fondamentalement sérieux. D'ailleurs, si la réélection de Bush en a surpris plus d'un à travers le monde, c'est sans doute parce que nous faisons du tourisme politique en pratiquant le survol et l'approximation sous toutes les latitudes et de toutes les façons possibles, y compris à travers le net.
Que savons-nous des Américains de l'Ohio ou de l'Utah, nous qui déplorons l'ignorance de l'Américain « moyen » à l'égard du Jurassien ou du Limougeot que nous croyons connaître, nous, Français de base ?
Plus nous nous déplaçons, à travers des circuits rapides, diversement privilégiés et planètophages, moins nous nous enrichissons, en matière de connaissance des autres, qu'il s'agisse des lieux, de la faune, le la flore, et des autochtones.
Nous dévorons des kilomètres, nous dévorons des impressions collectives, vite effacées par d'autres impressions, collectives elles aussi, et nous ne voyons des « ailleurs » que la façade ou la vitrine que les « tour opérateurs » veulent bien nous en montrer.
La religiosité et le conservatisme des Américains nous sont aussi viscéralement incommunicables que les fanatismes sectaires ou religieux, d'où qu'ils viennent et à quelque extrémité qu'ils mènent.
Obnubilés par toutes les pailles dans l'œil de l'autre, est-ce que nous sommes conscients de nos propres conservatismes, de nos égoïsmes, de nos vieillissements, de nos responsabilités dans les pourrissements de la planète ? Non, n'est-ce pas ?
Alors Bush, bof ! Posons-nous donc des questions utiles, auxquelles chacun d'entre nous peut répondre, partiellement, certes, mais en connaissance de cause.
Tiens, si nous commencions par arrêter d'arnaquer les touristes ? Si nous nous mettions à respecter notre voisin, ce qui nous donnerait titre à lui demander la réciproque ?
Avec des si …
Oui, décidément, Bush ? Bof !
■ Confisquée, l'expression ? (2004)
Faire entendre sa voix, dans la cacophonie d'une époque qui prétend être celle de la communication, on pourrait croire que c'est la moindre des choses. On se tromperait radicalement.
Plus le paysage médiatique évolue, plus il devient touffu, segmenté, prolifique. Il est atteint du mal du siècle, « le tout économico-financier ».
Tous les outils de communication, chacun dans une catégorie prédéterminée, sont au service de la part de marché et de l'annonceur, autrement dit, de l'économiquement correct qui a pris la place du politiquement correct, en aggravant donc la situation.
Loi du marché : plaire au plus grand nombre.
Les « rebelles » ne sont autorisés à s'exprimer qu'au travers d'éditeurs graphiques, phonographiques ou autres, reconnus pour leur appartenance au système.
La signature d'une multinationale ou d'un éditeur aux moyens substantiels semble, corollairement, devoir se substituer à celle du créateur, un peu comme si on achetait des « tableaux » en fonction du nom du marchand, l'artiste s'effaçant à son profit.
Sale temps pour les marginaux, les vilains petits canards et les loups solitaires.
Que faire ?
Faut-il désespérer d'exprimer autre chose que ce qui est « attendu », « dans la tendance », puis « marketé » comme une quelconque paire de baskets ?
Doit-on se résigner à entendre, dans un proche avenir :
« J'ai acheté le dernier CD Universal » ou « Je vais voir le nouveau film Gaumont », ou encore « Le Grasset qui vient de paraître mérite un Goncourt. »
Raisonnablement optimiste de nature, je préfère détourner le regard de cet avenir prévisible (demain est déjà là) et constater qu'ailleurs, autre part, loin des trompettes de la renommée périssable, il y a des espaces encore libres pour le mot, la musique, l'image, et toute la création patiente qui va son petit bonhomme de chemin … qui sent la noisette …par le bouche à oreille et joue sur la corde sensible des rescapés de l'uniformisation institutionnalisée.
Si la fortune n'est évidemment pas au bout de l'entreprise marginale, elle porte cependant son salaire en soi. Ecrire pour le plaisir, chanter pour le plaisir, jouer pour le plaisir… pour le plaisir partagé avec une poignée de curieux, d'humains, autrement dit.
Alors, continuer est encore ce qu'on a de mieux à faire, au moins on est droit dans ses bottes et on ne se prend pas le chou avec des raseurs de toutes sortes.
Eh puis, on n'est pas à l'abri d'écrire, un jour, un « Temps des cerises »…
■ Appuyer sur le bouton (2005)
Question :
Tu appuies sur un bouton. A l'autre bout du monde quelqu'un meurt, un inconnu dont tu ne sauras jamais rien. Dans le même instant, autre conséquence de ton geste, tu fais fortune.
Est-ce que tu appuies sur le bouton ?
Cette question, je crois qu'on me l'a posée dès l'âge de raison, soit sept ans.
Elle m'est revenue en mémoire et je l'ai posée à un garçon d'à peine trente ans, bien sous tous rapports, comme on dit, élevé à l'ancienne et volontiers serviable, bosseur et respectueux de ses père et mère. Ajoutons à ce portrait qu'il est franc du collier.
La réponse fut sans détour :
« Bien sûr, j'appuie sur le bouton, sinon je suis un imbécile. De toutes façons, c'est comme ça que fonctionne notre société. »
Outre un peu de surprise face à la spontanéité de la réaction, je m'attendais à cet aveu.
Tout est dit : notre société fonde sa légitimité et établit sa finalité dans l'élimination de millions d'individus sur la planète, au nom d'une seule loi, celle du profit. Comment les êtres qu'elle engendre pourraient-ils être meilleurs qu'elle ?
A part les rebelles.
Mais les rebelles sont-ils assez nombreux, assez motivés, et sont-ils capables de réinventer un humanisme ?
Mon optimisme nuancé de scepticisme m'incite, en dépit de tout, à répondre oui. Mais est-ce bien raisonnable ?
■ Approximatif (2006)
C'est la faute à qui, c'est la faute à quoi ?
C'est la faute à « pas d'chance », ou c'est la faute à Voltaire, c'est la faute à Rousseau, comme chantait Gavroche.
Aujourd'hui, ce n'est plus la faute à personne.
« C'est pas moi, c'est les autres. » Voilà ce que je suggère qu'on érige en principe absolu et qu'on grave au fronton des édifices publics, à la place de « Liberté, Egalité, Fraternité ». Ce serait le reflet navrant de nos mœurs.
Et cela vaut pour tout, y compris pour les approximations relatives au langage.
« Les autres disent comme ça, et si je dis autrement, on va penser que c'est moi qui me trompe. » sic.
Eh bien moi, je m'en fous si « on » pense que je me trompe.
Je continue à ne pas dire vindicatif quand je veux dire agressif.
Je continue à dire et écrire antédiluvien avec un seul L.
Je ne mets pas de S à mille, ni à quatre, ni à des tas d'autres mots qui servent à faire des liaisons dites familièrement « mal-t-à propos.
Je dis dilemme, je dis indemne.
Je dis enchifrené et pas chafoin pour évoquer un rhume.
Je dis pécuniaire et pas pécunier.
Je dis aréopage et pas aéropage…
Je dis « je ne suis pas près de … » et pas « je ne suis pas prête de … », je tiens à « je me le rappelle et je m'en souviens».
Oui, toute allusion à des personnes existantes est voulue et je pourrais déboiser une partie d'Amazonie qui n'en a certes pas besoin, pour publier la liste de ce
qui m'exaspère, dans le même style.
Et tout cela n'est que pure forme.Pour le contenu des discours, c'est pareil.
Approximation, sans vérification, c'est la loi de la communication et de l'information.
Tiens, je viens d'apprendre, à la lecture d'un ouvrage qui va faire autorité (sur la chanson française), que j'étais la mère d'un compositeur dont j'ignore tout, sauf le patronyme. D'où vient l'information ? « On m'a dit »… « J'ai toujours cru que… »J'ai envie de baisser les bras devant l'approximation et de passer à autre chose..
■ La Vie, l'Histoire et la Légende (2007)
Entrer dans la légende, quelle aventure !
Déjà, entrer dans l'histoire est inquiétant.
Selon la conjoncture, les besoins des causes qui se succèdent, ils sont bien bousculés, les personnages historiques. Et ne parlons pas des cas extrèmes, tel celui de Nestor Makhno, à qui j'ai emprunté mon pseudonyme. Le pauvre révolutionnaire ukrainien, traîné dans la boue depuis 1920, commence à peine à être réhabilité du bout des lèvres. Il y a (peut-être) pire, le cas de ceux à qui la réhabilitation n'arrive jamais, ou, tout simplement, les oubliés de l'histoire (y compris, cela va sans dire, histoire des arts et des artistes).
Mensonges pour mensonges, autant entrer directement dans la légende, c'est plus sûr. Et légende pour légende, autant que celle-ci soit une pure création de l'esprit, une Iliade, une Odyssée, un Tristan et Yseult. Au moins, l'imagination y trouve-telle son compte et l'hommage qu'on peut lui rendre est-il satisfaisant.Mais la vie, dans tout cela ?
Notre vie ? Tout le monde s'en fout, à commencer par les premiers intéressés.
Nous avons l'art de nous mentir et d'écrire, en toute bonne foi, notre histoire comme il nous plaît de nous en souvenir. Autour d'une table, familiale, par exemple, acteurs et témoins d'une même réunion conviviale, aucun d'entre nous ne la vit ni ne s'en souvient comme son voisin.
Alors ? Vive la fiction, pourvu qu'elle apporte un peu de bleu dans les jours gris
« un peu de fantaisie ou de poésie ». Tiens, je trouve que le Roi Dagobert, qui a mis sa culotte à l'envers, est sans doute plus mémorable et plus amusant que son modèle.
Interrogez vos propres mémoires, ne préférez-vous pas Barbe Bleue à Gilles de Rais ?
C'est beau, la légende.
Il était une fois, redites-le moi, à l'infini...
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